Les publications des comptes trimestriels des entreprises ont un caractère vraiment particulier cette année. La période de référence en 2020 est atypique puisque c'était celle de l'arrivée de l’épidémie de la Covid-19. La période cette année est aussi spéciale, marquée par l'adaptation aux blocages des économies et la vie normalisée sans épidémie d'une part, et l'anticipation du rebond postérieur d'autre part.
L'épidémie est en passe d'être enrayée au plan mondial, au moins pour les zones entraînant la croissance globale, même si, on peut le répéter la déroute vaccinale de l'Union Européenne peut nous donner un point de vue décalé. Les trimestriels sont ainsi l'occasion pour les directions de confirmer la tendance (très) favorable attendue pour les mois à venir. La hausse des chiffres d’affaires et des résultats est anticipée sur les Bourses sans pour autant, que les scénarios de moyen terme fassent l'objet d'un consensus. On est dans le court terme, mais les données des trois premiers mois de 2021 doivent aussi conduire à essayer de trouver un peu de visibilité.
Les bilans boursiers sont en avance en tout cas. Les 10 % à 13 % de hausse des cours depuis le début de l'année aux Etats-Unis et en Europe valident un rebond de 40 à 50 % par rapport aux marchés d'avril 2020, alors sous la pression d’une épidémie qu'on ne maîtrisait pas.
La référence au printemps 2018 est plus cohérente : + 15 % pour les indices en Europe en moyenne ; + 30 % au Japon ou en Chine ; + 40 % à Wall Street et + 60 % pour le Nasdaq.
Évidemment, les indices ne sont pas forcément comparables et ils peuvent donner une impression décalée. Évidemment aussi, les investisseurs peuvent prendre de mauvais paris ou anticiper de façon excessive, mais la hausse du cours des actions est là.
Cette hausse traduit une hausse des multiples par rapport aux bénéfices publiés. Cette réévaluation des PER a deux sources: la première est la politique monétaire et la conjoncture de taux d'intérêt. L'excès de cash n'est pas seulement un facteur mécanique : il implique aussi la deuxième source : l’anticipation de fortes progressions des bénéfices dus à la croissance.
La fuite en avant des Banques Centrales n'est pas près de se tarir et, après le patron de la Fed, Mme Lagarde n'a pas été dans un sens différent pour la BCE cette semaine. La politique monétaire va maintenir des multiples d'évaluation élevés par comparaison avec les taux d'intérêt et, aussi, pousser la croissance économique, donc les profits.
Le caractère déséquilibré du rebond conjoncturel, en termes géographique en raison des politiques sanitaires décalées, mais aussi en termes sectoriels en raison de vrais mutations fondamentales, ne fait pas débat. Cependant, les gros gagnants et les perdants éventuels en final ne sont pas encore connus. L'analyse des performances sectorielles en Bourse dans la hausse des quatre derniers mois donne des indications. Si tous montent, tous ne le font pas sur le même rythme.
Le panier du Stoxx Europe 600 est assez large pour trouver une hiérarchie sectorielle. Les massacrées en 2020 de la crise du Covid rattrapent : les voyages et l'automobile viennent en tête et gagnent depuis le 1er janvier plus du double de l'indice lui-même (10,9 %) On peut d'une certaine façon inscrire les biens industriels, medias ou la construction (14 % à 15 %) dans les rangs des revanchards, mais on retrouve aussi en leur sein des gagnants des profils d'affaires de l'après Covid.
En revanche, la conjoncture si favorable aux fournisseurs amont explique les avances de l'ordre de 20 % des produits de base et des technologiques. Le cas des banques et de la finance est le dernier à mettre en évidence : il y a rattrapage en lien avec la politique monétaire et les marchés financiers ; il y a aussi un début de redressement des marges anticipé avec des hiérarchies de taux (courbe des taux) qui semble en voie de reconstitution.
Bien sûr, les secteurs gagnants de 2020 comme la santé, l'alimentaire ou les services publics ont peu progressé cette année.
D'une façon globale, les trimestriels sont plutôt dans le haut des fourchettes des attentes, voire un peu au-dessus. Ils confirment les estimations pour l'ensemble de l'année : des profits en hausse de 20 % pour les Américaines et les Chinoises, de 40 % en Europe et au Japon, pour une moyenne mondiale de 26 %. On note en tête des projections les secteurs qui sont les gagnants de la Bourse depuis quatre mois : Énergie, Matériaux, Industriels, Consommation discrétionnaire, Banques et Finance.
Les ratios de valorisation mis en face des cours sont justifiés par les taux de croissance des profits cette année, mais les niveaux atteints posent la question de 2022 et, surtout des exercices suivants, ceux de stabilisation du cycle après le rebond. Les bénéfices estimés du Dow Jones se paient 26 fois pour cette année et 21 fois pour l'année prochaine. Pour prendre l'exemple du CAC 40, les multiples sont respectivement de 28 et de 20.
Évidemment, les PER sont très écartés suivant les profils : au plan mondial les valeurs de croissance se paient près de 40 fois les bénéfices à 12 mois, les « values » 20 fois, les valeurs moyennes 30.
Par quelque bout qu'on prenne, les valorisations, en début d'un cycle de croissance sous médications monétaires et budgétaires, sont hautes. Le fameux PE de Shiller, qui veut éliminer les effets de court terme en calculant le ratio sur 10 ans passés s'établit à 36 fois pour les valeurs du S&P 500, c'est plus que le niveau de 1929 et cela n'a été dépassé qu'une fois, en 2000 au plus fort de la bulle des TMT.
Derrière le constat, il y a la prééminence des fameux Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) au sein de la cote américaine et donc au sein de la cote mondiale. Ces cinq géants de la technologie pèsent, en ajoutant Tesla, 22,5 % de la capitalisation de l'indice S&P 500. Être investi en actions, c'est l'être sur ces vedettes de la croissance, tant une correction aurait des effets d'entraînement en raison du poids de la gestion indicielle.
Pour que cela tienne, pour que les ratios puissent se maintenir ou même progresser, c'est le tournant du cycle autour de la mi-2022 qui sera déterminant : si la croissance devait s'infléchir légèrement, les taux d'épargne alimenteraient les marchés financiers avec l'apport des injections budgétaires. Et les taux d'intérêt resteraient dans des niveaux bas.
Dans cet environnement boursier actuel un peu atypique, les investisseurs cherchent encore plus et toujours plus de la visibilité. Ils peuvent payer encore plus cher les taux de croissance et les barrières à l'entrée des Gafam. Mais le vedettariat n'est pas seulement américain. Les fameux Granolas – pour Glaxosmithkline, Roche, ASML, Nestlé, Novartis, Novo Nordisk, L'Oréal, LVMH, Astrazeneca, SAP et Sanofi – ont démontré qu'ils ont bien des atouts des Gafam. Depuis le début de l'année, ces Gafam européens l'ont encore démontré : à l’exception des pharmaceutiques ayant fait leur performance en 2020, leurs actions affichent des hausses de 10 %+ à 38 %.
Des marges garanties par une force de commerciale (pricing power), des marchés sûrs et en croissance : le cocktail correspond. Avec un avantage des Granolas et des valeurs associées de leur secteur sur les Gafam : les ratios d'évaluation sont encore plus modérés pour le moment.