Vu d'Europe et, plus encore des marchés financiers, l'actualité c'est la vigueur du rebond économique post-Covid, la mesure de l'inflation américaine et ses conséquences sur la gestion monétaire de la Réserve Fédérale et, en répercussion de la Banque Centrale Européenne, la puissance des plans de soutien et d'investissements budgétaires. C'est aussi une communication politique américaine, répétée au sein de l'Union Européenne, qui annonce le retour du « multilatéralisme » dans les relations internationales.
Il y a certes des avancées comme le taux minimal d'imposition de 15 % pour chaque société internationale dans chaque pays où elle exerce son activité « décidé » par le G7 Finance. L'application confirmera bien sûr la maxime du diable dans les détails. On doit retenir que, sur ce point, comme sur bien d'autres, la vision du multilatéralisme américain est plutôt autoritaire, sinon impériale. Le rassemblement des alliés autour de l'OTAN face à la Russie et à la Chine, déniant en quelque sorte une dimension politique à l'Union Européenne est une autre illustration de cet impérialisme américain simplement remanié dans la formulation.
Le retour de discutions bilatérales avec la Russie est un autre aspect de ce monde nouveau qui n'a rien de bien neuf. M. Biden s'est installé dans le domaine géopolitique comme dans bien d'autres dans les pantoufles de M. Trump. Le sujet c'est la guerre sino-américaine. Une guerre économique et financière mais pas seulement. Une guerre de puissance avec de multiples aspects.
Face à cela : la Chine avance...
Notre univers médiatique nous présente une actualité chinoise pour le moins contrastée.
Les analyses de la source de l'épidémie de la Covid pointent sérieusement la probabilité d'une responsabilité des systèmes de santé au moins dans la mobilisation initiale, sinon davantage. Le sentiment négatif sur le pays est renforcé par la mise à la norme communiste de Hong Kong. Les jugements moraux de l'Occident ne remettent bien sûr pas en question la stratégie, qui s'accélère sur un rythme fixé à Pékin sans grand souci d'image.
Un point d'actualité en ajoute encore à ce sentiment critique. L'incident sur l'EPR de Taishan cette semaine pose des questions sur les compétences techniques de l'industrie, sur les process de sécurité et, aussi, sur la stratégie énergétique de la Chine qui mise sur le nucléaire pour prendre un jour le relais du charbon.
Face à cela, la sortie de l'épidémie qui donne au pays un avantage de calendrier et un recul sur la stratégie sanitaire. Face à cela aussi – et en conséquence – un rebond économique puissant. Pas loin de 9 % de croissance sont attendus cette année alors que la conjoncture a échappé à la récession l'année dernière. Pas loin de 6 % anticipés pour 2022.
Sur deux ans, la croissance chinoise va creuser un écart de 3,7 % avec celle des États-Unis, de 7 % avec celle de l'Allemagne ou de 5 % avec celle la France. Le plan de soutien budgétaire américain massif ou celui, nettement moins ambitieux de l'Europe, ne peuvent se comparer avec la dynamique chinoise propre. Le PIB chinois est aujourd'hui supérieur de plus de 7 % à son niveau d'avant-crise.
Ce succès économique s'appuie aussi sur une mutation du modèle de manufacture industrielle du monde vers une économie plus centrée sur l'interne, sur les services mais, aussi et peut-être surtout, sur des conquêtes technologiques. Cette semaine, le retour de cosmonautes chinois (on les appelle taïkonautes) dans la station orbitale est une démonstration dans le domaine stratégique de l'espace. Ce symbole illustre les ambitions dans les technologies numériques en général, dont, bien sûr Huawei est le porte-drapeau.
La stratégie du cheval de Troie et celle des transmissions de données (pour ne pas dire de viol de propriété industrielle) est loin d'être l'apanage des géants chinois et, en particulier les Gafam n'ont pas grand-chose à leur envier. Il y a cependant une différence de taille : les acteurs chinois sont contrôlés de fait par le pouvoir politique alors que les grands américains du numérique sont des entreprises capitalistes dont l'objectif doit être le profit.
