Le tournant de l’automne et les publications trimestrielles des entreprises sont toujours l’occasion d’ajuster les estimations pour l’année et de se projeter avec un peu de précision sur la suivante. Cette année, le parfum est particulier : les déconfinements généralisés, la crise de l’offre, la hausse des matières premières, l’envolée du pétrole tirent dans un sens ou dans un autre. Un autre facteur joue spécifiquement : les Bourses ont encore beaucoup progressé cette année et, pour certaines – celles de New York – sont sur des records. Les investisseurs paient (très) cher et veulent trouver dans la microéconomie (les entreprises) la traduction des tendances macroéconomiques qui ont porté les progressions de cours.
A deux mois de la fin de l’exercice, les marchés américains et européens présentent des performances plus que brillantes : 15 à 25 % de progression depuis le début de l’année ; 35 % à 50 % par rapport à la fin octobre 2020. Les pays périphériques à l’Union Européenne comme la Suisse ou le Royaume-Uni font un peu moins bien, les émergents sont en ordre dispersé en fonction des effets matières premières et change. L’exception est asiatique et, en premier lieu, chinoise : Shanghai progresse de 10 % sur un an et de 2 % depuis le début de l’année ; Hong Kong perd 6 % cette année et ne gagne plus de 5 % en un an : les gains de 5 % Tokyo cette année ont porté le rebond en 12 mois à « seulement » 25 %.
Derrière les chiffres spectaculaires des deux côtés de l’Atlantique, on fait du surplace depuis le début du mois d’août. Le constat est criant à la Bourse de Paris avec une sorte de syndrome des 7.000 points. Un indice brut sans prise en compte des dividendes réinvestis permet des rappels. Et ces fameux 7.000 points sur le CAC 40 ont été approchés en 2000 et en 2007, la presse financière titrant alors sur ce seuil en vue comme elle le faisait encore il y a un mois.
A la publication des performances à 9 mois des entreprises, les indices butent toujours. Est-ce sous le coup de déceptions ? Les investisseurs ont-ils la tentation de « vendre la nouvelle » des résultats après en avoir acheté la rumeur ? L’anticipation d’une évolution à la chinoise se développe-t-elle ? L’économie la première à avoir subi l’épidémie et ses blocages, la première à en être sortie, et avoir rebondi, est-elle le bon indicateur pour les scénarios des trimestres à venir ?
Bien sûr, la tendance des résultats n’est pas uniforme. Elle ne l’est jamais et la conjoncture plutôt atypique accroît les écarts entre les gagnants et les perdants relatifs.
Aux Etats-Unis, il y a des surprises mais, regardées globalement elles sont bonnes. Les résultats sont meilleurs qu’attendus. Ils traduisent les perspectives de croissance qui restent élevées même si elles se sont érodées et la liquidité toujours abondante. Ils sont spécifiquement poussés en avant pour certains secteurs, comme les banques (remontée des taux longs) et les matières premières y compris énergétiques (hausse des cours).
Les bénéfices trimestriels des sociétés composant l’indice S&P 500 marquent une progression de 35 % en un an. Peut-être plus important encore, 80 % des publications sont supérieures aux estimations des analystes financiers.
Bien sûr, au-delà d’une tendance large sur les 500 compagnies sous revue, les géants du numérique ont fait le buzz. Les chiffres d’Alphabet-Google (chiffre d’affaires en hausse de 45 % en un an, bénéfice multiplié par trois en deux ans) et de Microsoft (chiffre d’affaires en progression de 22%) sont stratosphériques. Malgré les accusations dont il est l’objet et que son changement de nom en « Meta» peut en partie chercher à occulter, Facebook ne déçoit qu’à la marge : chiffre d’affaires qui gagne 35 % et ses bénéfices 17 %. La tendance (dans les proportions réduites qui sont les siennes) est similaire pour Twitter, mais Amazon et Apple ont déçu, pénalisés l’un et l’autre par des problèmes d’approvisionnement, le premier en sus par des hausses de salaires qui seront durables.
