Euro. Pour le grand public, l'euro fait l'actualité : c'est ainsi qu'est baptisé le championnat d'Europe de football. C'est bien sûr un pied de nez de constater que la finale de ce championnat se disputera dimanche au stade de Wembley à Londres. La provocation va plus loin : elle va opposer l'Italie (pas vraiment une championne des critères de la monnaie unique) à l'Angleterre, détachée formellement de l'Union Européenne il y a près de 18 mois, le 31 janvier 2020.
Les spécialistes du sport au ballon rond relèvent que la dernière grande finale londonienne – que l'équipe d'Angleterre avait gagnée – remonte à la Coupe du Monde de ... 1966, six ans avant l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté Économique Européenne.
Au-delà de la chronique sportive et des aléas du spectacle, les projecteurs sont aussi braqués sur la situation économique britannique, un an et demi après la rupture.
On ne mentionnera que pour la forme les excès de la campagne électorale du référendum de 2016. Les partisans du Brexit comme ceux du Remain n'avaient pas fait dans la nuance, pour promettre le meilleur en cas de succès de leur camp et, surtout, le pire en cas de choix inverse. On doit bien sûr faire grâce de rappels qui pourraient être pénibles.
Les scénarios ont été bousculés par la crise sanitaire. Cela ne doit pas empêcher le constat qui n'est bien sûr pas conforme aux promesses les plus optimistes des gagnants de mai 2016, mais qui, surtout, ne reflète pas les scénarios apocalyptiques des europhiles britanniques et des institutions politiques, économiques et financières.
La récession du Royaume-Uni en 2020 a approché 10 %. C'est sensiblement plus que la moyenne de la zone euro (6,7 %), mais moins que l'Espagne (10,8 %), pas beaucoup plus que l'Italie ou la France (8,9 % et 8,1 %). L'Allemagne affiche un chiffre moins mauvais (4,9 %). La performance britannique est plus la conséquence du déroulé de l'épidémie que celle du Brexit
Le décalage s'est confirmé au 1er semestre de cette année (dans l'autre sens) avec une amélioration plus rapide que sur le continent. Pour l'ensemble de l'année l'économie britannique vise le haut d'une fourchette 5,5 - 6 %, un demi-point de plus que la France et 2 % de plus que la zone euro. Les projections 2022 dans des hypothèses d'une situation sanitaire durablement restaurée, fixent un objectif compris entre 5 % et 5,5%, un point au-dessus de celui de la zone euro, de la France ou de l'Allemagne. Sur ce plan encore, la Covid pèse plus que le Brexit. Le marché des changes peut donner un point de vue plus pragmatique que les comparaisons macroéconomiques.
On ne peut que noter que, depuis la fin juin 2016, au lendemain du référendum, la livre sterling reste au final plutôt stable face à l'euro. La progression sur trois ans est simplement le reflet de la hausse de 4 % depuis le début de l'année, justifiée par la conjoncture favorisée par les vaccinations.
Les performances boursières ne sont pas aussi directement comparables, ne serait-ce qu'en raison de la composition des indices, en particulier le FT-100 fortement exposé aux matières premières. Des indices larges mettent en évidence un retard de performance par rapport aux marchés continentaux de l'ordre de 10 % sur trois ans malgré le rebond plus vif depuis le point bas du printemps 2020.
La politique sanitaire a été menée sur un tempo et même sur une philosophie marquée par l'indépendance. Plus affectée, plus contrainte, puis beaucoup plus vaccinée, la Grande-Bretagne présente un bilan sur ce point que le gouvernement Johnson a su jouer pour sa popularité et, surtout sans doute, pour soutenir le moral des agents économiques, celui des consommateurs et le climat des affaires. Le Royaume-Uni se présente aujourd'hui comme le laboratoire pour juger des variants du virus, de leurs menaces et de l'efficacité des stratégies, en premier lieu la vaccination massive. Au-delà de mesures de précaution prises par le gouvernement, l'environnement reste porteur pour l'économie et valide les scénarios.
Parmi ces scénarios, celui de la Banque d'Angleterre. Si la gestion sanitaire a été particulière, les budgets et la monnaie ont été gérés dans la ligne de la Réserve Fédérale, suivie par les grands pays et, en particulier l'Union Européenne. En toute indépendance évidemment, le cabinet a suivi les médications économiques mondiales. Les entreprises et les ménages ont été massivement soutenus tout au long de l'épidémie. Les régimes de chômage technique ont sauvegardé le marché de l'emploi et le fameux « Coronavirus Job Retention Scheme » est prolongé au moins jusqu'à l'automne.
Toujours en toute indépendance évidemment, la BoE a utilisé, comme ses homologues, les outils d'achats d'actifs, de lignes de crédit et de baisse des taux directeurs. La gestion monétaire met même en évidence le calendrier avancé de l'économie britannique puisque la BoE a diminué de 20% ses achats d'actifs hebdomadaires et programme déjà la réduction de son bilan pour l'année prochaine, avec une perspective de hausse des taux à échéance 18 mois.
