Au jour le jour, les marchés financiers sont soumis aux nouvelles et pronostics sanitaires, aux statistiques économiques et aux mesures monétaires et budgétaires envisagées. L'épidémie et les risques de « nouvelle vague » avec des mutations du virus prend le pas depuis quelques séances sur les risques d'inflation et sur les analyses sémantiques des communications des banquiers centraux qui en découlent. Pour l'heure, les stratégies monétaires et budgétaires sont loin d'être remises en question.
Semaine après semaine, les données économiques instantanées (comme les utilisations de cartes bancaires par exemple), aussi bien que les statistiques brutes et les indicateurs avancés (comme les intentions des directeurs d'achat ou le sentiment des ménages) incitent à réviser à la hausse les scénarios macroéconomiques.
Pour les investisseurs, ce sont les flux de trésorerie qui dirigent le court terme. Leurs incidences pour toutes les classes d'actif, y compris celles ne bénéficiant que de la rareté comme l'or ou certaines crypto-monnaies font la tendance. Mais il y a toujours un retour à la réalité, en particulier pour les investissements en capitaux ou dettes à destination des États, des organisations ou institutions, de montages de construction d'unités de production ou d'infrastructures et, bien sûr, des entreprises. C'est en passant des impacts des flux publics et monétaires et de la macroéconomie à la microéconomie qu'on devra finalement rattacher les performances boursières à la réalité.
En d'autres termes, les perspectives de bénéfices justifient-elles les valorisations des Bourses ?
L'environnement se caractérise, pour les grandes économies, par une reprise forte et qui s'accélère, accompagnée d'une inflation que les banques centrales et les intervenants sur les marchés financiers s'accordent à estimer transitoire. Le choc économique de 2019 a débouché sur un rebond qui était attendu, mais sans doute dans des proportions plus fortes et à une vitesse plus élevée.
Le retour des économies à leur niveau de 2019 est largement dépassé en Chine, acquis aux États-Unis et en vue d'ici la fin de l'année en Europe. La tendance de croissance long terme doit être retrouvée un peu partout dans le courant de l'année prochaine, effaçant la récession.
Ces projections sont bien sûr soumises à l'actualité sanitaire dans un monde qui va se trouver durablement sous cette pression : au-delà de l'épidémie de la Covid-19, les pouvoirs politiques ont pris en charge la gestion de la santé des populations. Derrière le pouvoir totalitaire chinois, l'ensemble des pays a imposé des limitations drastiques à la liberté des peuples et à celle des agents économiques. La prime de risque qui devra découler de cette stratégie autoritaire totalement nouvelle n'est pas à l'ordre du jour dans le cycle de rebond, mais devra s'inscrire progressivement dans les gestions des actifs.
On n'en est pas là et l'accélération des cours a été la règle depuis le début de l'année en Europe et
aux États-Unis qui affichent entre 14 et 20 % de hausse. Cette envolée a fait plus qu'amplifier les mouvements précédents. Sans doute plus de perspective permet de mieux apprécier : sur trois ans l'Eurostoxx gagne 20 %, le S&P 500 50 % et le Nasdaq a doublé. Le Japon affiche 30% et les indices chinois entre 30 et 60 %. On retrouve mieux que dans le court terme les conséquences du cycle mondial.
Cela posé, c’est la dernière phase de la hausse, amorcée en novembre de l'année dernière à partir des niveaux des moyennes historiques récentes qui demande une adéquation des profits. Elle traduit en effet une valorisation supplémentaire par rapport aux niveaux pré-épidémie.
On a pu observer que les analystes financiers ajustaient leurs estimations avec retard dans les périodes de ralentissement de la croissance comme dans celles d'expansion. Il n'en est pas de même des investisseurs qui anticipent. Aujourd'hui, ce sont les analystes qui ont la main pour prendre la mesure de la hausse des cours.
Les indicateurs avancés sont la base des révisions à la hausse. La dynamique des enquêtes des directeurs d'achat est loin de se tarir : pour le second semestre, les PMI européens vont, sauf regain épidémique violent, durablement rester au-dessus de 60, ce qui confirmerait une conjoncture record et inédite depuis la publication de ces enquêtes.
Les ajustements macro - cette semaine encore l'INSEE porte la projection de croissance française 2021 à 6 % - sont enregistrés en amont par les investisseurs mais, aussi finalement, par les analystes financiers qui se basent précisément sur les PMI.
En trois mois, la projection des bénéfices des sociétés du CAC 40 en 2021 a été portée de 55% à 70%. La Bourse n'a fait que prendre en compte la perspective puisque, sur la période le taux de capitalisation de ces bénéfices (le PE) est resté stable à 19 fois. Le constat est le même pour les actions américaines du S&P 500 : le PE 2021 est resté stable entre 20,5 et 21 fois, alors que la progression des profits est estimée à 47 % contre 34 % fin mars.
Bien sûr, il s'agit de moyennes, et les secteurs cycliques tirent cette bonne tendance anticipée. Mais il faut retenir du constat que, sur le trimestre, les investisseurs ont été cohérents avec les fondamentaux. Les multiples stables pourraient même laisser un potentiel en raison d'une certaine modération dans les projections de bénéfices 2022 : 14 % pour le CAC 40, 8 % pour le S&P 500. La trajectoire des PMI au moins jusqu'à l'automne annonce des relèvements pour l'année prochaine.
Le constat des taux de capitalisation et des estimations de bénéfices apporte au total un peu de sérénité malgré des records boursiers qui donnent le tournis. Mais, justement, la cohérence des anticipations va imposer de voir plus loin. C'est à la fin 2022 et, surtout, en 2023 que sont les rendezvous. Le pic de rebond conjoncturel sera bien passé et le retour dans des moyennes se conjuguera avec un peu de reprise en main des politiques monétaires et budgétaires.
Le relèvement des taux directeurs américains accompagné par des reprises de masses monétaires est au calendrier 2023, année où les plans publics d'investissement seront stabilisés, et des hausses d'impôts sans doute inéluctables.
Au total, le mix de politique monnaie-budgets ne sera peut-être pas fortement restrictif, mais il cessera d'être aussi favorable à la conjoncture.
Reste l'inflation. Les effets de base vont cesser de jouer à partir de l'automne, mais on attend en amont – au symposium de Jackson Hole de la fin août - le diagnostic de la Réserve Fédérale américaine sur la dérive des prix sous-jacente. Ce n'est sans doute pas la pression sur les marges venant des hausses de coûts, notamment salariaux qui pourra enrayer la hausse continue des cours. La vérité des ratios comme le PE, c'est celle des taux d'intérêt. Tant qu'on en est là - et toujours sous la condition du règlement sanitaire - il n'y a pas vraiment d'excès sur les Bourses.