Le pic de la croissance a été passé cet été. C'est singulièrement le cas aux États-Unis, mais aussi d'une façon globale, pour le monde. L'Europe qui est en décalage de trois ou quatre mois avec les américains ne va manquer de suivre, alors que le Japon ne sort pas de sa stagnation, handicapé au lendemain des Jeux Olympiques par la conjoncture asiatique, en premier lieu bien sûr par la Chine.
Dans le même temps, du point de vue des marchés financiers et du discours des banquiers centraux, les données d'inflation assez forte un peu partout ne sont pas retenues pour les projections. Le mot-clé est « temporaire » même s’il a été doublement nuancé à la Banque Centrale Européenne par Mme Lagarde qui a employé le conditionnel et a relativisé en affirmant que « l'accélération de l'inflation devait être essentiellement temporaire ».
La moindre croissance donne en tout cas de la marge aux grandes banques centrales pour poursuivre leur soutien à l'économie en n'envisageant de le modérer qu'à la marge. Mais la dynamique économique ne sera pas trouvée par le seul outil monétaire, qui a bien fait son temps et dont les effets multiplicateurs s'estompent programme après programme. Les États doivent jouer leur rôle, l'investissement devant désormais prendre pour eux le relais des compensations budgétaires aux conséquences des mesures publiques prises en réaction à l'épidémie de la Covid. C'est le sujet - d'avenir - de cette rentrée.
Les conjoncturistes attendaient du troisième trimestre une amplification du cycle. À l'exception notable de l'Europe, on n’y est pas. Même sur le Vieux Continent, le rythme a commencé à s'infléchir dès le mois d'août.
La vitesse rétrograde dans les zones qui sont les deux moteurs de l'économie mondiale : le Chine et les États-Unis.
Le Chine a été en avance pour les contaminations et en avance pour le traitement par les blocages d'activité. Son redémarrage avait commencé l'année dernière, lui permettant au bilan 2020 d'échapper à la récession. Il est normal qu'elle retrouve un rythme de croisière en se stabilisant sur un tempo moins fort. De plus, sans qu'on dispose évidemment d'informations fiables, la vague du variant Delta a conduit à de nouveaux confinements et à des fermetures au moins partielles de ports.
Le plus important n'est cependant pas là : le parti communiste a opté pour une politique nouvelle basée sur des réformes énergiques visant la construction d'un nouveau modèle. En privilégiant « la qualité à la quantité » en termes de croissance, en jouant résolument le long terme, le parti communiste annonce la couleur : il n'y aura pas de soutien pour enrayer le ralentissement déjà observé au travers des indicateurs avancés des directeurs d'achat. Le PMI des services est passé au-dessous du seuil neutre de 50 en août et le manufacturier se maintient à peine à ce niveau. Les dépenses d'infrastructures ne sont pas ou plus orientées en priorité pour dynamiser la conjoncture à court ou même moyen terme alors que les règlementations qui se mettent en place ne craignent pas de freiner le secteur privé. L'inflexion du cycle américain et les goulots d'étranglement limitent enfin la croissance de l'export. Les projections de la croissance chinoise 2022 sont révisées à la baisse (entre 5 % et 5,5 %) et entrent sans doute durablement dans le rang.
De l'autre côté du Pacifique, le ralentissement de la croissance est engagé aussi. Le Beige Book de la Réserve Fédérale américaine publié cette semaine le décrit pour les mois de juillet et août. Le regain épidémique a pesé sur les services, en particulier sur le tourisme ou la restauration. Les deux autres facteurs de contraction retenus par l'analyse de la Fed concernent l'offre : la pénurie de main d'ouvre et les rupture d'approvisionnement.
C'est pourtant bien la dynamique qui est en cause. On a encaissé depuis deux mois le recul des investissements, une consommation publique plus faible et une perte d'optimisme des ménages. Ils sont sous le coup de la vague du Delta mais, aussi, des tensions sur les prix de l'énergie, des biens durables comme les automobiles et sur l'immobilier. L'indice du moral des ménages de l'Université du Michigan est revenu au-dessous de son niveau du plus bas de l'épidémie en avril de l'année dernière.
Le rythme des créations d'emploi de ralentit et, malgré les perspectives de restockage, les prévisions de croissance au troisième trimestre ont été revues à la baisse ramenant les scénarios pour l'exercice 2021 dans les 6 % et ceux pour 2021 entre 3,5 % et 4 %.
