Le Bitcoin fait encore et toujours l'actualité. Son poids financier et médiatique au sein des crypto-monnaies donne le ton pour tout cet univers. Après les extraordinaires envolées de l'automne et de l'hiver, la chute du Bitcoin et de l'Euthereum depuis trois semaines pose une fois encore de façon spectaculaire la question des crypto-monnaies. Le premier avait vu sa contrevaleur en dollars multipliée par six de fin septembre 2020 à la mi-avril cette année ; depuis cette contrevaleur a chuté de plus de 40 %. L'Euthereum a été multiplié par 12 avant de rendre 40 %. Le constat vaut questions.
En cause, la place de ces « monnaies », l'évolution de statut qui a été la leur, ce qui va conditionner leur avenir. Le concept est véritablement spécifique puisqu'il étend le partage d'informations décentralisé d'internet à des « actifs » spécifiques permettant stockage et échange sans aucune réalité physique. C'est une révolution qui demande de la pratique pour trouver un minimum d'équilibre.
En premier en raison de la technologie. La technique de la chaine de blocs (blockchain) permet de stocker et d'échanger des données numériques pratiquement en instantané, sans organe de contrôle, à coûts très bas et avec une possibilité de confidentialité qui n'empêche pas (au contraire) la transparence et la sécurité de la transaction. La création d'unités de valeur est possible.
Mais c'est le besoin qui a permis la mise en pratique dans monnaie de la possibilité technologique. D'abord le besoin de liberté des agents économiques, donc de confidentialité. C'est précisément la révolution de l'information numérique qui, année après année, permet aux autorités fiscales, monétaires et politiques d'exercer un contrôle sans cesse plus profond sur la totalité des recettes et des dépenses de chacun et de chaque société. La quasi-disparition dans certains pays des transactions en liquide et la volonté à peine cachée d’autres d'aller dans un tel sens, y compris chez nous impose une respiration. La confidentialité est synonyme de liberté et les émetteurs publics pouvaient et peuvent un peu encore se targuer de l'assurer avec la monnaie fiduciaire quand ce n'est par construction, pas le cas pour la monnaie émise par les banques commerciales. Mais les Banques Centrales et les États vont dans le même sens du contrôle absolu. Les crypto-monnaies ont trouvé une place indispensable à la vie en société : confidentialité et sécurité des transactions.
Au-delà, aussi au-delà de la cette possibilité de profiter de la finance décentralisée et ses services financiers alternatifs, c'est la perte de crédibilité des monnaies nationales (ou supra nationale dans le cas de l'euro) qui a justifié l'engouement. L'explosion des bilans des grandes Banques Centrales derrière celui de la Réserve Fédérale américaine a entamé la confiance, en particulier à terme pour défendre son actif face aux prix et pour baser une épargne de long terme. Le bilan de la Fed est passé en 18 mois de 18 % à 35 % du PIB américain. Celui de la Banque Centrale Européenne de moins de 40 % à 62 % quand la Banque du Japon affiche un ratio de 130 %. Et les dettes des États annoncent encore des émissions massives de monnaie d'ici à 2050.
On a maintenant un peu de recul sur la blockchain, ses utilisations dans divers domaines industriels, médicaux, alimentaires, de services ou administratifs. On en dispose surtout dans le cas spécifique des crypto-monnaies. L'acte initial pour l'ensemble des applications a été donné en 2009 par le fondateur ou le groupe de fondateurs du bitcoin signant sous le nom de Satoshi Nakamoto. Le succès du bitcoin a -bien entendu – créé des émules et, aujourd'hui, on dénombre plus de 2.000 cryptomonnaies et de nouvelles se créent chaque semaine.
Mais l'univers est bien dominé par le bitcoin, qui pèse près de 60 % de l'ensemble, le numéro 2 étant l'Euthereum avec une part de marché de l'ordre de 12 %. Au bilan, bien sûr l'envolée des contrevaleurs : le bitcoin « valait » 10 cents au printemps 2009 et a dépassé 60.000 dollars en avril de cette année. Mais aussi le nombre de détenteurs qui dépasserait 250 millions, pour un quart aux États-Unis.
La contrevaleur des crypto-monnaies dépasse 2.000 milliards de dollars 22 ans après l'article fondateur. Ce chiffre donne à la fois l'ampleur du phénomène et le ramène à ses proportions. Le stock d'or extrait est estimé à 170.000 tonnes, ce qui représente une valeur supérieure à 10.300 milliards de dollars. Les grandes monnaies sont dans une autre proportion. La masse monétaire au sens strict (M2) du dollar s'établit à 23.000 milliards de dollars.
