C’est la 26ème conférence des parties de l’ONU qui se tient cette semaine à Glasgow. La COP se présente comme l’instance de coordination internationale cherchant à fédérer les actions publiques et privées visant à régir les questions environnementales. La COP 26 voudrait, comme pas mal des 25 précédentes depuis 1995, aller au-delà des constats, instruire les conséquences des engagements qui ont pu être pris, en trouver de nouveaux, cerner des codes de bonne conduite.
Les constats se répètent et chacune des COP comporte l’exercice obligatoire de tirer la sonnette d’alarme et de décrire des conséquences plus ou moins catastrophistes de la situation actuelle et des tendances qui sont les siennes. Elles vont cependant plus loin que « la médiatisation des catastrophes et des actions indispensables » selon la formule de Yann Arthus-Bertrand. Elles ajoutent des méthodes et des process, des calendriers aussi.
Par vidéo, la souveraine du Royaume-Uni (donc d’Ecosse) a joué de l’humour anglais pour accueillir la COP26. Elizabeth II a bien averti que le temps des mots étant passés, place était laissée à celui «de l’action». Elle a engagé chacun à s’élever au-dessus de la politique du moment et à faire preuve « d’une véritable responsabilité politique ». On se situait dans le registre général, repris par son fils le prince de Galles dont les engagements climatiques sont anciens et déterminés.
Mais la reine a aussi pris de la distance : « bien sûr, les bénéfices ne seront pas là pour profiter à tous ceux qui sont ici aujourd'hui : aucun d'entre nous ne vivra éternellement. Mais nous ne le faisons pas pour nous, mais pour nos enfants et les enfants de nos enfants, et ceux qui suivront leurs traces. » Les premières pistes annoncées à Glasgow ne risquent pas de prendre cette dame âgée de 95 ans à revers sur ce point : ils visent 20 ans, 30 ans et même 50 ans.
Dans ce schéma, il faut une référence : c’est le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui joue ce rôle. Ouvert aux pays membres de l’ONU, il peut se targuer de réunir 195 Etats. Ses travaux sont réalisés par des experts choisis par sa gouvernance propre et par des représentants des administrations des pays adhérents. Ses rapports sur le changement climatique et sur ses conséquences font évidemment polémique, ce qui s’explique par la méthodologie scientifique et par les aspects politiques d’une sorte de donneur de leçon. Cela posé, c’est la mesure admise et en particulier admise par les gouvernements.
Les faits semblent en tout cas donner raison aux Cassandres du groupe d’experts. Le changement climatique qu’il mesure comme les actions qu’il voudrait imposer se centrent désormais prioritairement sur le réchauffement général sur terre et – la question de la couche d’ozone semble oubliée ou réglée – les émissions de gaz à effet de serre. En clair, l’utilisation des énergies fossiles.
Le bilan n’est pas brillant et il justifie la répétition des avertissements alarmistes des précédentes COP. De 1995, la COP première du nom à 2020, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique a été réduite de 86 % à … 84 % Celle du charbon progresse sur la même période passant de 26 % à plus de 27 %. Avec la croissance et la hausse de la consommation d’énergie, les émissions de C02 ont progressé de 55 % en 25 ans !
Encore faut-il prendre en compte la baisse atypique de l’année dernière due aux blocages sanitaires : les émissions de CO2 avaient baissé de 5,4 % et elles auront remonté de 4,9 % cette année. La tendance n’est pas enrayée et la stabilisation même pas en vue. La demande de pétrole a retrouvé son niveau d’avant l’épidémie et la Chine a augmenté de 10,6 % sa production de charbon en octobre.
Sans doute les prédictions apocalyptiques ont fini par banaliser les avertissements. On ne peut que rappeler les estimations du Club de Rome au milieu des années 1970. Ses membres, partisans de la décroissance, annonçaient pour 2010 au maximum l’épuisement des réserves de pétrole. La croissance (multiplication par 4 en 45 ans du PIB mondial en dollars constants) et les réserves trouvées depuis qui ont plus que compensé la consommation ont non seulement donné tort à ces Cassandres, mais entamé durablement la crédibilité des messages.
On n’en est plus là. Au-delà de communications de peur marquées par des excès ou par des raccourcis simplistes, le réchauffement général et d’autres effets polluants de l’activité humaine modifient à l’évidence le climat. Les engagements pris par les Etats sous la pression médiatique et celle des experts du GIEC répondent à une problématique qui n’est plus contestée. Les ambitions ne sont pas de revenir à une situation d’il y a 30 ou même 15 ans. Simplement d’accélérer les actions pour infléchir la hausse des températures, avec l’idée d’une stabilisation à long terme et, entretemps, de gestion et d’adaptation.
Au fil des années, les ambitions se sont réduites : tant qu’elles étaient irréalistes, elles finissaient par conduire à l’immobilisme. La bible est l’accord de Paris passé en 2015 à l’issue de la COP 21. L’objectif défini est de limiter la hausse de la température à 2° maximum et même à 1,5° par rapport à l’ère pré-industrielle. Les 2° sont en tout cas considérés comme un maximum absolu à la fin du siècle.
On y est déjà ou presque : la situation actuelle fixe à plus de 1,1% cette hausse, et le rythme actuel incite à anticiper ces fameux 1,5° entre 2030 et 2050 et même un passage au-dessus dans les 5 ans. On est (encore ?) loin d’avoir vraiment infléchi la tendance.
