Les marchés financiers poursuivent leur progression, portés par les politiques monétaires mais, aussi, par la réalité des résultats des sociétés dans une année de rebond généralisé des économies.
Les premiers risques qui planent sur les stratégies sont le tournant politique et géopolitique chinois d’une part et, justement, les stratégies des banques centrales. C’est-à-dire l’inflation qui est réelle. Son caractère jugé « temporaire » à Francfort ou à New York est en question alors qu’un tempo de hausse des salaires est en train de s’imposer et que la crise de l’offre n’a pas encore délivré tous ses relèvements de prix. Le cas particulier du pétrole, avec une pénurie presque organisée par les contraintes à l’investissement sous la pression ESG-ISR, installe durablement des niveaux assez forts.
S’ajoutent des facteurs politiques au-delà de la Chine en préparation du XX° congrès du parti communiste. L’administration Biden peine sérieusement à faire passer le volet dit « social » de ses plans de relance ; Les contours du contrat de coalition allemand sont imprécis ; La France arrêtera sans doute sa fuite en avant financière après la présidentielle et les législatives ; Les scrutins brésilien, argentin, australien ou autrichien peuvent apporter leur lot de déstabilisation...
Il y a un pays qui ne présente pas les mêmes risques que ceux des grands marchés, ni sur le plan politique, ni sur celui de l’inflation. C’est le Japon.
Les élections du 31 octobre ont confirmé la grande stabilité politique de l’Archipel. Depuis 1948, les libéraux et démocrates ont été au pouvoir sans discontinuer sauf au total 25 mois au milieu des années 1990 et à la fin des années 2000 : à peine plus de deux ans en 73 ans ! La dernière élection qui a conduit au pouvoir Fumio Kishida, nommé auparavant, le 29 septembre, président du Parti libéraldémocrate (PLD), n’est donc pas une révolution.
La perte de confiance vis-à-vis de son prédécesseur Yoshihde Suga, nommé il y a deux ans après la démission de Shinzo Abe, le mentor du nouveau Premier ministre, n’a pas freiné un franc succès électoral du parti.
Stabilité peut signifier immobilisme dans un pays marqué par des décennies de croissance très faible. Pourtant, M. Kishida a adopté pendant la campagne un ton qui traduit une volonté de donner une impulsion nouvelle. En premier lieu en prenant de la distance avec les fameuses réformes structurelles Abenomics, au moins en apparence, annonçant une lutte contre les inégalités dans le cadre d’un « nouveau capitalisme ». Les ambitions d’évolution sont cependant bridées par sa majorité très pro-business qui a déjà conduit à l’abandon de projets de taxations, le Premier ministre concédant que « la clé de la redistribution (était) la croissance. »
Pour cette croissance, le Japon peut, en premier lieu, tirer les dividendes de sa politique sanitaire : 71% de la population est entièrement vaccinée et le nombre de nouveaux cas de Covid par jour est passé au-dessous de 200.
Ainsi, sur fond de stabilité fiscale et règlementaire (imposée par la Chambre des Représentants), la demande des consommateurs pourrait porter la conjoncture. On est loin d’en être là : au troisième trimestre, la consommation a été encore inférieure de près de 3 % à la situation pré-Covid et la dynamique n’est pas là.
On a compris des déclarations du Premier ministre qu’il n’allait pas chercher des voies nouvelles pour profiter de l’amélioration du moral des ménages provoqué par l’amélioration sanitaire : il va lancer de nouveaux plans d’investissement ou de soutien direct aux agents économiques.
Ce n’est pas la réussite des dépenses publiques précédentes qui guident le choix. Ce sont pourtant « plusieurs dizaines de billions de yen » qui sont sous la pédale sous la forme de nouveaux allègements fiscaux donnés en contrepartie d’augmentation de salaires, de hausses pour l’ensemble des personnels des soins et de santé, et d’un dispositif « Go To Travel » relancé en faveur du tourisme qui peuvent être mis en place assez vite dans le cadre d’un budget supplémentaire.
