Dimanche prochain, les élections au Bundestag vont déterminer les facteurs d'une évolution politique qui, sur le plan des hommes sera sans doute assez profonde. Le successeur d'Angela Merkel à la Chancellerie devrait faire davantage que prendre un relais. La formule va au-delà des slogans habituels lors des élections et plus encore quand le sortant ne se représente pas.
Le bilan de la sortante a justement un peu donné le ton de la campagne : besoins d'investissements publics, évolution du cadre budgétaire, affirmation des intérêts allemands au sein de l'Union Européenne, alliances à l'Est. Et bien sûr, la présentation environnementale, bien orchestrée par des lobbys à la communication particulièrement efficace et qui s'impose avec la montée en puissance du vote vert.
Les éléments d'une mutation politique profonde pourraient être là. Mais les institutions jouent un rôle primordial.
Madame Merkel aura établi un record de durée à la Chancellerie. 16 années qui lui donnent un poids historique comparable à ceux de Konrad Adenauer et d'Helmut Kohl qui ont comme elle effectué 4 mandats. Elle n'est battue que par les 28 ans de Bismarck. Hitler n'avait tenu « que » 12 ans.
Les fins de pouvoirs aussi longs ne sont jamais faciles. Les références chez nous du Général de Gaulle bousculé en 1968 sur le thème « 10 ans ça suffit ! » et révoqué en 1969 ou les dernières années du deuxième septennat de François Mitterrand sont des souvenirs qui nous parlent. Le bilan est forcément contesté et forcément à raison pour bien des sujets.
Le positionnement et la communication de la Chancelière portaient en eux-mêmes les limites de ses ambitions : calme et stabilité. Une stratégie qui se trouve bien résumée par le choix de ses tenues vestimentaires, maintenues durant ces longues années sur le thème « madame tout le monde ».
Sa marque de pouvoir aura été le consensus, conséquence évidemment des majorités de coalition qui l'ont soutenue, mais aussi et surtout comme un moyen de s'appuyer sur un soutien le plus large possible. Pourtant, en regardant en arrière, on constate que l'immobilisme de façade aura assuré dans les faits de vraies réformes et même des mutations.
À coup de compromis, l'Allemagne a évolué et renforcé sa prééminence européenne. On pense aux révolutions financières mises en place au moment de la crise de 2008, développées en 2013 pour sauvegarder les intérêts des banques allemandes dans le sauvetage de l'euro et la solvabilisation de leur débiteur Grec. Désormais, la solution budgétaire dans l'UE a été instaurée pour le plan de sauvetage post-covid des économies. L'endettement commun a mis fin à un vrai tabou allemand.
Ces révolutions des consensus sont allées très loin avec la mesure – démagogique, c'est la règle de l'exercice- de la sortie de l'énergie nucléaire. Les conséquences, le recours massif et super polluant au charbon et la stratégie d'alliance avec la Russie, ne sont pas forcément portées au crédit du bilan. La gestion de la crise migratoire de 2015-2016 a aussi marqué une vraie stratégie, contestée évidemment. L'ouverture aux migrants, puis un accord de gestion de frontière avec la Turquie ont été des ruptures.
Dans cette affaire, on aura retrouvé une ambition de pragmatisme. La conjoncture économique dont aura bénéficié l'Allemagne pendant le plus clair des 14 années Merkel est directement la conséquence de la réunification. L'apport de la force de travail des länder de l'Est a été le point pivot de la prospérité. La modération salariale souvent vantée comme un acquis de la période Schröder est évidemment la conséquence de cet apport de forces de production. En 1990 les intégrés (dont Mme Merkel faisait partie) pesaient près de 20 % de la population active et avaient des salaires inférieurs de 60 % à ceux de l'Ouest. Le chemin est fait pour l'essentiel, avec environ encore 15 % de retard. Avec les migrants, Mme Merkel visait un nouveau cap de productivité basé sur des rémunérations très limitées, mais, les nouveaux arrivants ne sont pas des Allemands et la répétition du coup de Kohl n'a pas été pas vraiment possible.
Le bilan économique est en tout état de cause satisfaisant. L'Allemagne représente 20 % de l'économie de l'Union Européenne, sa croissance et sa stratégie de productivité de combat vis-à-vis de la France et, surtout, de l'Italie lui ont permis de stabiliser ce niveau malgré l'expansion des pays de taille moyenne.
Quatrième économie du monde, elle pose à ses ressortissants des problèmes de riches : besoins de basculement des dépenses publiques vers les infrastructures, vers des postes de redistribution et de mobilisation climatique.
Au total, plus que les débats sur les objectifs dans les trois domaines, ce sont les équilibres budgétaires qui ont été débattus pendant la campagne.
Les Verts ont posé la question du frein à la dette qui a été simplement suspendu jusqu'en 2022 pour financer les mesures Covid. Ils proposent un budget spécifique représentant 1,5 % du produit intérieur brut par an d'ici à 2030. Le parti social-démocrate SPD va dans un peu dans le même sens, mais sans chiffrage et avec une ambition plus modérée. Les chrétiens démocrates sortants n'envisagent pas la modification de la constitution qui serait nécessaire pour réformer le frein à la dette. Elle exigerait les deux tiers du Bundestag et la même majorité qualifiée au Bundesrat, la chambre basse qui est formée par les gouvernements des États.
C'est dire que les ambitions affichées par les critiques assez vives sur le bilan Merkel ne vont pas facilement déboucher sur des réformes financées. La question est très importante pour l'Europe. L'Allemagne a obtenu d'être le seul de États de l'Union disposant d'une procédure de contrôle et de censure des Directives européennes via sa Cour Constitutionnelle de Karlsruhe. Le renforcement des investissements budgétaires et la poursuite du mode de financement par l'endettement commun à la zone euro mis en place dans le cadre du plan de relance vont dépendre de la position allemande.