Cela posé, les crypto-monnaies sont-elles des monnaies à la lumière de l'expérience ? Elles assurent des transactions sûres. Elles peuvent être stockées. Elles sont émises en rémunération d'un travail : celui fournit par les fameux mineurs qui obtiennent des certificats en rémunération d'opérations informatiques. Mais les écarts de valorisation ne donnent pas au bitcoin, à l'Euthereum ou aux semblables la qualité première que doit avoir une monnaie : la confiance.
Ces crypto ne sont pas des monnaies. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en aura pas qui le seront. La
faillite de Law et la déroute des assignats n'ont pas condamné les billets de banque.
La blockchain dans la finance est loin d'être condamnée. Mais, pour les précurseurs, l'heure est à tenter d'endiguer une vraie chute. Le Bitcoin a affiché 64.000 dollars le 14 avril et, encore 58.000 dollars il y trois semaines. La chute a été sans pause jusqu'à 40.000 et, depuis 10 jours, une stabilisation est tentée entre 35.000 et 40.000. L'analyse technique qui peut aider pour un « actif » tellement atypique est plutôt alarmante : la hausse a été si rapide que le support de 35.000 doit garantir les suivants qui sont peu nombreux à 30.00, 23.00 et 20.000. Un retour à 10.000 ne peut pas être exclu sur ces bases d'analyse.
La chute a été enclenchée par une double alerte. La première donnée par le fameux Elon Musk qui est revenu sur sa décision d'accepter les paiements bitcoin pour les Tesla en invoquant le bilan climatique désastreux de la crypto. La deuxième est plus marquante : les autorités chinoises ont décidé d'interdire (et de réprimer cela va sans dire dans le pays) l'exploitation et le commerce du bitcoin.
Évidemment l'encadrement de la liberté des paiements blockchain s'inscrit dans la ligne politique du parti communiste. Mais, justement les deux pays qui ont entretenu le plus de « fermes de production » c'est à dire de centres informatiques d'émissions de bitcoin sont deux pays totalitaires : la Chine, mais aussi l'Iran. Si Pékin renonce à une activité très bénéficiaire pour le pays, c'est que les questions de fond sont plus importantes. La réaction chinoise en annonce sans doute d'autres de la part des grands pays et des grandes banques centrales qui ont souvent adopté jusqu'ici une attitude de collaboration.
Les bitcoins ou l'Euthereum ne sont pas faciles à appréhender. À long terme qu'est-ce qui pourra justifier une valeur ? Rien d'autre que ce que des acheteurs voudront en donner. Mais c'est le cas de tous les actifs.
Le précédent de la fameuse spéculation des tulipes en Hollande au début du XVIIème siècle est souvent évoqué : le cours du bulbe était passé de 50 à 6.500 florins en deux ans, avant de retomber à 50 florins en trois mois. La littérature a aussi illustré ce type de situations: Obélix et Compagnie est un album où César provoque une spéculation sur les menhirs dans le but de noyer la résistance gauloise dans l'argent. S'en suit un krach et le sage Panoramix nous donne peut-être les clés pour les premières crypto-monnaies : « On n'a jamais su à quoi pouvait servir un Menhir » et, après une dévaluation « le sesterce (dont les Gaulois avaient été arrosés) y en a plus rien valoir du tout ».
Après les excès actuels, la blockchain va s'imposer dans la vie économique. Pour devenir finalement des monnaies, les crypto devront muter. Il leur faudra être convertible. Convertibles en monnaies d'État comme la Chine l'envisage avec le eYuan, comme l''Europe avec un eEuro, comme des institutions américaines aussi l'étudient. Convertibles aussi en biens réels comme le pétrole, le kWh, des paniers de devises ou de produits.
Des stablecoins (pour crypto-monnaies stables) sont déjà en place et peuvent assurer un rôle de monnaie dans la blockchain. Mais pour la convertibilité, il faut de la puissance (pour assurer cette convertibilité) et de la confiance. L'avenir des crypto-monnaies ne va sans doute pas rester lié au bitcoin. Mais il demandera peut-être un Bretton Woods numérique comme le dollar convertible de l'après-guerre a construit la croissance des 30 glorieuses.