Les administrations américaines vont continuer à batailler sur les données et la propriété industrielle. Leur complicité avec les Gafam les freinent pas mal. Mais c'est surtout la puissance économique chinoise vis-à-vis de l'ensemble des grandes économies qui, au moins jusqu'ici, a conduit à une drôle de guerre commerciale plus qu'à une guerre ouverte.
On a bien compris que ce n'est pas notre environnement médiatique ou politique qui permet de juger la Chine. Nos critères ne sont pas les leurs et, aujourd'hui, l'heure est à la mobilisation nationale.
La réussite économique se veut celle d'un modèle politique. Dans quinze jours, le 100ème anniversaire du Parti Communiste Chinois va être célébré. Le pays aime les rendez-vous comme celui du Nouvel An ou la fête des lanternes. Les régimes totalitaires savent de plus bien orchestrer les célébrations. Celle de juillet se place dans cette mobilisation autour des succès de la République Populaire.
Les cent ans de pouvoir communiste sont présentés aux chinois comme un tout, avec le bilan d'aujourd'hui, de la pauvreté éradiquée et du système social avancé. L'histoire officielle du parti présente ce siècle comme une continuité d'avancées, le Grand Bond en avant ou la Révolution Culturelle étant même qualifiés « d'expériences précieuses » et la période Mao « d'années de grandes réalisations aux résultats impressionnants ». Les analyses critiques occidentales, les victimes comptées par dizaine de millions relèvent « du nihilisme historique » : seule l'histoire officielle peut faire foi. Et elle est la seule autorisée.
Le slogan des fêtes du centenaire « Écoutez le parti, appréciez le parti, suivez le parti » résume la tonalité. On aurait cependant tort d'imaginer qu'il ne repose pas sur une adhésion large. Si 7,1 millions de cadres anciens du parti, soit 8 % des membres vont recevoir la médaille du 1er juillet, la mobilisation des cinémas, des théâtres et autres lieux de spectacle et celle des musées et lieux historiques du parti convainc très largement dans le but avoué « de créer une atmosphère grandiose, chaleureuse et festive ». Les cérémonies officielles vont démontrer l'assise populaire.
Même si l'organisation de fêtes officielles est évidemment artificielle pour une part, c'est, un peuple uni autour du miracle économique et d'un pays « modérément prospère à tous les égard » qui va s'affirmer.
Le modèle de la pensée de M. Xi Jinping veut donner de la Chine une image « aimable et respectée dans le monde. » Les intentions les plus louables sont affichées comme l'approche centrée sur les individus et l'amélioration de leur bien-être, le développement durable, l'État de droit, la vie en harmonie avec la nature ou la construction d'une communauté de destin pour l'Humanité. Mais les 14 points de la « pensée » décrivent aussi les moyens : assurer la prééminence du parti, suivre un socialisme aux caractéristiques chinoises, pratiquer les valeurs socialistes fondamentales comme le marxisme et le communisme, exercer une gouvernance totale sur le parti communiste.
On voit dans la gestion des sociétés numériques, celle du change et des masses monétaires, ou l'encadrement des « fermes de production » de crypto-monnaies que pouvoir absolu ne s'interdit absolument rien. Ce n'est peut-être pas un détail de noter l'intervention publique cette semaine sur le marché des matières premières pour limiter le transfert des prix de revient aux prix de vente. La pression sur la demande ne va pas cesser pour autant, mais c'est une guerre des prix avec les États-Unis qui est préparée en amont des effets de l'inflation américaine des salaires.
Le lendemain des fêtes du centenaire, ce n'est pas la Chine qui risque la gueule de bois. La guerre de puissance à laquelle les américains ne vont pas renoncer va pouvoir redevenir le grand sujet de la stratégie mondiale, avec des effets déstabilisateurs, y compris sur les marchés financiers. Un sujet seulement effleuré aujourd'hui mais dont la persistance malgré le changement d'administration des États-Unis montre une réalité qui va s'affirmer.