C'est dans cette semaine du mois que les Bourses ont connu le coup de blues d'août. C'est plutôt habituel à cette période et, en regardant en arrière, ce blues peut finalement être un simple aléa de consolidation comme l'amorce d'un changement de tendance. Cette année, il intervient alors que le « scénario idéal » est largement dans les cours : fort rebond des économies, efforts budgétaires amplifiés avec des plans d'investissement venant s'ajouter aux dispositifs massifs de soutien aux agents économiques, résultats semestriels des entreprises au-dessus des attentes, les Banques Centrales toujours en (fort) soutien, des taux d'intérêt longs et courts maintenus très bas.
Le retrait de cette semaine – le plus fort de l'année à Paris au bilan des cinq séances- a été provoqué par deux surprises ou demi-surprises : un net ralentissement de la croissance en Chine et la préparation par la Réserve Fédérale d'une politique monétaire plus orthodoxe. S'est ajoutée la prise de contrôle de l'Afghanistan par le contre-pouvoir au gouvernement mis en place par les États-Unis.
Les déchets sur la semaine sont en moyenne entre 2 % et 4 % sur les grandes places, mais les records ne sont toujours pas loin.
La Chine ralentit plus vite qu'attendu. Deux freins sont actionnés et produisent leurs effets. Le premier est volontaire : le gouvernement chinois multiplie depuis six mois les mesures et réglementations destinées à cadrer davantage l'économie dans l'idée dans un monde post-Covid. Le second est précisément une « nouvelle vague » de l'épidémie.
Les divers coups portés aux agents économiques par la politique ont commencé à peser en juillet. À la gestion monétaire proprement dite, se sont ajoutées des restrictions au crédit, et une série de règlementations pesant sur divers pans de l'activité. On retient évidement le durcissement de l'accès au crédit immobilier pour limiter la bulle de valorisation, mais les limitations à la production d'acier avec des objectifs dits environnementaux, le raidissement vis-à-vis des services internet, et même une inflexion des investissements publics et parapublics pèsent déjà.
En juillet, la progression des ventes au détail a été ramenée à 8,5 % en glissement annuel alors que le rythme était de trois points supérieur. Même tendance à la réduction pour la production industrielle et les investissements en capital fixe. Même le chômage publié rebondit (très) légèrement. La conjoncture a certes subi un typhon qui a bloqué un moment le port de Yantian, le troisième du pays, mais, quoi qu'il en soit, le ralentissement s'est accru depuis le début août.
Les annonces bloquant l'industrie du soutien scolaire et de l'éducation libre sans contrat, celles affectant directement les géants internet en voulant casser les monopoles établis ou en constitution ou, une fois encore la relance du plan « Ciel bleu » qui va réduire de 15 % la production d'acier, se multiplient. Dans le même temps, le secrétaire général du PC Xi Jinping (le patron du pays) a annoncé une politique de réduction des inégalités qui demandera aux plus riches de contribuer « à la prospérité commune » en passant par un « ajustement des revenus » jugés excessifs. En d'autres termes, plus de fiscalité pour les dirigeants et plus de contraintes pour leurs entreprises.
Les infections de variants Covid viennent s'ajouter à la politique volontaire de pressions sur la conjoncture. La fièvre réelle des Chinois amplifie la fièvre règlementaire du parti. On ne sait pas grand-chose de la réalité sanitaire mais, précisément, les chiffres d'activité mettent en évidence des mesures de blocages dans le pays, et même une hausse des confinements ou autres contraintes.
Les autorités chinoises feront avec. Elles ont montré qu'un régime totalitaire pouvait aller vite dans le traitement, en ne sacrifiant finalement pas plus l'économie que ne le font les pays occidentaux.
La priorité du Parti Communiste n'est pas – ou n'est plus – la croissance la plus forte possible. Au-delà de la stratégie interne de cadrage et de normalisation de l'économie sans craindre de casser la dynamique, la vision est nationaliste et a même des côtés impérialistes. On en a un exemple avec l'envolée de la production des semi-conducteurs (+ 47 % en un an en juillet) pour, un jour gagner l'indépendance sur ce marché indispensable à l'industrie. On en a aussi avec les affirmations d'acteur politique mondial qui saisissent au bond le désastre américain en Afghanistan. Cette semaine, des manoeuvres militaires géantes ont été organisées autour de Taïwan, la fermeté est restée de règle à Hong Kong, la souveraineté sur le Tibet réaffirmée avec force et la Chine s'est positionnée vis-à-vis du nouveau pouvoir Afghan pour profiter à terme de ses réserves minières.