Les nouvelles « vagues » de contamination amplifient ce ralentissement de la croissance venu des deux grandes zones. Ce pourrait être une pause après le vif rebond de sortie de la période Covid-1 et 2. Ce pourrait aussi être un blocage de la dynamique après une conjoncture d'excès, ce que l’économiste de BNP Paribas William De Vijlder appelle le dépassement de « la vitesse limite ». La clé n'est plus du côté des banques centrales. Elle se retrouve chez les gouvernants.
Les plans d'investissement vont faire la tendance aux États-Unis et en Europe et, d'une autre façon en Chine. Dans ce dernier cas, les réformes plus ou moins brutales sont prioritaires sur la croissance et il ne faut pas anticiper une mobilisation budgétaire globalement positive pour le cycle. Les effets de ralentissement vont gagner l'ensemble de l'Asie, par ailleurs prise au piège de l'échec des stratégies sanitaires « zéro-covid » et contrainte à recourir aux vaccinations. Le Japon est évidement un cas très particulier en raison de la puissance de son industrie électronique. Il a sans doute moins besoin que l'Europe ou les États-Unis d’un nouveau plan d'investissement et est de toute façon dans une phase électorale avant les élections à la Diète de novembre. Les zones émergentes apparaissent affaiblies au travers de la planète par le poids de leurs dettes et vont être suspendues aux tendances américaine et européenne.
Ce sont ainsi les plans d'investissements annoncés de part et d'autre de l'Atlantique qui vont déterminer la conjoncture et, accessoirement, donner la tendance sur les marchés financiers.
Du côté européen, la machine est en route et les échéances électorales en Allemagne, puis en France ne vont pas la remettre en cause. Bien sûr, les décisions de la Commission comme celle imaginant exclure le nucléaire peuvent provoquer des à-coups et même des mini crises. Mais les 800 milliards d'euros du plan NextGenrationEU vont être investis d'ici à 2026 en subventions et en prêts. Il ne pèsera ainsi pas loin de 7 % du produit intérieur brut de la zone euro orientés en priorité vers les secteurs de croissance du numérique et du climatique au sens large.
Les retombées de ce type de dispositif sont progressives avec des effets sur les importations qui peuvent en limiter la portée à la marge. Cela posé, 1,4 % par an de point de PIB de la zone, ciblé sur les pays offrant le plus d'effet multiplicateur traduit bien la transition des dépenses publiques du comblement des trous vers la remontée de la croissance potentielle. Restera aux gouvernements à ne pas contrarier la levée des contraintes sur l'offre par le biais de règlementations pénalisant le cycle qui seraient prises en contrepartie des concours publics.
Dans le régime parlementaire qui est le leur, les États-Unis ne sont pas régis pas la direction administrative de pleins pouvoirs de la Commission de Bruxelles. Le besoin d'un effort budgétaire puissant ne peut être contesté, mais l'administration présidentielle qui propose les dispositifs au Congrès a un calendrier d’automne plutôt chargé au lendemain de la déroute afghane.
Le premier des plans qui est bi-partisan et a donc fait l'objet d'un consensus porte sur 550 millions de dollars de dépenses sur 5 ans (soir 0,2 % du PIB chaque année). Il a été adopté au Sénat mais pourrait être un peu réduit à la Chambre des Représentants. Le deuxième plan présenté porte sur 3.500 milliards sur 10 ans (1,6 % du PIB chaque année). Il va être sous la pression de l'aile droite du Parti Démocrate qui fixera finalement les limites. Au-delà de la nécessité conjoncturelle, les besoins sont là : l'American Society of Civil Engineers chiffre à 2.600 milliards de dollars sur 10 ans les besoins pour simplement maintenir le niveau des infrastructures. Les ambitions ou engagements climatiques viennent en sus même s’ils risquent d'être en partie reportés : baisse de 50 % des émissions carbone d'ici à 2030 et neutralité en 2050.
Restera enfin à M. Biden à obtenir d'ici la fin de l'année le relèvement du plafond de la dette fédérale, qui sera évidemment acquis, mais à l'issue de négociations serrées.
Le cycle à court terme se trouve placé sous la direction des plans d'investissement moyen ou long terme. Le coup de mou de l'été ne laisse pas de doute : les sommes envisagées qui sont massives ne pourront être fortement réduites ou décalées sans risque conjoncturel et, plus encore, de marché. En Europe et aux États-Unis nécessité devra faire loi. Les banques centrales ne peuvent que passer le relais et l'actualité politique reprend ses droits.