Le nouveau tournant de l'actualité sanitaire ne rompt pas la politique. Les différentes bureaucraties ont été mises au travail par les gouvernements pour proposer des règlementations visant à servir les engagements climatiques plus ou moins pris par les uns et les autres en 2015 (les États-Unis subordonnent par exemple toute action à un vote du Congrès à majorité simple ou qualifiée) à l'issue de la fameuse conférence de Paris sur le climat. Cette semaine, le Parlement français a adopté une loi dite « climat et résilience ». La Commission Européenne a a présenté dans le même temps un « paquet législatif » baptisé en anglais (une langue étrangère pour 25 des 27 membres de l'Union !) « fit for 55 ». Pour 55 % de réduction de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990.
Les machines administratives sont en marche en Europe et particulièrement en France où elles sont toujours motivées dès lors qu’il s’agit de règlementer. Les contraintes peuvent venir s'ajouter aux orientations des plans d'investissements annoncés sur le vieux Continent, mais aussi aux États-Unis ou au Royaume Uni où Boris Johnson a baptisé le sien de « plan pour une révolution industrielle verte ». Un symbole pour le pays qui a porté la révolution industrielle du XIXème siècle avec l'exploitation de ses gisements de charbon.
Cette révolution prend ainsi forme et ne peut être reléguée à une péripétie de la mode. Les investisseurs – qui ne craignent pas les effets de mode- en ont bien pris la mesure. Les spécialistes de procédés limitant les émissions de gaz carbonique ou les sociétés des secteurs fortement émettrices qui mènent des plans actifs de réduction sont par exemple déjà des gagnants en Bourse sur ces critères nouveaux.
L'adoption de la loi Climat a été laborieuse. Bien sûr, l'épidémie n'y est pas pour rien. Mais la méthode semble avoir été définie au départ pour ôter tout soutien populaire à une démarche qui, pourtant, avait des fondements démagogiques à peine cachés.
Le tirage au sort orienté pour constituer une « commission citoyenne » dirigée de fait par des activistes du sujet n'a pas seulement marqué une rupture des pratiques démocratiques. Il a coupé tout lien de confiance avec les Français, d'autant qu'il a conduit, c'était inévitable, à certaines propositions irréalistes au milieu d'un catalogue de 149, souvent marqué par des intentions louables mais peu définies. L'affichage des scores carbone à tout moment de la vie de chacun, la réduction de la publicité pour limiter la consommation, en particulier une consommation qui serait « non choisie » auraient été à la fois des atteintes à la liberté et des dispositifs contreproductifs. Les contrôles, sanctions, hausses de taxes et interdictions diverses devaient immanquablement fédérer des contestations sectorielles.
Évidement les automobilistes étaient particulièrement visés dans ce cadre. On sait que l'enfer est pavé de bonnes intentions, mais la « commission citoyenne » promettait un peu d'enfer. Le retour à la légalité avec les débats parlementaires a permis de placer la stratégie dans un peu de cohérence et de rapprochement avec la réalité de la vie des Français. Un référendum ne pouvait qu'être exclu, le débat ayant toutes les chances de se focaliser sur des sujets très clivants et, au final risquant en plus de se résumer au soutien ou au rejet de président de la République. Le texte approuvé cette semaine reste ambitieux et sa légitimité est marquée par son adoption à mains levées au Sénat : la vision et la sagesse ont permis d'éviter le plus dangereux d'une loi de circonstance et de communication.
La communication, bien plus que l'analyse, est au centre des débats climatiques. Entre ceux qui parlent de « planète à bout de souffle » et les sceptiques qui veulent replacer dans le très long terme la démographie mondiale, les Cassandres professionnels sont sûrs de gagner sur les ondes ou les réseaux sociaux, mais leurs opposants fédèrent aussi. Bien sûr, dans 4,5 milliards d'années, la planète sera toujours là … sans doute sans les homos sapiens. On doit reconnaître au travail parlementaire d'avoir défini des objectifs crédibles. Le point central est de simplement « tendre » vers une réduction des émissions de gaz à effets de serre en 2030 de 40 % par rapport à 1990.
La commission Européenne est une instance administrative non élue, mais, au moins, ses membres ne sont pas tirés au sort, et ils bénéficient d'une certaine liberté puisque leurs propositions doivent recueillir le soutien de l'unanimité des chefs de gouvernement et le vote de chacun des parlements nationaux (plus le Parlement Européen). Les possibilités de censure peuvent donner de l'audace.
C'est ainsi plus une feuille de route proposée qu'une politique qu'elle a présentée cette semaine. Les émissions de gaz carbonique sont bien au centre du dispositif avec des ambitions plus élevées que celle de la loi française : 55 % de réduction en 2030 par rapport à 1990 et une neutralité carbone en 2050. Il est vrai que chaque Français émet l'équivalent de la moyenne mondiale, 46 % de moins que celle de l'OCDE ou que les Allemands et les Néerlandais, 15 % de moins que les Italiens ou les Britanniques. Nous sommes 70 % au-dessous des Américains, 38 % au-dessous des Chinois, mais bien au-dessus de pays comme l'Inde (1,6 fois) le Brésil (1,3 fois) ou le Nigeria (5,5 fois). Nous avons en tout cas de la marge pour suivre les ambitions planétaires de l'accord de Paris.
