Les publications trimestrielles des entreprises cotées n'ont pas inversé la confiance des investisseurs, au contraire. Et, en conséquence, ont orchestré une poursuite de la hausse qui permet aux valeurs américaines des secteurs traditionnels d’établir de nouveaux records alors qu'en Europe, le niveau du début 2008 a été retrouvé.
Le rendez-vous trimestriel de la réalité des profits n'est pas raté, au contraire. La progression si vive des Bourses depuis leur point bas de février 2020 a été suscitée, puis entretenue pas la politique d'injections massives de monnaie par les grandes banques centrales. Mais cette fuite en avant monétaire n'a pas seulement organisé un effet d'entonnoir vers les actifs et provoqué une réévaluation des multiples d'évaluation. Elle a aussi relancé la machine économique par le biais du crédit. C'était son but et il est atteint pour le moment.
Les sociétés composant l'indice S&P 500 présentent un panel suffisamment large pour que les données soient significatives. Les deux tiers des compagnies ont présenté leurs comptes trimestriels. On ne peut pas être surpris que le consensus des analystes financiers ait été dépassé : dans les bonnes périodes comme dans les mauvaises ils réagissent en moyenne avec retard. Toutefois, la proportion n'est pas courante. Pratiquement 90 % des entreprises font mieux que ce qui était estimé.
La progression des profits du premier trimestre 2020 au premier trimestre 2021, qui était anticipée à 25%, atteint 45%. La performance justifie celle des cours de Bourse : par rapport aux cours du début 2020, avant le krach de l’épidémie, le S&P 500 a gagné 23 %. La hausse des bénéfices n'est pas ridicule si on la compare à celle de 53 % des actions américaines depuis les plus bas de février 2020.
Bien sûr, les géants technologiques qui pèsent pour 22,5 % de la capitalisation du S&P 500 sont les moteurs de cette évolution si forte. Mais le dynamisme est bien plus large et arrose à des degrés divers pratiquement tous les secteurs de l’économie américaine et, en premier lieu celui des services qui concoure au produit intérieur brut pour 80 %.
Les analystes financiers courent après la tendance et, pour l'ensemble de l'année, ils prévoient désormais une progression de près d'un tiers des profits des valeurs de l'indice cette année. Au solde, cela amènerait le cumul des profits 2021 près de 15 % au-dessus de son score 2019.
En Europe, et particulièrement à la cote parisienne, la tendance est la même, mais évidemment, les entreprises encaissent le coût du retard de sortie de crise épidémique dû à la déroute de la politique vaccinale. Après des publications pour les trois premiers mois de l'année supérieures aux estimations, les révisions permettent d'attendre une progression de 40 à 50 % des résultats sur l'ensemble de l'exercice. Mais le niveau de 2019 ne sera pas retrouvé avant le premier semestre 2022.
Dans cette conjoncture, retardée mais porteuse, les spécificités des économies nationales trient les tendances. Globalement la zone euro a enregistré au premier trimestre une légère contraction sur un an (0,6%) de son produit intérieur brut, ce qui est mieux que ce qui était attendu et apporte à l'ensemble de l'année un acquis de croissance de 1,6 %. La France affiche une croissance de 0,4 %, l'Allemagne, l'Italie et l’Espagne s'inscrivent en recul : 1,7 % pour la première, 0,4 % pour la deuxième, 0,5 % pour la troisième. Les effets de base jouent bien sûr, mais, aussi la structure des économies. La reprise est plus vive pour les services que pour le manufacturier.
Les bénéfices publiés par les entreprises suivent la tendance, avec évidemment des spécificités pour les géants mondiaux du vieux continent des secteurs du luxe, de la consommation, de la technologie, de la construction et de la finance.
Si les bénéfices sont en rendez-vous du premier trimestre, l'attaque du mois de mai et de sa saisonnalité plutôt négative pour les marchés se déroule sur la confirmation de ce que les investisseurs avaient anticipé davantage que sur des éléments nouveaux pour aller beaucoup plus loin. La poursuite et même l’accélération de la croissance sur fond d'une amélioration sanitaire déjà notée l'année dernière à la même époque, mais cette année plus solide du fait des vaccinations, semble également déjà dans les cours pour l'essentiel.
Pour autant, les ratios d'environ 25 fois les bénéfices estimés pour 2021 à Paris comme à Wall Street, et d'un peu moins de 20 fois pour les projections 2022, ne semblent pas faire apparaître des valorisations de bulle. Les primes de risques par rapport aux taux obligataires restent dans une zone sans excès.
Le sujet est bien là : si le cycle de reprise est engagé, avec bien sûr le retard sanitaire européen et celui lié à la faiblesse des plans budgétaires envisagés, les Bourses sont à des niveaux raisonnables quand on les compare avec les taux d'intérêt, toujours largement négatifs en termes réels.
Les analystes de la Réserve Fédérale estiment que la valorisation des actifs ne pose pas de problème à ce stade et ne justifierait pas un durcissement de la politique de taux. Malgré les goulots d’étranglement qui sont inflationnistes, en particulier pour les coûts salariaux, malgré une croissance embarquée sensiblement supérieure au potentiel, ils ne croient par ailleurs pas à une surchauffe. Ils répètent qu'ils attendront que le marché du travail retrouve ses niveaux d'avant crise pour définir une politique de hausse des taux directeurs. Cette position conciliante est plus encore celle de la Banque Centrale Européenne.
Les investisseurs sont sur la même ligne : dans les contrats à terme comme dans les taux obligataires, ils écartent le risque d'inflation.
Pour autant, rien n'est écrit dans ce rebond économique atypique après l'épidémie, ses politiques monétaires sans précédent, ses politiques budgétaires d'après-guerre. Pour reprendre les propos du vice-président de la Fed, Richard Clarida cette semaine, le pragmatisme va être la seule règle et la Banque Centrale va se concentrer sur « les faits observés », sans nécessairement se projeter. Au stade actuel, on n'en est pas à observer une inflation des biens, ou même des actifs, qui justifierait une hausse des taux qui bouleverserait les Bourses.
Restent les facteurs de régulation comme les prix de l'énergie et des matières premières, les évolutions du change, et … la fiscalité. C’est le sujet du moment puisque les plans puissants de relance et de transformation de l'économie américaine devront être financés et organiser une certaine redistribution. Les contrepouvoirs aux propositions de l'administration présidentielle peuvent limiter la hausse des impôts américains dont les projets apparaissent, pour le moment, assez modérés. Mais la tendance est là et a bien des chances de se développer.
À taux longs inchangés, les projets Biden de taxation des entreprises impliqueraient une baisse mécanique de 17 % des cours qui, en quelque sorte, serait le pendant des hausses tout aussi mécaniques de l'administration Trump. La surveillance double taux-fiscalité va être le complément de celle du cycle qui semble assuré de croissance.