La vague médiatique de ce énième épisode de l’épidémie dite de la Covid19 déferle désormais. Cette même chronique le 3 septembre s’interrogeait sur « Un risque sanitaire d’automne ? ». On y est avec une vraie recrudescence dans des pays où la proportion de vaccinés est très forte : Royaume Uni, Israël, et depuis quelques semaines, l’Allemagne et ses voisins immédiats à l’Est ou au Nord. La France ne pouvait que suivre. S’ajoutent les mutations du virus et les questions qu’elles posent sur l’efficacité de la prévention vaccinale comme des capacités de soins. Il est vain de chercher des réponses définitives sur le plan scientifique et donc, de se projeter sur l’évolution sanitaire. Comme disait la chanson de Jean Gabin, « Je sais qu’on ne sait jamais ». Pourtant, nous avons l’expérience de deux ans d’épidémie et il n’est pas interdit de tenter d’en tirer des leçons.
Les process d’analyse n’ont pas cessé de s’affiner. Les avancées ou reculs des infections sont très bien cernés. Les préventions (vaccinales pour l’essentiel) peuvent être rapidement mises en place. Les traitements des malades atteints ont gagné en efficacité et le font plus rapidement encore depuis la fin de l’été. Plus importante peut-être, la communication n’a fait que renforcer son poids. Les informations en continu accessibles à tous en instantané en passant par les médias ou applications numériques mettent les populations sous tension. L’excès d’information peut aussi être un outil efficace de propagande. En tout cas, il concoure à formater les comportements, avec des conséquences sur le plan social, sur celui de l’économie et, bien sûr pour la politique dont les professionnels sont de grands acteurs des communications sanitaires. Au-delà des gestions purement électoralistes à l’Ouest et plutôt totalitaires en Chine, les gouvernements sont suivistes sinon même alignés. Les blocages des économies passant par des confinements et des fermetures de frontières sont désormais acceptés. Ils s’imposent dans les scénarios économiques des mois à venir et, d’une certaine, façon sont jugés inéluctables. On sait qu’on peut y aller. On imagine qu’on y ira.
Les blocages des économies et la chute des échanges internationaux ont provoqué en 2020 la pire récession depuis les années 1930. La contraction de plus de 3,4% du produit intérieur brut mondial avait été contenue grâce à une mobilisation totalement inédite des banques centrales et des Budgets publics des grands Etats. Loin d’être atténuée depuis, elle a mis en place les conditions du formidable rebond de cette année. Le fameux « quoi qu’il en coûte » que le président de la République n’a pas craint de reprendre à Mario Draghi du temps de sa présidence de la Banque Centrale Européenne, est un peu le symbole. Pas le symbole du traitement de l’épidémie, mais de celui des contraintes imposées par les différents gouvernements dans une gestion nouvelle d’une épidémie. Le déblocage à partir du printemps dans l’hémisphère nord ont permis de traduire dans la conjoncture les effets de ces soutiens monétaires et budgétaires distribués sans vraies limites apparentes. Le produit intérieur brut mondial va afficher près de 6 % de progression cette année, porté par les grands contributeurs : Chine (7,7%), Etats-Unis (5,7%), zone euro (5,2%). Des scores qui peuvent permettre (un peu) plus d’orthodoxie dans la politique monétaire et une évolution des politiques budgétaires. Le nouvel épisode automnal et hivernal de l’épidémie cette année annonce sans doute aujourd’hui la répétition des mesures d’il y a un an. Même si elles sont atténuées par rapport au précédent épisode, beaucoup de conjoncturistes et pas mal de spécialistes des marchés financiers annoncent ou espèrent que les réponses budgétaires et monétaires vont aussi se répéter. Evidemment, on peut avoir le sentiment qu’il est difficile d’aller beaucoup plus loin après des déficits publics de plus de 7 % du produit intérieur brut deux années de suite en Europe et du double aux Etats-Unis. Le bilan de la Réserve Fédérale américaine atteint 45 % du PIB, celui de la BCE dépasse 80 % du PIB de la zone euro. Pourtant, les mêmes effets vont produire les mêmes causes et la fuite en avant se profilerait derrière de nouveaux blocages. Et on risque de reporter encore et toujours les remboursements aides sous formes d’emprunt comme les fameux PGE français.
