Les nouvelles sont bonnes : les économies progressent dans l'ensemble des grands pays, l'inflation serait pour le moment bien contenue, les perspectives sont portées par les politiques budgétaires et monétaires, les dynamiques propres les amplifient.
Les marchés financiers sont le reflet de cette conjoncture exceptionnelle d'un après crise exceptionnelle, sur un fond de partage financier particulier : des agents économiques aux finances saines et des États surendettés. Les niveaux records dans lesquels les indices se stabilisent tout en continuant à progresser sont le produit d'un très beau semestre : 12 % pour les marchés américains, 16 % pour les européens (un peu mieux pour la France), mais seulement 6 % au Japon et entre 2 % et 3 % pour les actions chinoises.
À ce stade, on ne voit pas bien ce qui peut empêcher la poursuite d'un mouvement de hausse des actions européennes et américaines qui fait un peu boule de neige depuis les points bas du début du printemps 2020. Le scénario économique et financier idéal qui suit une récession atypique et qui est précisément porté par la gestion des conséquences des mesures prises en réaction aux dispositifs sanitaires offre-t-il toujours un beau potentiel pour les actifs? En d'autres termes, qu'est-ce qui est déjà dans les cours et qu'est ce qui reste sous le pied ?
L'épidémie n'est pas éteinte, mais elle recule indiscutablement. C'est bien sûr sensible dans en Europe et en Amérique du Nord : l'année dernière, la saison d'été avait déjà fortement limité la diffusion. La situation est cependant bien différente. En premier lieu en raison des campagnes vaccinales où l'Europe (avec 40 % de la population de vaccinée au moins une fois) suit désormais les pays en avance comme le Royaume-Uni (60 %), Israël (plus de 60 %) et, bien sûr, les États-Unis (50 %). En deuxième lieu – et en sens inverse – du fait de la circulation toujours active du virus, y compris en Grande-Bretagne par exemple, ce qui lui permet de muter.
Il y a donc des raisons de rester prudent dans la perspective d'une saisonnalité qui sera plus dure à la fin de l'été comme cela a été le cas l'année dernière et comme c'est le cas aujourd'hui en Amérique latine. Pour autant, les études dans les pays à fort taux de vaccination montrent que, si la diffusion peut demeurer active, les taux de contagion restent pour le moment très inférieurs aux niveaux des vagues précédentes et, surtout, que les vaccins sont efficaces face aux variants et préviennent les formes les plus graves pour les personnes infectées.
Nous savons que nous allons devoir vivre un moment avec le virus de la Covid-19. Mais ce qui est aujourd'hui dans les cours de Bourse, c'est à dire des économies durablement libérées des menaces de blocages sanitaires, n'est pas en cause. Pour autant, au vu des anticipations sur ce plan, il n'y a pas de bonus à attendre, mais à priori au mieux des confirmations.
Les décalages dans l'épidémie et, en conséquence dans son traitement, permettent d'anticiper sur les scénarios économiques.
C'est de Chine qu'est parti le virus, c'est de Chine que son traitement massif a été effectué, c'est de Chine que l'économie est repartie. Avec les précautions vis-à-vis des indications statistiques locales, celles en matière de santé étant autant sous contrôle que celles concertant l'économie, on constate un niveau d'activité qui dépasserait aujourd'hui 107 % de ce qu'il était à la veille de l'épidémie.
La machine tourne suffisamment vite pour que les autorités infléchissent leur politique monétaire. Les mesures de relance prises par la Banque Populaire de Chine sont ralenties et pour certaines abandonnées. L'écart entre la dérive des prix à la production et à la consommation justifie ce tour de vis, pour éviter que les goulots d'étranglement n'enclenchent une flambée. En tout cas, le recul de la dynamique du crédit depuis deux mois montre que cette politique fonctionne et que la deuxième économie du monde est entrée dans une phase de gestion normalisée. La dynamique retrouvée et le maintien des investissements (forcément publics ou para publics) permettent cette direction vers davantage d'orthodoxie. La croissance va approcher 9 % cette année et rester au-dessus de 6 % en 2022.
On est loin d'en être à la restriction aux États-Unis ou en Europe. Avec une avance de près de six mois en Amérique du Nord, la consommation a relancé une très forte croissance que rien ne justifie pour le moment de contrarier. Les indicateurs avancés des directeurs d'achat, du climat des affaires ou du sentiment des ménages mettent en évidence l'entrée aux États-Unis et l'entrée à l'automne en Europe dans une phase d'accélération qui approche les maximums envisageables. Les records affichés par les fameux PMI américains en sont le témoignage.