Pour autant, au total, les compagnies américaines ont été au rendez-vous et même davantage.
Le constat en Europe est évidemment le même. Les données publiées conduisent en grande majorité (plus des deux tiers) à des révisions à la hausse des bénéfices de cette année, voire de l’année prochaine. Tous les secteurs BtoB comme BtoC sont sur une pente favorable et les rares déceptions sont dues à des facteurs spécifiques ou à des excès d’anticipation à l’image de Worldline.
Avec le recul, la réalité des résultats justifie les hausses des Bourses. Les ratios de valorisation sont finalement restés plutôt stables sous le coup d’estimations de bénéfices 2021 relevés de l’ordre de 25 % depuis janvier aux Etats-Unis comme en Europe. Les niveaux de cours semblent protégés par les PER 2021 (17 fois pour l’Eurostoxx et 19 fois pour le S&P) et, surtout ceux de 202, 17 fois à Wall Street et 16 fois chez nous, cela ne marque pas de surévaluation au vu de la prudence des analystes financiers qui estiment la progression des bénéfices l’année prochaine autour de 8 %.
La problématique boursière n’est pas nouvelle : les anticipations ont été confirmées. La tendance financière va être faite à nouveau par les anticipations, peut être par de nouvelles.
En dehors des facteurs exogènes qui ne sont pas quantifiables (type nouvelle épidémie), les cours des actions (et des obligations), vont avoir deux catalyseurs : la croissance et l’ampleur de son inflexion d’une part, l’inflation et son caractère temporaire de l’autre.
L’inflexion de la croissance est actée aux Etats-Unis au troisième trimestre : 2 % après 6,2 % pour la période avril-juin, Au-delà d’effets de base et de facteurs conjoncturels, la tendance est là sous la pression des goulots d’étranglement pour la production. Même constat en Allemagne, où les tensions sur l’offre ont ramené les estimations de croissance pour l’ensemble de l’année à moins de 2,5 % alors que le consensus dépassait 3,5 % il y a trois mois.
L’ampleur de cette crise de l’offre n’est pas facile à évaluer, la conjoncture chinoise jouant un rôle déterminant. Ce qui est en revanche concret, c’est la dérive des prix, liée à la hausse des matières premières et de l’ensemble des biens de production mais, aussi aux, salaires. Aux Etats-Unis, les secteurs les plus dynamiques passent des hausses de salaires comme Amazon l’a largement expliqué. Les spécialistes de la Fed d’Atlanta qui suivent le marché de l’emploi mettent en évidence une pression des salariés qui trouve un écho.
L’Europe est aussi sensible aux hausses d’approvisionnement mais nettement moins aux pressions salariales. Pourtant, on perçoit un vrai scepticisme face aux propos de Mme Lagarde, la présidente de la Banque Centrale Européenne. Elle a répété cette semaine que les facteurs de l’inflation (énergie, décalage entre offre et demande et effets exceptionnels comme la TVA en Allemagne) allaient s’atténuer dans le courant de 2022, pour confirmer l’objectif de retour à 2 % à moyen terme. Il est vrai que le refus, par la patronne de la BCE de commenter les anticipations de marché a pu laisser perplexe. En tout état de cause, 4,1 % d’inflation en Europe en octobre après 3,4 % en septembre montre un provisoire qui s’installe.
Les Bourses sont repassées de la micro qui a confirmé les anticipations à la macro qui est incertaine pour le cycle, pour l’inflation et sur les taux. C’est ce qui explique la consolidation horizontale des trois derniers mois ou les choix sectoriels orientés vers les industries ou services en particulier digitaux les moins impactés par les hausses d’approvisionnement, les valeurs de hausse des taux ou ceux pouvant passer des hausses de tarifs maintenant leurs marges.