Les investisseurs sortent sur un nuage (rose) de l’exercice 2021, année des records sur les Bourses, sur pas mal d’immobilier, sur des actifs réels comme les matières premières énergétiques, agricoles ou minières et sur des actifs qui ressortent directement du capital fictif défini par Marx, comme des biens estampillés « luxe » et la plupart des crypto-monnaies, au premier chef le Bitcoin. Parmi les fameux biais comportementaux de la gestion d’actifs, celui qui consiste à prolonger d’un trait les tendances récentes vient en bonne place. Bien sûr, il n’y a pas beaucoup d’épargnants ou même de spécialistes à attendre une nouvelle progression de 28 % de l’indice CAC 40 cette année. Mais les mêmes facteurs produisent les mêmes effets : la combinaison d’une fuite monétaire et budgétaire en avant généralisée et d’une adaptation très rapide des agents économiques, entreprises et ménages, peut sembler de nature à confirmer la tendance pourtant hors du commun.Cette chronique pourra passer en revue les scénarios et les affiner tout au long du mois de janvier. En amont, il y a une question qui se pose d’elle-même. Celle du fameux « monde d’après ». Le monde et singulièrement les économies ne sortent pas indemnes des grandes crises. Leurs fondamentaux sont remis en cause en profondeur. C’est avec le prisme des mutations que les formidables soutiens aux actifs doivent être regardés dans les perspectives.
Bien entendu, l’année – en tout cas son début – reste placée sous la pression de la Covid. La vague d’hiver qui atteint l’hémisphère nord est la troisième. L’expérience nous a appris qu’on ne maîtrisait pas le sujet et les interminables affirmations des experts si nombreux à communiquer sur les plateaux de télévision nous aurons finalement démontré ce seul fait. On ne peut pas en vouloir aux professions de santé de demander plus de moyens ou plus de revenus personnels. Ils ressortent chez nous d’un secteur public qui est champion des revendications en la matière, profession par profession : police, enseignement, justice, armée, services publics de tous poils ... Le peu qu’on puisse tenter de comprendre de la situation sanitaire actuelle est la propagation très forte du nouveau « variant » de la Covid 19, et sa gravité nettement plus réduite que les précédents. Il ne paraît pas impossible que dans les six mois une très large proportion des populations européennes ou américaine ait été infectée. Dans le même temps, les hospitalisations sont loin de suivre la même tendance à l’explosion, que ce soit dû aux vaccinations ou à la mutation du virus, sans doute aux deux. Sur la base d’une immunité collective et de vaccinations à répétition, les marchés financiers prennent le pari de l’érosion de la virulence de l’épidémie. Ils tablent sur des mesures limitant l’activité économique beaucoup plus modérées qu’en 2020 et 2021. Leurs effets attendus sur la croissance sont de ce fait plutôt réduits.
Au-delà des scénarios économiques 2022, l’épidémie aura des conséquences très durables et pas facile à interpréter. Les pays vont s’habituer à vivre avec une épidémie, avec d’autres que la Covid évidement. Certains vont faire le choix de plus encore de lutte contre les maladies contagieuses au risque d’imposer un modèle de croissance nettement réduit, comme la généralisation du télétravail peut l’annoncer. Cette stratégie qui s’apparente au désastreux principe de précaution de M. Chirac impliquera des sacrifices pour les populations. D’autres pays iront de l’avant en priorité voulant faire accepter des risques. Les voies différentes qui seront choisies et les règlementations qui peuvent se révéler plus ou moins autoritaires allant jusqu’à reposer sur un fichage généralisé, pourront être très discriminantes et vont entretenir une dispersion accrue des cycles économiques. Ce facteur d’instabilité, ignoré dans les projections court terme peut finir par émerger dans le courant de l’année.
