On y est. Le consensus des économistes annonçait un regain d'inflation à la libération des économies. Elle est encore partielle et très décalée suivant les pays ou les régions, mais les statistiques du 1er trimestre donnent une idée du changement de ton. La qualification de la perte de valeur de la monnaie ouvre inévitablement des débats sur son caractère durable ou pas. Les fondamentaux de l'offre et de la demande, mais, aussi les conséquences des politiques passées des grandes Banques Centrales donnent des points d'appui. Ils peuvent aussi être mis en regard des anticipations des marchés, sur les prix et sur les taux.
La donnée de mars aux États-Unis enregistre le rebond attendu. Une dérive des prix de 2,6 % sur an marque une forte hausse par rapport aux 1,4 % enregistrés en janvier. On ne peut que constater qu'elle est supérieure à la cible de 2 % – en moyenne sur plusieurs années – donnée par la Réserve Fédérale. Ce niveau n'a pas été vu depuis la mi-2018.
À l'étude, le chiffre peut être relativisé : il est gonflé par les effets de base. L'énergie est le principal facteur de cette poussée inflationniste : elle inscrit une progression de 13 % en un an. Elle pèse finalement à hauteur de 88 % dans l'inflation constatée.
Les données « coeur » (inflation core) permettent de prendre du recul. Hors énergie et alimentation (qui n'ont pas été affectées par un effet de base comparable en raison de relèvements de prix dans la première vague sanitaire), la hausse des prix sur un an s'établit à 1,6 %, ce qui est seulement légèrement supérieur au niveau de 1,4 % constaté de janvier 2020 à janvier 2021. Pour le moment les goulots d'étranglement constatés dans les secteurs industriels n'ont pas provoqué de dégâts sur les prix. Les pressions à la production et à la distribution n'ont pas conduit les entreprises à répercuter aux acheteurs finaux des progressions de tarifs. Par ailleurs, les services restent sur une hausse des tarifs stable, entre 1,7 % et 1, 8 %.
L'Europe est en retard sur le plan de la vaccination et donc de l'activité. Mais les effets de base ont aussi joué : en France, les coûts de l'énergie et de l'alimentaire ont progressé de 4,5 % en un mois ce qui, sur un an donne une hausse des prix à la consommation sur un an de 1,1 % alors que de février 2020 à février 2021, on se situait encore à 0,6 %. Ce score global des 12 mois de 1,1 % est équivalent au glissement des services. L'Allemagne va plus loin et affiche 2 % sur un an à comparer avec 1,6 % en février.
Est-on face à une reflation temporaire ou à un changement durable de fondamentaux ? La question se pose évidemment avec plus d’acuité pour l'économie américaine que pour l'Europe. Mais le cas des États-Unis va dicter, une fois encore, une tendance mondiale, pour les prix et, aussi, pour les taux d'intérêt.
Les hausses de prix à la production peuvent se poursuivre avec la croissance comme elles peuvent finalement se modérer dans le temps. C'est la première question. La deuxième est l'ampleur de la transmission aux prix finaux. L'ensemble concerne prioritairement les biens, les services pouvant résister dans un premier temps, faute que les relèvements de tarifs de vente jouent rapidement par répercussion sur les coûts salariaux unitaires.
Le comportement des agents économiques dans un univers de forte croissance entretenue par la dépense publique n'est pas écrit d'avance. Entre l’absorption des hausses des coûts d'approvisionnement par les gains de productivité et, au contraire, la tentation de reconstituer les marges, une voie moyenne sera sans doute trouvée.
La focalisation des économistes et, aussi des investisseurs, sur les données de l'inflation ne va faire qu'augmenter d'ici le printemps 2022. Le rebond inflationniste du moment est presque naturel, mais il ne permet pas vraiment de se projeter. Au stade actuel en tout cas, les marchés financiers adhèrent au scénario qui est celui de la Fed : les prix se modéreront d'eux-mêmes à partir du début de l'année prochaine.