Une récession exogène traitée par des soutiens sans limite de création monétaire a produit une
conjoncture très particulière. Les excès d’endettement ou de capacités qui sont effacés par les récessions « naturelles » ne l’ont pas été dans la trajectoire, au contraire. Les entreprises les plus fragiles ont bénéficié de soutiens qui leur ont même donné plus de visibilité : loin d’assainir le tissu économique, la crise sanitaire en a protégé les excès. La formidable reprise de cette année a ainsi consacré le changement de politique économique mondiale déjà entamé : les Etats et les Banques centrales sont prêts à sacrifier la stabilité monétaire pour soutenir l’activité. L’inflation zéro et même l’inflation à 2 % sont des objectifs abandonnés de fait. La trajectoire 2021 est atypique sur ce point comme sur d’autres. Le rebond conjoncturel s’est opéré dans une mutation des pratiques des agents économiques, les arbitrages dans la consommation et l’investissement modifiant les équilibres. On n’a sans doute pas pu en prendre la mesure, mais le numérique a franchi un nouveau palier. Le télétravail et ses gains de productivité de court terme qui annoncent une productivité qui va être au contraire fortement réduite pour les entreprises le pratiquant à l’excès est un des exemples. Mais le plus important est sans doute l’acceptation générale des hausses de produits liées à une crise de l’offre et des hausses de salaires qui se généralisent. La montée en puissance de l’utilisation du numérique, celle des activités dites environnementales, le recours au soutien public pour les investissements après celui offert sans limite à l’activité, la primauté aux circuits courts, la redistribution sociale et les hausses d’impôts sont installés. Que la France soit le moteur de la croissance européenne cette année traduit d’une certaine façon l’entrée dans ce monde nouveau.
La réaction des Bourses en fin de semaine – et au milieu du pont de Thanksgiving aux Etats-Unis – a finalement été plutôt modérée. Le regain d’épidémie, les incertitudes vis à vis de la stratégie vaccinale n’ont vraiment pas transformé en vendredi noir le fameux Black Friday. On a des raisons d’être méfiant au regard de l’optimisme des spécialistes de l’analyse technique qui effacent les doutes et méfiances dans leur modèle de répétition du scénario des douze derniers mois. Mais il n’y a pas que du cynisme dans les stratégies de portefeuille qui voient d’abord dans les incertitudes sanitaires la perspective de nouveaux soutiens monétaires et budgétaires. Les leçons tirées plaident en ce sens. Cet optimisme peut être passé au tamis de trois sujets. En premier lieu, la capacité politique de reconduire le « quoi qu’il en coûte » couplé aux financements de plans d’investissement publics. Les termes alambiqués du contrat de coalition allemand ou la résistance des parlementaires américain donnent une idée de la question. En second lieu, en raison d’une gestion de la crise sanitaire a priori moins brutale que celle de l’année dernière : ce serait de bon sens et favorable à l’activité. Mais moins de confinement ou de blocages comporterait des risques de dérapage épidémique, et, en raison de politiques très disparates sur la planète, d’une crise de l’offre élargie. Enfin, le regain d’épidémie dans l’hémisphère nord intervient alors que les actions sont très bien valorisées. Si une fuite vers la qualité en cette fin de semaine a encore mis la pression sur les taux souverains, les taux réels sont appelés à se réduite avec des facteurs inflationnistes qu’on voit se renforcer encore. Plus que les craintes de récession longue, ce sont celles d’inflation qui peuvent contenir ou inverser la progression des Bourses, à peine entamée à la marge pour le moment. Les investisseurs ont sans doute plus à faire aux arbitrages des agents économiques qu’à une spirale de récession. Les secteurs numériques en général, ceux liés aux investissements climatiques et bien sûr sanitaires, les gagnants de la crise de l’offre y compris énergétique, ou les sociétés aux plus fortes capacités de passer des hausses de prix vont renforcer encore leur place dans les portefeuilles