Les scénarios sont assez bien accrochés et les taux de croissance révisés de semaine en semaine :
pas loin de 7 % aux États-Unis cette année et au moins 4,5 % en 2022 ; 4,5 % pour les deux exercices en Europe.
Les investisseurs peuvent de plus s'appuyer sur la diffusion large de cette conjoncture aux bénéfices des entreprises : les résultats des valeurs moyennes surperforment très nettement les grandes valeurs.
On comprend que les cours ont anticipé sur ces croissances exceptionnelles des deux côtés de l'Atlantique. Cela est mesuré, par exemple, par la hausse des valeurs cycliques, nettement supérieure à celle des défensives depuis janvier. Mais les révisions constantes semblent indiquer qu'il y a encore du potentiel et, que de ce point de vue, tout n'est sans doute encore pas pris en compte dans les cours de Bourse.
Les facteurs de stabilisation jouent déjà. Le principal est la contrainte mise par l'offre sur cette croissance soutenue par la demande des ménages et des entreprises ainsi que par les investissements publics. Stocks bas, délais de livraisons qui s'allongent, lenteur à reconstituer les chaînes de production et leurs procédures, tensions que les cours des matières premières et sur le fret : le frein est réel aux États-Unis.
Au-delà des à-coups conjoncturels, la conséquence est directe sur les prix des matières premières et des produits d'amont bien sûr, mais la transmission ne fait sans doute que commencer sur les salaires. L'inadéquation du marché du travail américain annonce de vraies hausses des rémunérations à partir de l'automne.
Derrière le discours officiel de la Réserve Fédérale qui continue à parler d'effets transitoires dans l'inflation mesurée, une inflexion du ton est déjà perceptible. Les comptes rendus du comité de politique monétaire sont rédigés de façon à mettre en évidence des positions plus restrictives. Et le président de la Fed lui-même, certes en des termes très balancés, laisse entrevoir des analyses d'inflation qui ne se limitent pas à une vue passagère.
Après le pic de 5 % de mai (et de 3,8 % pour la dérive des prix sous-jacente) ce n'est qu'au premier trimestre 20211 qu'on pourra tabler sur de moindres effets de base. Mais la dynamique propre des prix se développera sans doute alors.
Cependant, il n'y a pas de sujet monétaire immédiat : c'est le symposium des banques centrales de Jackson Hole fin août qui est le grand rendez-vous. S'il n'y a pas de sujet pour la Fed, par construction, il n'y en a pas pour la Banque Centrale Européenne.
Ce qui est anticipé dans les cours de Bourse pour la gestion monétaire est encore solide pour deux mois au moins.
La deuxième jambe du mix de politique économique, les investissements budgétaires commencent seulement à se développer et le pic du cycle n'est peut-être pas loin dans les anticipations américaines, mais il n'est pas atteint. A fortiori, c'est encore davantage le cas en Europe du fait de son retard. La tournée de la présidente de la Commission qui valide le plan d'investissements européen permet de tabler sur 700 milliards étalés sur les exercices 2022 à 2026 (7 % du produit intérieur brut de la zone euro).
Au total, les perspectives économiques sont bien accrochées. La Chine va infléchir et, forcément, à partir du troisième trimestre, la croissance américaine va se ralentir un peu. En Europe, le sujet sera le poids des dettes publiques, les stratégies pour les gérer sinon les réduire, avec les élections allemandes et le dogme du « zéro déficit » qui va réapparaître.
D'un autre côté, le frein qui serait constitué par les engagements climatiques n'est pas pris en compte. De fait, la croissance sera privilégiée sans vraies contraintes environnementales autres que celles des investissements, qui, justement amplifieront le cycle.
Les scénarios justifient les cours de Bourse et il y en a sous le pied avec les relèvements successifs des perspectives. Ce qui peut changer la donne, ce sont les facteurs de stabilisation ; les changes bien sûr, les prix aussi, les taux d'intérêt surtout. Ce n'est pas tant les politiques monétaires en elles-mêmes que les taux réels qui joueront sur les évaluations des actifs.
Ces taux réels, aujourd'hui négatifs, vont se reconstituer avec la croissance. C'est la séquence suivante qui mesurera ce qui est anticipé dans les cours de Bourse. Mais la revue des fondamentaux montre qu’on n’en est pas là. Malgré les records et les hausses spectaculaires, tout le potentiel n'est pas encore payé par les investisseurs.