Les salaires sont ainsi la clé de la politique qui a été largement approuvée dans les urnes. On retrouve la répétition des ambitions de M. Abe de 2012 à 2020. On en est toujours là, mais sur le plan des déficits budgétaires, on avance toujours aussi.
Les moyens, M. Kishida pense les avoir en finançant encore l’activité (il préfère parler de «relance») par la dette. Elle représente 2,6 fois le PIB et on a un peu l’impression qu’à ce stade, aller plus loin n’est pas vraiment une question.
Un peu paradoxalement, c’est la gestion de productivité des entreprises et la modération salariale qui est la règle depuis des décennies qui peuvent l’aider : malgré la facture pétrolière, l’inflation n’est toujours pas en vue pour faire pression sur la dette publique.
Certes, pour la première fois depuis plus d’un an, les prix sont passés en territoire positif en septembre. Ce posé, hors énergie et agroalimentaire, l’inflation sous-jacente est restée à -0,5 %. Le solde annuel brut comportant en particulier l’énergie restera négatif (-0,2 % / -0,3%) et, pour l’année prochaine les instituts de prévisions tablent au plus sur +0,4 % à +0,5 %.
La Banque du Japon n’a donné aucun signe de modification de sa politique ultra accommodante face aux inflexions marquées par la Réserve Fédérale américaine et la Banque Centrale Européenne. Ses taux sont nuls ou négatifs depuis le début du siècle et cela va durer.
C’est dire que la gestion monétaire japonaise ne va pas craindre de suivre une politique divergente avec celle des grandes économies.
A la reprise laborieuse de la consommation, s’ajoutent les effets de la crise de l’offre pour un pays qui inscrit son industrie dans des chaînes faisant largement appel à l’import. Ainsi, la production industrielle a reculé de 5,4 % en septembre. Bien sûr, la normalisation de l’offre et le désengorgement chaînes d’approvisionnement devra, finalement sans doute plus que les salaires, être la clé d’une amorce conjoncturelle.
Les doutes sur les retombées de la politique de la demande et ceux sur l’atténuation de la crise mondiale de l’offre expliquent la dispersion des anticipations de croissance. L’année en cours est évidement assez bien cernée avec une croissance qui va s’établir entre 2,2 % et 2,4 %. Mais, pour 2022, l’écart est assez large autour de la projection de 3 % de la Banque du Japon. Le FMI a déjà affiché 3,2 %. Les plus optimistes sur un règlement de la crise de l’offre et sur un déblocage des salaires vont jusqu’à une fourchette de 3,8 % - 4 %. D’autres tout aussi crédibles, basent des analyses de maintien à peine au-dessus de 2 % sur les freins salariaux. L’historique du deal social « sécurité de l’emploi contre salaires quasi-bloqués » leur donne des arguments.
Pour les investisseurs, la donne japonaise est à la fois toujours la même et intègre de la nouveauté.
Le statu quo de la politique monétaire est confirmé et même confirmé pour plusieurs années et au-delà de la nomination d’un nouveau gouverneur de la BoJ au printemps 2023. Le pouvoir PLD reconduit est aussi facteur de stabilité législatif et règlementaire comme garant de la poursuite de la gestion budgétaire offensive.
D’un autre côté, justement, cette persistance des soutiens sur fond de sous-évaluation du change intervient avec un timing de sortie de la crise Covid qui peut amplifier leurs effets. La crise de l’offre est sans doute aussi une opportunité pour un tissu industriel qui sait profiter des crises pour trouver de nouvelles plages de compétitivité.
On a le sentiment qu’il n’y a pas grand risque à prendre le pari des actions japonaises : le soutien budgétaire et monétaire réduit le potentiel de baisse quand il y peut avoir de bonnes surprises sur le plan de l’activité.
Kabuto-Cho capitalise un peu moins de 14 fois les bénéfices 2022. Plus de 2 points de moins que les actions européennes et plus de trois points de moins que Wall Street. C’est une marge de sécurité au moment où les révisions des estimations de bénéfices sont sensiblement supérieures à l’historique et réduisent beaucoup les écarts avec les places comparables.
Un pari à risques limités ?