Le mois de septembre avait marqué une consolidation boursière. La première semaine d’octobre a placé les marchés financiers dans une conjoncture bien différente de celle qui est la sienne depuis 2 ans : c’est le retour en force de la volatilité. L’indice CAC 40 a évolué dans une fourchette de 3 % entre le plus haut et le plus bas. Le Dow Jones inscrit 3,4 %. La norme a été un écart supérieur à 1 % d’une séance à l’autre. Le rendement de l’emprunt du Trésor américain à 10 ans a varié de plus de 4 points de base. L’euro dollar a touché 1,154 et 1,164. Et le baril de Brent 77,6 - 83,50 €.
La nervosité des investisseurs est la conséquence de la formidable hausse des actions et des actifs depuis le point bas de mars 2020 : au 29 septembre, plus de 70 % pour le S&P 500. Elle est aussi la marque d’une rupture ou de la crainte d’une rupture pour les fondamentaux qui ont porté cette envolée : politiques monétaires et budgétaires ultra-accommodantes, rattrapage du cycle avec les vaccinations après les blocages. Tant les banques centrales que les acteurs économiques se trouvent placés dans une problématique d’inflation qui n'était pas - du tout - dans les scénarios. Le revirement de politique économique chinois est venu en rajouter.
L’inflation s’est développée et le fait encore. Les effets de base qui ont joué à plein depuis avril s’atténuent mais les 5,3 % affichés par les prix en août aux Etats-Unis n’ont marqué qu’une érosion par rapport aux 5,4 % de juillet. Sur l’ensemble de 2021, on va se situer autour de 4,3 %. En Europe, malgré le décalage du cycle de rebond et des pressions déflationnistes de long terme plus puissantes, la statistique d’août de 3 % annonce une série haussière avec une accélération vers les 3,4 % en septembre, pour un score annuel de 2,3 %. On dépasse - enfin ! - l’objectif cible de la Banque Centrale Européenne. La dérive des prix sous-jacente est même justement dans la zone de la cible de 2 %.
C’est la dynamique conjoncturelle a entraîné ces hausses. Une crise de l’offre s’est installée, affectant les produits primaires destinés à l’industrie, mais aussi la main d’oeuvre dans des secteurs en tension. L’ajustement de la demande s’opère par les prix, amplifiée par le coût des transports de biens. La crise de l’énergie est un des aspects et renforce encore l’inflation instantanée.
Les banques centrales raisonnent en inflation sous-jacente éliminant l’énergie et l’alimentaire. Cela permet à leurs comités de politique monétaire de réaffirmer, réunion après réunion, que les dérives de prix « sont temporaires ».
On ne peut que constater que ce temporaire dure plus qu’anticipé et que les effets de base ne s’estompent pas nettement dans le domaine de l’énergie, avec immanquablement des effets d’entraînement.
Les publications d’inflation ne permettent ainsi pas forcément de valider les scénarios d’inflation 2022 - 3,2 % aux Etats-Unis et 1,8 % en zone euro. Mais c’est bien la conjoncture pour l’énergie qui est le premier des facteurs de volatilité des marchés financiers. On l’a vu la semaine dernière après une réunion de l’OPEP ne calmant pas le jeu. On l’a vu cette semaine avec la hausse des prix du gaz qui ont fait chuter les Bourses mercredi et, en sens inverse, avec le vif rebond de jeudi après des propos rassurants de M. Poutine sur la fourniture à l’Europe.
L’inflation réelle, en dehors des calculs d’ajustement des économistes des banques centrales est un grand déterminant de la conjoncture mondiale dans une économie mondialisée. Les projections des conjoncturistes sont ajustées dans le sens d’un retour des taux de croissance vers une moyenne de long terme.
La normalisation des économies ne peut être gérée sans à-coups. Sur la base des projections actuelles, la crise de l’offre et les prix en hausse ne menacent pas l’activité toujours tirée par une forte demande des deux côtés de l’Atlantique. Mais elle engage son inflexion et ce rappel à la moyenne a des chances d’être plus rapide que ce qui était attendu encore au début de l’été. Le bas de la fourchette 3,5 % - 4 % est une hypothèse assez cohérente pour la croissance 2022 aux Etats-Unis et en Europe. Ce qui resterait supérieur à la croissance potentielle, mais sans que des risques d’accélération de la contraction de l’expansion - mêmes temporaires- puissent être exclus.