C'est ce qui va conditionner la croissance à court terme pour l'ensemble de l'UE, mais aussi la reconstitution d'une croissance potentielle plus élevée y compris en Allemagne.
Les besoins ne sont pas discutés, y compris en Allemagne : le dogme budgétaire s'est traduit par une carence d'investissements publics pendant les 14 années Merkel. C'est aussi la conséquence de cette priorité donnée au consensus.
Un effort budgétaire apparaît nécessaire pour soutenir l'économie allemande à court terme au moment où la machine à exporter se ralentit. Il est indispensable à moyen et long terme : la médiocrité des infrastructures publiques, les lacunes dans le système éducatif et les retards des services numériques, mis en relief par l'épidémie affaiblissent la base qui doit trouver un complément sinon un relais à la puissance manufacturière.
Les inondations de juillet ont montré avec cruauté ce déficit d'infrastructures et, bien sûr, ont fait entrer le sujet dans le débat électoral. Elles ont évidemment porté les discours et les surenchères climatiques sans qu'on sache bien si un rapport avec les programmes écologiques des uns et des autres pouvait être fait.
En tout état de cause, les inondations ont été le tournant de la campagne électorale. Depuis, les chrétiens démocrates sortants qui étaient en tête dans les sondages ont nettement reculé au profit des sociaux-démocrates et des verts. Pratiquement 15% de perdus dans les intentions de vote ont ramené la CDU à 21%, soit un peu moins que le SPD alors que les Verts sont stabilisés autour de 18%.
Un rejet partiel des trois grands partis et une certaine remontée de la droite AFD et des libéraux du SPD ne remet pas en question la stabilité politique allemande.
La constitution de la RFA qui est aujourd'hui celle de la grande Allemagne a cherché à éviter les risques de confiscation et de pouvoir absolu ayant conduit le parti National Socialiste au pouvoir. Les scrutins législatifs de députés élus dans les circonscriptions équilibrés par un mécanisme de proportionnelle pure entre les partis ayant réuni au moins 5 % des voix imposent finalement des coalitions. Les pouvoirs du Bundesrat imposent en sus la concertation permanente avec les pouvoirs régionaux.
La nomination d'un Chancelier basée sur un programme de gouvernement contraignant exige une majorité de voix au Bundestag, c'est à dire le soutien de députés dont les partis ont réuni 47 ou 48% des voix.
Sur la base des sondages – sujets à caution en Allemagne comme ailleurs – une coalition est inéluctable. Un montage excluant les Verts (sociaux-démocrates – chrétiens démocrates – libéraux) reste possible, mais les probabilités les plus fortes mettent ces Verts au centre des négociations avec le SPD, la CSU et les libéraux. Suivant les scores, mais aussi les exigences des uns et des autres, le panachage entre ces trois partis et les écologistes sera déterminé par les négociations.
Ce n'est pas mince affaire. En 2017, Mme Merkel avait dû batailler près de six mois pour obtenir le soutien de son parti et du SPD. Cette année, avec un éparpillement plus large des électeurs, mais surtout en raison des programmes très clivants en particulier sur le plan budgétaire et européen, on peut s'attendre à un délai de ce type.
Le favori est un sortant : le leader du SPD Olaf Scholz est ministre des Finances et Vice-Chancelier. Il a mis en place une augmentation du salaire minium et, dans son programme, il ne retient pas un accroissement de la dette publique, au contraire et vise plus de fédéralisme européen dans le domaine des aides sociales. Le candidat de la CDU Armin Laschet paie dans les sondages le bilan de son action face aux épidémies dans la Rhénanie-du-Nord- Westphalie dont il est ministre résident.
Vu de France et de notre fonctionnement de pouvoir absolu, ce gouvernement dont la composition et le programme seront sans doute incertains au lendemain du scrutin déroute un peu.
Cette démocratie de contrepouvoirs et de consensus est pourtant ce qui va peser sur la politique de l'Union Européenne quel que puisse être le président français élu l'année prochaine.
Sur l'Europe, comme pour l'interne ou le partenariat à l'Est et en particulier avec la Russie, les scénarios pour les quatre ans de la législature allemande sont marqués par l'impératif du consensus. On ne doit pas attendre de matin du Grand Soir ou de passage de l'ombre à la lumière, mais une continuité.
Il n'y a pas grand-chose de nouveau à attendre. Le poids des verts et celui d'une certaine tendance du SPD incitent à anticiper une politique budgétaire plus expansionniste. La nécessité des infrastructures imposera sans doute des renoncements au dogme des équilibres. Mais des renoncements très modérés.
On peut espérer de la coalition plus de prise de risque dans la réforme du Pacte de stabilité et de croissance en Europe, à la condition qu’elle soit très sérieusement cadrée et il ne faut pas s'attendre au maintien du Fonds de relance. Au niveau européen, l'Allemagne va jouer quoi qu'il arrive son traditionnel égoïsme en utilisant les engagements climatiques pour se donner des avantages compétitifs en égratignant ceux des autres. L'exemple qui devra se régler est le statut de la filière nucléaire française.
On ne peut pas imaginer que la collaboration avec la Russie, en particulier pour la fourniture de gaz soit remise en cause ou même atténuée.
Élections pour rien ? Les enjeux sur la politique interne et, plus encore, européenne apparaissent finalement assez faibles. À court terme en tout cas, il n'y a rien qui puisse inquiéter pour le cycle de croissance européen bien accroché.