Dans le rebond généralisé et très vif des grandes économies, le Japon fait tache. Cela peut se mesurer aux performances boursières. Si, sur un an, la hausse à Tokyo est comparable à celle des autres grandes places – mieux que l'Europe, mais moins qu'à Wall Street – la progression depuis le début de l'année est quasi nulle quand on pointe entre 11 % et 15 % pour la moyenne de la zone euro, pour l'Allemagne et la France ou pour le Dow Jones et le Nasdaq.
Le Japon déçoit. Alors qu'on projetait en début d'année une tendance équivalente à celle de l'Europe ou des États-Unis, cette nouvelle stagnation met en évidence un changement de pied. Un changement qui n'est pas positif.
L'évolution des marchés reflète celle du pays et en premier lieu celle de son économie. Après une contraction de 3,9 % du produit intérieur brut au dernier trimestre de l'année fiscale (mois de janvier à mars 2021), la reprise est plus laborieuse que ce qui était attendu. Si les chiffres du 1er trimestre (le deuxième pour nous) ne seront publiés que le 16 août, le score final sera proche de + 4 % alors que les projections initiales tablaient sur plus de 4,5 %.
Pour l'ensemble de l'année fiscale (avril 2021-mars 2022), la Banque du Japon a ramené cette semaine son estimation de 4 % à 3,8 %. Elle ne vise pas un rattrapage en 2022-2023, période pour laquelle elle table sur une croissance modeste de 2,4 %.
L'Archipel se trouve en très net décalage par rapport à la zone euro, les États-Unis ou le Royaume Uni, mais aussi par rapport à ses voisins asiatiques et en premier lieu la Chine dont la croissance va approcher 9 % cette année et dépasser 5,5 % en 2022. La Chine et la conjoncture mondiale ne suffisent pas à tirer le Japon.
C'est - bien sûr - l'évolution sanitaire qui plombe la conjoncture. La population âgée du Japon -48 ans en moyenne et 28 % de plus de 65 ans - essuie sa quatrième vague de la Covid. Le retard vaccinal se paie aujourd'hui cher. Ce n'est que dans la troisième semaine de mai que le dispositif de vaccination a été complété : plus de trois mois de retard sur l'Union Européenne et plus de six sur les États-Unis. En conséquence, les mesures sanitaires qui freinent l'activité ne sont pas toutes suspendues aujourd'hui, en particulier dans la région de Tokyo. L'état d'urgence sanitaire est prolongé pour le moment jusqu'au 22 août.
À peine plus de 10% des Japonais vaccinés, c'est un frein particulièrement fort eu égard à la composante des services dans l'économie interne et, aussi, à la discipline des citoyens. La reprise d'aujourd'hui doit s'appuyer sur l'export sans vrai relais endogène dans un environnement marqué (de façon temporaire à priori) par un recul des investissements. Le décalage s'est confirmé au 1er semestre de cette année (dans l'autre sens) avec une amélioration plus rapide que sur le continent.
Pour l'ensemble de l'année l'économie britannique vise le haut d'une fourchette 5,5- 6 %, un demi-point de plus que la France et 2 % de plus que la zone euro. Les projections 2022 dans des hypothèses d'une situation sanitaire durablement restaurée, fixent un objectif compris entre 5 % et 5,5%, un point au-dessus de celui de la zone euro, de la France ou de l'Allemagne. Sur ce plan encore, la Covid pèse plus que le Brexit.
Les Jeux Olympiques 2020, reportés d'un an, devaient à la fois servir de vitrine à un Japon réformé trouvant une nouvelle dynamique et doper l'activité. La décision de ne pas les annuler, mais d'organiser les compétitions à partir de vendredi à huis clos brise un peu les deux ambitions.
Le dopant - un terme évidement à prendre avec prudence pour les disciplines sportives - qu'on pouvait espérer pour l'économie ne pourra pas être au rendez-vous. La décision était largement anticipée et le gros des dépenses, les infrastructures, a été investi. L'impact direct du huis clos est ainsi évalué seulement à quelques dixièmes de pourcentage. C'est l’élan qui ne sera pas là à partir de la période des jeux allant du 23 juillet au 8 août. Il ne permet pas de tabler avec une certaine fiabilité sur le boom à l'européenne qui est encore espéré sinon attendu à 7 % pour le second semestre.
Au moment où la Chine commence à prendre des mesures de resserrement de son économie, au moment où le pic de croissance a été passé aux États-Unis et où il est effectif en Europe, c'est à la baisse que les perspectives japonaises sont revues.
La photographie sanitaire et conjoncturelle porte un danger politique. Le départ de Shinzo Abe pour raison de santé en septembre l'an dernier a d'abord marqué la fin des ambitions portées par le Premier ministre ayant exercé la fonction le plus longtemps. Pour « remettre sur pied le Japon », M Abe avait lancé un programme très ambitieux de réformes : les « Abenomics » présentées sous forme de deux séries de trois flèches : fiscale, monétaire et de croissance de long terme, puis réforme du marché du travail, redressement démographique, refonte des mécanismes sociaux.
M. Abe n'aura pas tout gagné sur les réformes. Il n'aura pas atteint son objectif de PIB 2020 de
6 milliards de dollars (5 milliards en 2019). Il aura laissé à son successeur Yoshihide Suga, au-delà de l'épidémie, une situation mitigée avec toutefois un taux de chômage de 3%, dans les plus bas niveaux historiques. Mais les dépenses publiques et les injections monétaires qui ont assuré le cycle des deux derniers mandats Abe (2014-2019) ont accru le déséquilibre financier du pays, à nouveau accéléré avec la crise sanitaire.
La mauvaise situation économique actuelle (puisque sanitaire) semble de nature à bousculer le soutien parlementaire au Premier ministre Suga. Les élections à la Chambre des Représentants d'octobre prochain pourraient fragiliser la coalition menée par le part libéral-démocrate et ouvrir une période d'instabilité politique avec des gouvernements basés sur des majorités faibles et de circonstances, alors que M. Abe et son successeur qui est un de ses proches, ont assuré la stabilité nécessaire à la mise en place de réformes de fond depuis 2012.
Les incertitudes politiques et celles concernant le cycle sous pression sanitaire entretiennent la méfiance vis à vis du Japon. Elles ne doivent pas occulter la très forte résilience du modèle de consommation et d'épargne, la compétitivité à l'export et en particulier aux États-Unis et en Chine et, bien sûr, le soutien du mix budget-monnaie. Une instabilité ministérielle ne pourra remettre en question le soutien apporté par le déficit public. La Banque du Japon pourra poursuivre sa stratégie expansionniste : un total de bilan supérieur à 1,3 fois le PIB n'est pas un frein.
Aujourd'hui les marchés financiers sont soutenus par de la croissance et craignent la situation sanitaire et l'inflation. Au Japon, la croissance va rester faible, la situation sanitaire médiocre, mais il n'y a pas de pressions inflationnistes en vue. La déception du premier semestre est encaissée, la situation n'est pas dangereuse, mais il fait bien reconnaître que la dynamique est bien absente.