La conjoncture d’après le rattrapage de la restauration pots-covid doit prendre en compte ces forces de rappel. Les marges des entreprises vont s'éroder dès le troisième et le quatrième trimestre, limitant les effets multiplicateurs de l’investissement privé.
A ces incertitudes qui sont plutôt en phase avec cette reprise si atypique, s’ajoutent les conséquences du changement de politique en Chine, mis en évidence par les réglementions des activités digitales, par les engagements environnementaux (et une forte réduction de la production d’acier par exemple) et par la défaillance du géant immobilier Evergrande. Réduire les inégalités et assainir l’économie et la finance même au prix d’une croissance nettement revue en baisse, aura plutôt durablement un impact sur le cycle mondial tout en maintenant une crise de l'offre.
Les politiques monétaires de fuite en avant ont été accélérées pour contrer les mesures de récessions prises un peu partout face à l’épidémie de la Covid.
Les banques centrales tiennent aujourd’hui leur analyse d’inflation temporaire. Le terme et la mesure qu’il sous-entend sont à confirmer.
Pour autant, la Réserve Fédérale américaine (qui sera suivi par ses grands homologues en particulier la Banque Centrale Européenne) a déjà annoncé une réduction de ses programmes d’injections monétaires. Ce sera très progressif, le relèvement des taux attendra sans doute elle début 2023, mais la direction est donnée. En cause, l’impératif de reconstituer des marges de manoeuvre pour faire face à une rupture de croissance dans les 4 ans. La Fed prend aussi en compte les effets de ses programmes qui ne produisent plus les mêmes effets.
La conjoncture actuelle permet largement cette évolution qui est très progressive. M. Powell, le patron de la Fed ménage les marchés financiers dans une communication qui, pour le moment a réussi à éviter des chocs sur les taux obligataires. Il ne peut être exclu que ce soient les investisseurs qui finalement prennent l’imitative et contraignent la politique monétaire avec une poursuite de la hausse des taux longs.
La perception de l’inflation donnera ainsi la direction. Les banques centrales sont toujours condamnées à une gestion très proactive et, finalement, c’est l’absence de réelle visibilité de leurs stratégies au-delà des discours qui se veulent rassurants mais qui peuvent perdre en crédibilité, qui concoure à la volatilité.
Si les politiques monétaires ne peuvent pas accélérer, l’attente est forte du côté des politiques budgétaires. Le plan de relance de l’Europe est sur des rails. Il vise le long terme et une reconstitution de la croissance potentielle, mais les Etats entrent en même temps et même en amont dans une phase de réduction des aides données à carnets ouverts face aux blocages économiques qu’ils ont créés. La fin du « quoi qu’il en coûte » et de ses équivalents européens annonce une conjoncture économique qui ne sera pas lisse, mais, au contraire, des accélérations et des décélérations.
Aux Etats-Unis, la question budgétaire prend aussi en compte la fin des soutiens à tout prix. M. Biden doit de plus trouver des accords parlementaires (en espérant profiter des majorités démocrates) pour le court terme comme pour le long terme. On a vu cette semaine la sanction, puis le soulagement à Wall Street face à l’autorisation du relèvement du plafond de la dette fédérale, finalement obtenu jusqu’au 3 décembre. L’adoption du plan d’investissement s’annonce plutôt difficile et les montants ont de fortes chances d’être revus à la baisse.
On ne doit pas s’y tromper : les déficits publics sont indispensables pour entretenir le cycle et ils vont être réduits aux Etats-Unis comme en Europe où la présence des libéraux au sein de la coalition gouvernementale allemande va l’imposer.
La gestion du couple croissance/inflation par la monnaie et les déficits va connaître une évolution dont les termes ne peuvent pas vraiment être anticipés.
La volatilité qui s’installe sans doute durablement ne remet pas forcément en question la hausse des actifs provenant des politiques budgétaires et monétaires passées et du rebond post-Covid. La baisse des marges du fait de la crise de l’offre et de ne pourra être encaissée par les investisseurs qu’avec une inflation qui ne se renforce pas, un cycle qui ne s’infléchit pas fortement, des banques centrales qui compriment toujours les taux réels, des efforts de budgets publics qui sont confirmés.