La Réserve Fédérale Américaine comme la Banque Centrale Européenne l'affirment avec régularité : l'inflation n'est que temporaire et liée aux approvisionnements amont, matières premières et équipements de base pour l'industrie comme la pénurie de semi-conducteurs en a été l'illustration.
Jerome Powell, le patron de la Fed a répété cette semaine que le chemin serait « très long » après la crise sanitaire avant un changement de politique monétaire. Il calme le jeu tout en préparant déjà les esprits en détaillant le processus : réduction des achats d'actifs puis, seulement ensuite des ajustements de taux directeurs. Les objectifs de plein emploi (il attend un taux de chômage de 4,5% à la fin de l'année) et, plus secondairement d'inflation (qui lui paraît « soutenable »), dicteront le calendrier. Les investisseurs sont moins optimistes que les économistes de l'institution de New York : ils sont en tout cas plus de 70 % à attendre une hausse de l'inflation par apport au niveau actuel. C'est un pic, atteint seulement une fois depuis le début du siècle, en 2004. Les précédents plus hauts de 2011 et 2018 sont dépassés, mais les taux réels des obligations américaines sont toujours négatifs, sous la pression des achats d'obligations par la Fed ainsi confirmés.
Du côté de la BCE, avec certes des perspectives économiques moins brillantes et un retour espéré au niveau d'activité de 2019 dans la zone euro seulement dans un an pour ce printemps aux États-Unis, Mme Lagarde a un discours qui fait plus que suivre. Elle s'est dite prête à utiliser des outils monétaires « exceptionnels » si les taux obligataires de la zone euro devaient se tendre. On n'en est pas là, mais on est prévenu.
Les plans de dépenses budgétaires vont porter la croissance, aux États-Unis dès maintenant et en Europe continentale quand ils pourront se développer ce que le fonctionnement de l'UE ne rend vraiment pas simple.
En s'attachant à la situation américaine, le décalage entre l'offre et la demande si fortement gonflée n'a pas lancé un véritable cycle inflationniste. Les données globales justifient la sérénité de M. Powell malgré la puissance des plans Trump puis Biden. Les contraintes de production sont concentrées sur des secteurs très précis : les capacités sont utilisées à moins de 75 % et le chômage (6 % contre 3,5 % fin 2019) et, plus encore la non-activité (entre 14 % et 15%) limitent les pressions salariales. Par ailleurs, la concurrence de l'import et l'évolution de la consommation vers les services tout au long de la crise sanitaire expliquent que la hausse de la consommation n'ait pas eu (encore?) d'effet sur l'inflation « core ».
Enfin, l'impact des injections de pouvoir d'achat par l'État Fédéral est limité par l'épargne qui, pour le moment, en a plus profité que la consommation. En mars, les chèques fiscaux aux ménages consommation n'ont été consommés qu'à hauteur de 25 %. 42 % ont été épargnés et 33 % affectés à la charge de l'endettement.
Les scénarios « d'inflation temporaire » des Banques Centrales vont cependant rester sous surveillance. En question la croissance américaine, la possibilité de surchauffe ou même d'effet de boule de neige à partir des goulots d'étranglement. Ce qui va entraîner d'ici à la fin de l'année une certaine volatilité à la publication chaque mois des données statistiques.
Au-delà de la vigilance aigüe des marchés sur la transmission et la pérennité des hausses de croissance économique, les effets de long terme de l'explosion des masses monétaires et des dettes des grands États pourraient poser à un terme pas défini la question d'une inflation qui deviendrait structurelle. L'inflation des actifs risque-t-elle de passer aux biens et services ? Ce n'est pas le sujet du moment, mais le laxisme qui permet aux agents économiques comme aux États de suivre une spirale d'endettement en profitant de taux réels négatifs créé des effets de bulle. La monnaie dévalorisée sur les termes de l'épargne ne l'est pas sur celui des biens et services, au contraire. Mais l'écart entre l'accumulation de capital et la croissance économique, mesuré en Bourse par la réévaluation des multiples, va imposer aux Banques Centrales une inflexion politique dans un monde dominé par le retour des dépenses publiques … et des taxes.