Le Brexit redistribue les cartes. Mais les dégâts ne sont pas ceux qui étaient craints ou annoncés. Face aux pays de l'Union Européenne, le Royaume-Uni est trop puissant pour faire l'objet de vraies sanctions : les imbrications empêchent une révolution.
On peut le constater avec les investissements dans les domaines de l'automobile ou de l'aéronautique, des industries qui fonctionnent avec des équipementiers multiples et qui, aujourd'hui, sont loin de marginaliser les britanniques. Nissan ou Stellantis sont des exemples, qui ne sont pas uniques.
La question de la finance est différente. Son poids économique est estimé à 7 % du PIB britannique (avec un peu moins de 5 % des emplois). La contribution représente la moitié de celle de l'industrie manufacturière. Les chiffres sont à prendre avec précaution, mais les anglais affirment que moins de 3 % des 450.00 emplois de la finance ont été délocalisés vers Paris, Francfort et Amsterdam. La proportion est sans doute nettement supérieure et elle l'est en tous cas pour l'évolution des flux. Mais il n'y a pas de constat d'émigration massive.
Faire confiance au dynamisme des professionnels a été le choix de Boris Johnson qui a semblé préférer s'accrocher avec la négociateurs de Bruxelles sur la question de la pêche, marginale en termes économique (0,1% du PIB). Les faits valident pour le moment ce choix paradoxal.
Au bilan, si les promesses du Brexit ne sont évidement pas toutes au rendez-vous, les positions respectives du Continent et des Îles ne sont pas profondément modifiées. Le Royaume-Uni s'est toutefois déjà engagé sur une stratégie nouvelle et autonome, basée sur plus d'interventionnisme, des politiques salariales plus protectionnistes et plus redistributives, une gestion fiscale et budgétaire adaptée à ses seuls intérêts de court, de moyen et de long terme. Ses plans de soutien n'ont rien à envier au programme de l'UE.
Les relations commerciales post-épidémie vont devoir trouver un terrain d'appui et, en premier lieu avec l'Union Européenne. Il est établi désormais que, pour les européens du continent, le Royaume-Uni est trop gros pour être intégré sans contrepartie, mais aussi trop gros pour être ignoré.
Les freins mis par l'accord de Brexit pour l'exportation de services – sinon de produits manufacturés pour lesquels ils paraissent aujourd'hui illusoires – semblent condamnés à se limiter peu à peu face à la nécessité de croissance des deux cotés de la Manche. C'est la finance qui va donner le ton et, sur ce plan, les positions mondiales et la compétence, même si il faut relativiser les prétentions de la City, laissent envisager une nouvelle répartition, mais pas une cassure.
La question politique la plus sévère est encore et toujours l'Irlande. Un accord temporaire a mis fin pour le moment à la « guerre de la saucisse », mais le bras de fer va durer un moment. L'imposition des normes bruxelloises dans des échanges internes (Grande-Bretagne – Ulster) ne pourra pas facilement déboucher sur un accord de moyen terme alors que la reconstruction d'une frontière en Irlande est exclue par toutes les parties en cause. Quelles que puissent être les négociations, il faudra pourtant à un moment que les fonctionnaires de Bruxelles reconnaissent des normes britanniques et que leurs homologues donnent certains gages pour s'inscrire dans les leurs.
Cet « accord à la Suisse » s'imposera sans doute. Il consacrera finalement, malgré pas mal de points de frictions, le choix de l'indépendance britannique en lui permettant toutefois de profiter assez largement du marché ouvert.
C'est précisément ce que les négociateurs du Brexit avaient comme mission d'éviter : qu'un sortant de l'UE conserve des avantages en s'exonérant de contraintes. Le cas britannique n'est évidement pas extrapolable et on ne voit guère que l'Allemagne, la France ou l'Italie qui pourraient bénéficier d'une position de force équilibrant les négociations.
Cinq ans après le référendum, dix-huit mois après la rupture effective, à la période de blocages et d'incertitudes semble succéder une ère de relations normalisées et, pour le Royaume-Uni, de cycles basés sur les stratégies nationales de hausse de la croissance potentielle.
L'amélioration des perspectives y est plus vive que dans les autres économies et les analyses et annonces de la Banque d'Angleterre en sont un témoignage parlant. La prime de risque du Brexit devrait logiquement se réduire assez rapidement. La Grande Bretagne (et l'Irlande du Nord) se présentent comme un pôle de croissance de court et moyen terme au sein de l'Europe. La Bourse dégage des multiples qui marquent encore la décote politique, sans doute la devise aussi.
L'objet de cette chronique n'est pas de donner un pronostic pour le match de football de dimanche (l'Angleterre est favorite chez les bookmakers à la cote de 8/10), mais la réduction de la décote politique subsistante de la Bourse est de nature à relever sensiblement l'exposition de portefeuilles aux actions britanniques.