Le soutien monétaire va se modérer cette année aux Etats-Unis, rester pratiquement aussi puissant en zone euro et être légèrement relancé en Chine. Les banques centrales se sont résignées à admettre en décembre les marges limitées qu’elles ont pour retrouver un minimum d’orthodoxie dans la gestion de la monnaie. Les besoins de maintien de l’activité – et aux Etats-Unis de retour au plein emploi – priment sur une normalisation. Cette normalisation pourrait cependant s’avérer nécessaire face à l’inflation qui est un facteur inconnu dans les scénarios de cette année. Les partisans d’une flambée « transitoire » suivant les affirmations de la Réserve Fédérale ou de la Banque Centrale Européenne sont à date plus nombreux que ceux qui observent une accumulation provenant de l’afflux de monnaie en excédent et d’un effet prix-salaires plutôt inéluctable. A quel point ce « monde de demain » sera-t-il inflationniste ? Le débat est ouvert, mais l’incertitude implique des attentes sur le front des taux directeurs et, aussi, sur les taux longs. Quel qu’en soit le niveau, il paraît inéluctable que les années de sortie d’épidémie, quand elles arriveront, seront marquées par une inflation installée et par des hausses de taux directeurs. Des perspectives qui peuvent empêcher de prolonger le trait des tendances financières.
Inflation, reflux mais stabilisation à un niveau structurel plus élevé
La grande marque de l’épidémie aura été le « quoi qu’il en coûte » généralisé des budgets publics. Les ratios de déficit et d’endettement ont explosé et les gouvernements ont abandonné la moindre référence à une réalité et, ainsi, à la création d’un nouvel ordre économique. Les déficits – et le support obligatoire des banques centrales aux Etats- ont organisé un maintien de l’activité et une sortie de crise vraiment particulière. Les entreprises ont su profiter à plein des subventions si largement distribuées. On peut souligner leur adaptation à un environnement bouleversé. Mais c’est bien le moins qu’on pouvait attendre dans un environnement permettant aux plus faibles de survivre (plutôt bien) et aux plus saines d’enregistrer des profits records. L’année 2021 a été un exercice de de rebond des chiffres d’affaires et de majoration des marges : la hausse des courses de Bourse n’a pas conduit à une réévaluation excessive des multiples. 2022 devra être le début de la fin de « l’open bar généralisé ». Au-delà des plans de relance déjà en route, aux Etats-Unis, en zone euro ou au Japon par exemple, l’impasse budgétaire va se corriger. Les pays de l’euro se sont offert une nouvelle année sans ratios à respecter. Cela ne va pas empêcher une nette réduction des déficits, d’abord aux Etats-Unis à 10 mois des élections du Mid Term, mais aussi en Europe où le contrat de coalition allemand assure un pouvoir de surveillance au ministre Fédéral des Finances libéral. On ne va pas pouvoir échapper à des effets de récession de ce retour à la réalité, mais l’ajustement sera géré par des gouvernements qui chercheront à canaliser les choses et à éviter les chocs trop violents. Cette gestion à vue va apporter un surplus d’incertitudes et, sans doute des bras de fer politiques.
On tient là le dernier point de la définition laborieuse du « monde de demain ». Les rendez-vous électoraux italien et français ne seront que des hors d’œuvre dans un débat européen qui va subir la pression du programme fédéraliste de la coalition allemande. La crédibilité de l’administration Biden semble avoir peu de chance de se renforcer après les élections de novembre au Congrès. Le pouvoir absolu de Xi Jinping va lui permettre d’imposer des transformations sociétales qui n’auront pas le souci de ménager la conjoncture américaine ou européenne. Peuvent s’ajouter des montées de tensions sur la guerre commerciale sino-américaine, sur des questions géostratégiques avec la Russie autour de l’Ukraine et des projets d’élargissement de l’Otan, et, toujours en Chine, avec – certainement – Hong Kong et – au moins dans les paroles – Taïwan. En même temps, les conjonctures de taux et de change vont continuer à bouleverser les équilibres financiers et politiques des pays émergents. Pourtant, le plus marquant des pressions politiques – du point de vue des marchés financiers – tient pour le moment aux engagements climatiques. Il est plutôt bien anticipé dans les investissements pour ce « monde de demain » dont il doit être le vrai marqueur. Face aux ambitions qui peuvent être irréalistes et, au gré des possibilités laissées par les autres facteurs d’instabilité, ils seront évidemment revus, sans doute plus dans la réalité des décisions publiques ou même de stratégies de grands groupes que dans les portefeuilles.