Pour y arriver, ce sont les émissions de gaz à effet de serre qui sont cadrées et qui forment les engagements des pays. Pour le moment, il n’y a pas de progrès comme le montrent les émissions globales. Les engagements ne sont pas tenus, mais on doit reconnaître qu’au moins dans les paroles, l’impératif d’agir est présent. Reste à savoir si les gouvernants peuvent être crédibles.
C’est bien le sujet : les experts ont donné leurs scénarios et c’est aux gouvernements d’agir. La COP 26 est boudée par les présidents chinois, russe et turque. Ce n’est pas bon signe même si cela a évité que soient présentés des objectifs certains de ne pas être tenus. Le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris et la présence du président Biden est une communication positive, mais rien de plus. L’accord du Congrès et nécessaire pour toute mesure climatique américaine.
Les engagements généraux pris sont finalement précis et assez bien connus pour les trois plus gros émetteurs de gaz à effet de serre : Etats-Unis, Chine, Union Européenne. Ils cadrent avec l’objectif général de réduction de 50 % des émissions d’ici à 2030 et de neutralité carbone en 2050. L’Europe semble la plus crédible, mais les Etats-Unis sont loin d’avoir lancé l’affaire qui n’a pas un large soutien populaire ou parlementaire alors que la Chine a pratiquement abandonné le passage 2030 pour se fixer à 2050. Elle a les moyens économiques et, surtout politiques de finalement les tenir sans qu’on imagine qu’elle sacrifie sa croissance le moment venu.
La première annonce-phare de cette COP écossaise est positive, mais a encore rallongé les délais. Le Premier ministre indien Narendra Modi a annoncé la neutralité carbone ... pour 2070. Il est à craindre que le calendrier remis à 50 ans pour le quatrième pollueur mondial et sous condition de financement venant des pays de l’OCDE, soit suivi dans les pays émergents à forte population et serve même de prétexte aux américains ou aux chinois.
La deuxième annonce-phare montre un changement de méthode qui peut se révéler finalement plus productif. Sortant des engagements globaux d’émissions par pays, c’est une catégorie particulière des émissions qui a fait l’objet d’un accord. 80 des pays participants se sont engagés à réduire de 30 % leurs émissions de méthane. En ciblant le plus pollueur des gaz, celui dont les émissions sont contrôlables par satellite, c’est la fameuse gestion climatique sectorielle qui entre dans le jeu. Le méthane produirait un effet de serre 80 supérieur au dioxyde de carbone Bien sûr, la Chine et l’Inde se sont abstenues pour le moment, mais, en sortant des engagements globaux souvent impossible à tenir, on est entré dans plus d’efficacité.
Reste ce qui peut sans doute être le plus important pour évoluer : les secteurs privés concurrentiels dans le monde. L’accord de Paris impliquait les gouvernements, mais prévoyait ce passage indispensable de témoin. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et contrer les effets néfastes des changements climatiques, les pays s’engageaient « à renforcer les capacités d’adaptation » et à « rendre les flux financiers compatibles ».
Il n’est pas facile de trier entre les différentes études, d’autant que la notion même d’investissement socialement responsable ou durable est contestée et que l’utilisation de ses labels a même fait l’objet d’enquêtes de la part des autorités de marché. On peut cependant estimer à plus de 10 % des encours globaux mondiaux les fonds ISR. Ce qui dépasserait 30.000 milliards d’euros, le tiers du PIB de la planète. La proportion en Europe serait très supérieure et approcherait le quart du total. A ce stade, il ne s’agit pas d’une mode ou d’un axe de communication, mais d’une vraie évolution.
La tendance est là, mais les investisseurs doivent la gérer par eux-mêmes ou sous la coupe d’incitations qui sont loin d’être globales. Un cadre commun au niveau mondial permettrait, selon certaines études, de multiplier par quatre l’encours général. Ce n’est pas pour demain. Cela dit, ce sont les fondamentaux qui orientent les flux. La COP 26 ne répond pas vraiment aux besoins de clarté nécessaire. Elle ne permet pas vraiment de progresser sur le calendrier de réduction des émissions, qui sous-tend les investissements. Les politiques de prix des matières premières et de l’énergie, des droits d’émission, de subventions ciblées, sont tout autant marquées par la gestion égoïste des Etats. Dans un registre bien connu de la théorie des jeux, chacun s’accroche à ses intérêts à court terme en attendant que les autres acceptent de privilégier le long terme.
Les investissements verts sont porteurs qu’ils soient ciblés en matière technologique, industrielle, ou de services. Cependant, les règlementations contraignantes ou celles qui créent des niches artificielles de rentabilité peuvent constituer des opportunités de court terme qui ne sont pas toujours en phase avec les objectifs longs.
Cette situation va durer et l’ISR va de ce fait rester une poche de diversification plus qu’un changement général des pratiques. Il faudrait une collaboration mondiale pour que cela change. Les enjeux environnementaux qui sont mondiaux le justifieraient. En attendant, l’investissement est indéniablement porteur, même si les conséquences de l’orientation des flux peut produire des effets inverses. On le voit cette année avec la hausse des carburants et du gaz (et celle des fonds énergie) largement la conséquence des freins environnementaux à l’investissement. On a bien compris que les besoins en la matière sont là pour durer 20, 30 ou 50 ans.