Il y a des marges de manoeuvre pour agir. Malgré la vraie inflexion du cycle depuis le début de l'été, la croissance est attendue un peu au-dessous de 8,5 % cette année et de 5,5 % en 2022 (après +2,2% en 2020). Le niveau global de 2019 a été retrouvé dès le quatrième trimestre 2020, mais la dynamique ne l'est pas et ne va pas vite l'être. Le miracle a trouvé ses limites politiques.
Le deuxième coup porté aux marchés d'actions cette semaine est un peu l'inverse de ce tournant de la croissance chinoise, de la pression qu'il met sur les pays émergents et, au-delà, sur le cycle mondial. C'est la préparation de la Réserve Fédérale à une normalisation de la politique monétaire qui remet en cause des scénarios financiers et, d'une certaine façon, amène les investisseurs à tenter un bras de fer avec la Banque Centrale.
Cette préparation est orchestrée au travers de diverses déclarations de membres du Comité de Politique monétaire de la Fed (le FOMC) et d'économistes jugés proches. Cette semaine le détail des débats lors du dernier Comité ont mis en avant les conditions et, d'une certaine façon un calendrier, pour l'allègement du soutien à la conjoncture.
Le communiqué publié le 28 juillet annonçait le maintien du dispositif d'achats d'actifs et de taux directeurs, jugeant notamment que l'inflation simplement temporaire ne justifiait pas de l'alléger tant que le plein emploi ne serait pas rétabli. Les discussions avaient pourtant bien porté sur la réduction des achats d'actifs dès cette année. La réduction des doses – le tapering dans le jargon – par rapport aux 120 milliards de dollars mensuels d'achats a été évoquée à partir du quatrième trimestre ou au plus tard début 2022. La condition mise en oeuvre qui entre dans le discours typique des grands argentiers (« si l'économie évolue comme prévu ») permet toutes les postures, mais le plus important a été dit.
L'économie est pourtant loin de s'emballer. Le pic de croissance a été passé en juin et l'inflexion est plus vive que prévu. Le point central est la consommation dont la dynamique est cassée aujourd'hui.
La nouvelle phase de l'épidémie de la Covid va augmenter cette réaction au moment où, malgré le vote d'une partie de son plan, l'administration Biden est de plus en plus sous la pression des Parlementaires réticents aux déficits. L'autorité du président est fortement entamée par la situation en Afghanistan au moment où elle serait nécessaire pour accélérer les dépenses fédérales. S'ajoutent les effets récessifs des options climatiques, qui, en particulier commencent à entraîner des pertes de capacités.
La croissance américaine ne tient son rythme élevé qu'à coup des dépenses budgétaires qui, outre le fait d'être contestées, entraînent de moins en moins le cycle. Les effets multiplicateurs faiblissent.
Le moment peut donc paraître mal choisi pour donner un coup de barre sur la politique monétaire. Pourtant, la réduction des achats est bien programmée dans au maximum les six mois, laissant encore un an à un an et demi avant que la Fed agisse sur les taux d'intérêt. C'est une nécessité si elle veut se reconstituer des réserves d'action quand le cycle ne s'infléchira pas seulement, mais tournera. On n'y est pas avec une croissance attendue entre 5,5 % et 6 % cette année et entre 4 % et 4,5 % l'année prochaine.
Ce qui plaide pour le tapering est aussi lié à l'analyse conjoncturelle. On peut se demander, comme certains gouverneurs ou des théoriciens, si une économie qui est et va rester contrainte par les approvisionnements et, au total par l'offre, peut être efficacement soutenue par les achats d'actifs par la Banque Centrale.
Reste la gestion de ce tapering. Les esprits sont préparés et, sans doute, le seront encore à l'issue du symposium des banquiers centraux de Jackson Hole la semaine prochaine. Les décisions sont à attendre lors des réunions du FOMC de la Fed de septembre et octobre.
Les agents économiques sont sans doute prêts. Il peut en être différent des marchés financiers. Une certaine sérénité est affichée sur les taux d'intérêt mais les actions, qui globalement se sont stabilisées depuis la mi-mai ont un potentiel de consolidation qui sera mis à contribution d'ici la fin de l'année. Le CAC 40 et son exposition au cycle chinois qui lui a permis de creuser un bel écart depuis le début de l'année avec le DAX par exemple est évidement en tête des plus baisses de la semaine.
Reste enfin l'épidémie nouvelle et ses contraintes sur les agents économiques, déjà perceptibles dans la consommation en France. Il est vain de chercher à anticiper sur la question, d'autant que la question qui se posera est le maintien des dépenses publiques à carnet ouvert pour financer des agents économiques sans croissance pérenne.