Le bilan boursier du mois de septembre marque une consolidation générale. Avec 4 à 6% de baisse, les indices américains encaissent leur plus mauvaise performance mensuelle depuis la chute de mars de l’année dernière, au début de la prise en compte de l’épidémie de la Covid 19. La baisse est amortie en Europe (- 3,6 %) qui aligne les scores positifs depuis le début de l’année entre 10 et 15% entre les deux zones ou au Royaume-Uni. Le Japon affiche un modeste 5% alors que les indices chinois sont en majorité dans le rouge.
Le score résiduel à Wall Street comme en Europe montre bien qu’il ne s’agit encore que d’une consolidation. Cela posé, la source de ce reflux apparait double : d’un côté l’inflation face à une certaine surchauffe des économies et à la crise énergétique, de l’autre, un peu à l’inverse, une révision à la baisse des perspectives chinoises.
La tension sur les taux d’intérêt est une réalité : le rendement de l’emprunt du Trésor américain à 10 ans est passé en 15 jours de 1,28 % à 1,50 %. Les investisseurs prennent un peu de distance avec les affirmations des banques centrales jugeant l’inflation actuelle temporaire. On se trouve dans un schéma qui n’est pas inédit : la Réserve Fédérale américaine - qui sera forcément suivie par ses grands homologues - est contrainte de resserrer (très prudemment) sa politique au moment où les investisseurs cherchent à défendre les taux réels déjà largement négatifs. Elle y est contrainte par la nécessité de se reconstituer des marges de manoeuvre quand le cycle faiblira. Elle le justifie évidemment par la flambée conjoncturelle.
La Chine n’a pas les mêmes contraintes. Et même pas du tout. La politique prend ouvertement le pas sur l’économie et les objectifs de croissance passent au second plan derrière les ambitions d’assainissement et de réformes de son modèle. Pour reprendre l’image de Laetitia Baldeschi (CPR AM) le parti communiste est prêt à sacrifier le PIB à la stabilité sociale.
Dans un pays et une économie de tous les excès du capitalisme, le coup de barre fait des dégâts immédiats.
C’est la faillite ou la quasi-faillite du géant immobilier Evergrande qui a occupé l’actualité de septembre et lancé la baisse générale des Bourses. Evergrande est un peu à lui seul une crise des subprimes à la mode chinoise. C’est - ou c’était il y a un mois- le plus grand promoteur immobilier du monde. On sait désormais que son endettement dépasse 300 milliards de dollars. On est dans les proportions locales : ce sont 1,4 millions de particuliers qui ont acheté sur plan les promotions du groupe. A ce niveau - qu’on peut qualifier de systémique - le concept du trop grand pour être défaillant (too big to fail) semblait devoir s’appliquer et justifiait une certaine sérénité des dirigeants et celle des créanciers. La taille n’a pas empêché Evergrande d’être, au contraire, le symbole de la reprise en mains de l’économie.
Le feuilleton a duré dix jours, bousculant les Bourses dans le monde, mais il n’en est pas au dernier épisode. Le décaissement d’urgence de 36 millions de dollars a assuré le paiement d’un intérêt dû le 23 septembre, calmant un peu les choses mais ne réglant de fait rien du tout. Une échéance d’un intérêt « offshore » de 84 millions n’a pas été honorée. Si Evergrande n’a pas pu réunir pour ces « petits » montants, c’est que, d'ici à la fin de l’année, il devrait honorer l’équivalent de près de 10 milliards de dollars entre les échéances obligataires et les engagements pris pour l’émission d’instruments financiers divers auprès de particuliers et d’investisseurs institutionnels.
La notation financière du groupe a été drastiquement dégradée : de B+ il y a un an à CC par Fitch qui a annoncé « une faillite probable ». Les obligations se négocient au mieux entre 20% et 25% de leur valeur nominale. Evergrande avait choisi la fuite en avant en ignorant les ratios de solvabilité et de liquidité en vigueur.
L’immobilier est un des gros contributeurs à l’activité comme c’est le cas dans les pays à forte croissance. En ajoutant le financement, le coût du travail et la gestion à la construction et l’activité immobilière proprement dite, les estimations vont jusqu’à 30% du produit intérieur brut. La spéculation a porté une bulle qui est sans doute supérieure à celle de 2008 dans les pays les plus fragiles. Le prix médian des logements à Shenzen ou Pékin pèse près de 50 fois le revenu annuel. A Paris, on est à 20 fois.
La probable faillite d'Evergrande sera gérée par la Banque Populaire de Chine de façon à éviter les effets de domino des subprimes d’il y a 13 ans. Elle en a les moyens. Mais le message donné n’en sera pas moins le dégonflement imposé de la bulle.
La réduction des « excès du capitalisme » vise d’abord à réduire les inégalités pour améliorer le niveau de vie général. L’immobilier et ses caractéristiques qui s’inscrivent dans une analyse plutôt classique en seront le révélateur. Mais ils n’en seront pas les seuls comme l’ont montré ces dernières semaines les limitations autoritaires qui ont stoppé les profits basés sur des coûts élevés dans le domaine de l’éducation, de la santé ou des plateformes internet. D’une façon générale, c’est toute l’économie qui va être reprise en main et la prohibition des crypto-monnaies va dans le même sens alors que les fermes de production de Bitcoin par exemple ont enrichi des acteurs et le pays. Les objectifs de croissance ne se jugent plus en termes quantitatifs globaux, mais en termes qualitatifs.
Xi Jinping a donné les priorités dans la perspective du XX Congrès du parti qui se tiendra dans un an. Consolider la croissance à moyen terme, la reconstruire à long terme avec des actions pour la natalité dont la baisse de l’immobilier est un point central, c’est accepter que les mesures engagées aient un effet inverse à court terme. Le risque est accepté même s’il n’est pas mesuré. La réduction de l’endettement du secteur privé ou en partie privé peut être imposée par les autorités politiques et monétaires et contrebalancée par des investissements publics ou parapublics. Le pouvoir entend aussi appuyer le nouveau cycle sur les PME dont l’accès au crédit peut être facilité et accéléré à l’inverse des grandes entités.
La stabilité sociale passera par des contraintes réglementaires dont on n’a vu que les premières vagues. Il s’agit d’un changement de pied après deux décennies axées en quelque sorte sur la croissance à tout prix. Elle peut être réduite si le parti peut s’assurer qu’elle profite à une marge partie de la population. Et il en a les moyens.
La gestion resserrée de l’énergie accélère cette réduction de la croissance. L’objectif politique de Jeux Olympiques d’hiver de Pékin dans un environnement pollué dans des proportions acceptables s’ajoute à la crise énergétique mondiale.
Les conséquences du nouveau cadre politique ne sont pas pesées. La croissance peut être révisée pour 2022 et les suivantes vers les 5 %, peut-être même un peu au-dessous. L’endettement chinois ne va pas empêcher cette stratégie de moindre expansion : le pays a les moyens financiers et politiques de passer. Les pénuries d’approvisionnement aux Etats-Unis ou en Europe ne vont faire que se renforcer avec ces révisions chinoises. Les conséquences sur l'activité et sur l’inflation sont inévitables et incitent à penser qu’en plus des anticipations de politiques monétaires, les marchés financiers vont subir la pression de la nouvelle politique chinoise. La pensée de Xi Jinping sur « le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère » va développer un cycle qui ne cherche pas la collaboration mondiale, au contraire, comme le montrent dans un autre domaine, les tensions géopolitiques diplomatiques ayant conduit aux alliances militaires entre les Etats-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde.