La statistique de la semaine a été l'inflation américaine de juillet. Au moment où le pic de croissance est passé ou pas loin de l'être, la dérive des prix semble la grande inconnue pour la conjoncture à dix-huit mois. Les données publiées et, aussi, celles des indicateurs avancés divers, ne donnent pas vraiment de réponse et les débats entre conjoncturistes semblent s'établir à partir d'extrapolations plutôt hasardeuses. Les positions semblent aussi partagées au sein des comités de politique monétaire, mais l'autorité de Jerome Powell, le patron de la Réserve Fédérale, n'est pas remise en cause. Ce qu'il dira ou simplement confirmera dans quinze jours lors du symposium international des banquiers centraux de Jackson Hole va être la doctrine générale au sein des pays développés, sinon un mot d'ordre à appliquer.
La croissance reste vive : en Europe, la dynamique économique n'est pas en phase d'accélération, mais se maintient à son (très) haut niveau ; aux États-Unis, pour la première fois depuis la fin de l'été 2020, les projections de croissance sont révisées en (léger) recul. Le mouvement vers une stabilisation ou même une érosion du sentiment des consommateurs y est provoqué par des hausses de prix, en particulier de l'immobilier ou des moyens de mobilité, singulièrement pour la vente ou la location de véhicules automobiles.
Cela posé, du côté américain, on parle seulement de vitesse ou d'accélération : la conjoncture est bien installée. Et le consommateur peut rester le facteur de croissance, appuyé sur une épargne à vue reconstituée à plus de 85 % du revenu annuel.
Du côté européen, on mesure aussi seulement les dérivées premières ou secondes de l'évolution conjoncturelle. Le moral des industriels a passé un pic comme c'est le cas aux États-Unis, mais il continue à progresser du côté des ménages.
Les freins sont communs au travers du monde : d'une part, le rebond de l'épidémie et l'inflation qui pèsent, de l'autre, les plans d'investissements publics qui vont venir en soutien, plutôt à partir de l'été 2022 en Europe, et avec des ambitions revues à la baisse par les parlementaires aux États-Unis.
Il n'est pas facile de prévoir le développement de l'épidémie. Le retour à une activité normale est en tout cas suspendu aux décisions politiques d'obligations vaccinales, de contrôles divers ou même de blocages. Il y a là un facteur de fragilité, d'autant que les décisions ne sont pas les mêmes à l'échelle mondiale ou même – pour nous – à l'échelle d'un continent. C'est un facteur de fragilité, qui ne remet cependant pas en cause le rétablissement conjoncturel.
Les retombées des plans d'investissement vont être progressives et sont déjà bien anticipées par les industriels comme par les investisseurs sur les marchés financiers.
L'inconnue qui devra trouver des réponses dans les semaines, les mois et les trimestres qui viennent, c'est l'inflation. De sa mesure dépendront d'abord les politiques monétaires, ensuite les ratios de valorisation sur les marchés liés aux taux d'intérêt.
En juillet, les prix à la consommation américains ont progressé de 5,4 % Le bond de juin est confirmé avec le même chiffre. Les investisseurs se sont montrés rassurés puisque la donnée se situe dans la zone des anticipations. Bien sûr des effets temporaires sont responsables d'une part de cette dérive. Cela posé, si le pic a sans doute été passé, on devrait se situer au-dessus de 5 % jusqu'à la fin de l'année. Les prix à la production sont passés à un rythme annuel de 7,8% (après 7,1% en juin).
L'inflation sous-jacente doit permettre de relativiser les effets du renchérissement de l'énergie (qui pèsent et le feront jusqu'à la fin du 1er trimestre 2022). Une question n'est pas réglée : le passage de facteurs conjoncturels au structurel, comme la pression mise par une certaine pénurie dans les chaînes d'approvisionnement. L'analyse dominante à la Fed est que le caractère temporaire de cette inflation au-dessus de 5 % annonce un retour rapide. Les consensus ne sont pas aussi optimistes sur le calendrier : après plus de 6 % cette année, les prix américains sont attendus sensiblement au-dessus de 4 % en 2022.
L'Europe, qui suivra en tout état de cause la stratégie de la Réserve Fédérale, présente une situation de stabilité de la monnaie nettement plus calme malgré de vraies disparités eu sein des pays de l'Union. L'été correspond à un reflux global de l'inflation, mais un rebond en fin d'année semble inéluctable. Au bilan, un peu moins de 2 % cette année et une installation dans la zone de 1,5 % l'année prochaine et les suivantes.
Pour compléter le tour des grandes places, le passage « olympique » du Japon dans une zone d'inflation positive sera sans lendemain. En cause, la modération salariale et de nouveaux gains de productivité. En Chine, l'heure est à la reprise en main de l'économie à coup de règlementations et d'accès d'autorité sur le secteur public qui régit de fait le pays. L'inflation des prix à la consommation va rester contrôlée : 1,5 % cette année, moins de 2,5 % l'année prochaine. La gestion centralisée a déjà permis de ramener la hausse des prix à la production sous les 8 %.
Les taux réels ne peuvent rester éternellement négatifs.
Compte tenu de sa sérénité face aux publications répétées, la Réserve Fédérale semble à même de tenir son soutien massif à l'économie. Et aux marchés. Elle réaffirme semaine après semaine que l'inflation est temporaire et conditionne une inflexion vers une normalisation de sa politique à « des progrès substantiels » pour l'économie. Des progrès dont elle n'a pas dit comment elle pourrait les mesurer. Si l'inflation devait effectivement être transitoire, l'indicateur clé est le chômage et les 5,9% de la population active actuels sont bien supérieurs aux objectifs de la Banque Centrale.
Pour autant, l'inflation ne peut être ignorée : les taux réels sont nettement négatifs en dollars et le financement du Budget doit pouvoir s'appuyer sur une reconstitution même partielle de la rentabilité pour les prêteurs. Les investisseurs ne peuvent indéfiniment payer la « taxe d'inflation ».
Hausse de taux ou baisse de l'inflation en vue ? Sans doute un peu des deux puisque la Réserve Fédérale va s'imposer des baisses de ses achats d'actifs et même s'orienter vers un relèvement de ses taux d'intérêts. Besoins de financement et inflation vont guider le timing de son inflexion politique. Plus que la connivence avec les investisseurs qui est toujours une recette, ce sont les données des économies, pour le cycle et pour la dérive des prix qui vont donner le rythme.