En plus de taxes nouvelles (pour les transports aérien et maritime par exemple) ou de contraintes (à l'importation et sur les véhicules automobiles), la Commission propose des incitations et la création d'un fonds social.
La question sociale n'est pas un sujet anodin : les politiques climatiques sont des sujets de riches. C'est le cas pour les pays, pour les entreprises dont la capacité à agir dépend de la rentabilité et, bien sûr, pour les ménages. La crise sanitaire enrayée sinon réglée, la croissance mondiale ne sera maintenue qu'au prix d'une réduction des écarts de revenus. C'est l'analyse des économistes américains et il n'est pas neutre de retrouver directement ou indirectement le sujet dans trois des dix « exigences pour la présidentielle » définies par le Cercle des Économistes lors des rencontres d'Aix en Provence en début de mois. En termes de contraintes climatiques, la Commission prend la mesure du mouvement des gilets jaunes et, dans chaque pays européen, les limites aux applications des recommandations sont ainsi posées en amont.
Politique de riches, l'engagement climatique est aussi une évolution pour ceux qui veulent le rester. C'est d'abord le cas pour les pays. Les ambitions américaines en la matière sont toujours modérées et vont le rester, ne serait-ce qu'en raison du fonctionnement institutionnel qui limite le cadrage fédéral et garantit la liberté à chacun des États. Le plus grand émetteur de CO2 du monde va évoluer lentement et, pour l'essentiel au rythme d'incitations fiscales ou d'investissements publics en s'interdisant des mesures punitives. On voit mal comment la Chine ne va pas rejoindre les scores élevés de l'Allemagne par exemple, avant de trouver – avec le nucléaire- une stabilisation. Chacun, quel que soit sa taille, reconnaît avant tout l'impératif de croissance et refuse la décroissance.
L'Europe se veut l'exemple à suivre avec l'objectif de neutralité dans moins de 30 ans. Il faut aller au-delà des postures de communication pour apprécier cet objectif. La campagne électorale allemande en donne l'occasion. À deux mois des élections au Bundestag, la situation s'est décantée. Après un début de campagne porteur, le parti vert a marqué le pas et la coalition a toutes les chances d'être menée par les Chrétiens-Démocrates. Evidemment, les choses seraient différentes en cas de coalition avec les verts ou avec les sociaux-démocrates.
La direction de l'Union Européenne, en premier lieu la question des déficits et des financements, inscrivent le programme de la CDU dans la ligne historique de l'Allemagne bousculée depuis 2 ans par l'épidémie. Pour ce qui concerne le climat, le cadre est aussi plutôt clair : appliquer les accords de Paris, mais en restant dans un dispositif « garantissant le bon fonctionnement de l'économie ». C'est à dire la croissance. On ne pourrait être plus clair. Si on entre dans le détail, on peut prendre l'exemple des règlementations automobiles envisagées qui devront maintenir ou renforcer la puissance et la rentabilité des industriels allemands.
Les accords de Paris semblent être une priorité générale dès lors que d'autres, en particulier la croissance seront assurées. On sait que la France qui cherche toujours des bons points et qui semble réticente à avancer ses atouts en matière d'émission de gaz à effet de serre, s'inscrit dans une stratégie de communication qui peut – une fois encore – donner finalement des gages et, surtout, des avantages à l'Allemagne. Mais la politique européenne restera pro-croissance quoi qu'il en soit.
La reconstitution des potentiels de croissance dans le monde post-covid permet de tabler sur un niveau mondial qui 'accroche durablement au-dessus de 3,5 %. Si on se limitait à 3 % par an jusqu'en 2030, l'objectif de température de l'accord de Paris imposerait une réduction des deux tiers des émissions par point de produit brut. On n'y sera évidemment pas. Ce ne sera pas pour autant la fin du monde.
Il n'est pas facile de prendre la mesure de ce rendez-vous raté d'avance. Le pivot de zones habitées durablement placées au-dessus de 37° n'est évidemment pas en vue. Cependant, avec toujours en priorité un objectif de croissance économique à assurer, ce sont les évolutions technologiques qui vont porter cette révolution verte. Au prix de chocs touchant particulièrement les plus faibles (pays, entreprises, ménages) qui seront sans doute le point le plus sensible de la mutation.
Pour les marchés financiers et les investisseurs en revanche, le thème ne va faire que se renforcer : ce sera long, mais indiscutablement porteur de marges et de profits en hausse dans les segments concernés et pas seulement les infrastructures ou les équipementiers. Le potentiel est là et les entreprises ne vont pas avoir le choix. Il n'est pas anecdotique de voir que le fond activiste Engine n°1 a imposé en Assemblée Générale trois administrateurs au conseil d'ExxonMobil, le premier pétrolier du monde. Pas plus de relever les propos de Patrick Pouyanné, le patron de Total (le numéro 9 mondial du secteur) qui déclarait il y a trois mois que « la transition énergétique se fera si des sociétés comme Total font elles-mêmes la transition ».