Mardi, trois associations d’acteurs des entreprises de croissance, des sociétés petites ou de taille intermédiaires ou d’investisseurs, ont fait passer un examen oral à des candidats à l’élection présidentielle. Croissance Plus réunit 400 entreprises de croissance : l’objet du METI est résumé dans son nom : Mouvement des entreprises de taille intermédiaire ; France Invest regroupe une grande majorité des équipes de capital investissement en France. Les présidents actuels des structures peuvent donner une idée des entreprises fédérées : respectivement Thibaut Bechetoille patron du spécialiste de cybersécurité Ozon, Frédéric Coirier (Poujoulat) et Philippe d’Ornano (Sisley), Claire Chabrier (Amundi Private Equity Funds). Au total, ce sont les représentants de 14.000 entreprises employant 6 millions de personnes, réalisant 1.000 milliards d’euros de chiffre d’affaires, pesant un tiers du commerce extérieur et porteuses de 300 milliards d’investissement dans des start up, des PME et des ETI, qui avaient convié les présidentiables. Les sujets économiques, qui peuvent paraître un peu marginalisés dans le débat médiatique, ont ainsi pu être exposés et passés au crible par des patrons ou des financiers.
La première chose qu’on peut retenir d’une après-midi de débat est l’extrême politesse des petits patrons, qui ont applaudi chacun des six intervenants et les ont interpellés sur leurs programmes sans animosité et avec le souci de comprendre et, surtout de faire comprendre. Les entrepreneurs ont pu passer leur message. Cela dit, ce n’est pas une injure faite aux représentants de Mme Le Pen (Franck Allisio), de M. Mélenchon (Adrien Quatennens) ou de M. Jadot (Frédéric Benhaim) que de constater que les stars étaient présentes en face d’eux en les personnes de Mme Pécresse et de MM. Le Maire et Zemmour. Le casting n’est évidemment pas un hasard. La remise en cause du libéralisme, ou des hausses d’impôt plus ou moins massives et ciblées avaient peu de chance de convaincre des acteurs de terrain de l’entreprenariat. Les exposés de qualité et très mesurés des porte-parole du Rassemblement National, de la France Insoumise ou du Pôle écologistes ont permis d’enregistrer un vrai respect pour les entreprises, parfois à la condition qu’elles soient « petites ». Le souci de l’emploi dicte un certain pragmatisme, mais n’efface pas la méfiance vis à vis de l’argent et de la réussite et, surtout, l’engagement de les sanctionner au travers d’une fiscalité encore aggravée.
Certes les styles des « stars » sont bien différents. M. Le Maire, pour défendre par avance la candidature de M. Macron, joue la compétence qu’il estime illustrée par son action à la tête du ministère de l’Economie et des Finance, son bilan en quelque sorte. Mme Pécresse en dresse un jugement sévère et affiche une ambition de « Nouvelle France » dans le monde économique post-Covid. M. Zemmour pointe des retards sur la base de comparaisons internationales et affirme son but de souveraineté économique. Mais, la forme et les postures dépassées, les annonces convergent sérieusement. Produire plus, produire mieux, produire en France : derrière le résultat visé, les recettes ne clivent pas. Nous avons entendu trois engagements à donner de la visibilité réglementaire et fiscale aux entreprises (et même aux ménages). La stabilisation fiscale pour 5 ans est un engagement commun et la simplification administrative et même la réduction des normes l’est aussi. Selon M. Le Maire, il s’agit de poursuivre ce qui a été fait depuis 5 ans ; pour Mme Pécresse, d’engager une « politique de la hache » pour « débureaucratiser » l’économie. Le Haut-Commissaire à la simplification promis par M. Zemmour devra supprimer pléthore de normes françaises et européennes et abolir des effets de seuil. Les intentions sont presque totalement alignées et les mesures elles-mêmes plutôt proches, même si le ministre sortant est limité par son souci de crédibilité dans le cadre politique français et européen de son futur candidat.
Le sujet des normes et des contraintes légales ou règlementaires amène plus généralement à celui du soutien aux entreprises. Il ne semble pas avoir de débat pour ce qui concerne l’innovation. Elle peut être habillée de la perspective de décarboner (du côté de la République en Marche), du produire mieux de LR ou, pour Reconquête, du passage à une part de Recherche et Développement dans le PIB en ligne avec les grands pays de l’Union Européenne. Pour les trois partis, des encouragements fiscaux sont prévus pour financier l’innovation, pour (la formule est presque copiée) que des ponts soient renforcés entre la recherche fondamentale et ses applications. Au vu des besoins en jeu, c’est le Budget public qui va forcément être mobilisé, mais le fléchage de l’épargne est aussi annoncé, soit spécifiquement pour les projets « verts » (Le Maire et Pécresse), soit en rétablissant l’IFI PME et en puisant dans le Livret A (Zemmour). Mais les recettes des uns et des autres seront appliquées … par les uns ou les autres. Un autre aspect du soutien est la commande publique. Là encore, le consensus est impressionnant ; la remise en cause de l‘ouverture concurrentielle absolue a été mise (enfin ?) en perspective avec les pays en dehors de l’Union Européenne. Les règles pour un marché pesant au total 8 % du PIB selon le ministre de l’Economie et des Finances, seront quoi qu’il arrive modifiées pour privilégier les entreprises à impact, le local, le français pour tout dire.
Reste le nerf de la guerre : la fiscalité. Pour ce qui concerne les impôts de production, M. Le Maire a résumé le programme idéal : suppression de la contribution sociale de solidarité des entreprises (C3S), de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), baisse généralisée des impôts de production sur 5 ans. Le ministre a concédé qu’une partie seulement peut être finançable dans l’équation budgétaire, affirmant que depuis 2017, 26 milliards d’euros de baisse des impôts de production ont été dégagés (pour un montant qui serait équivalent pour les particuliers). Mme Pécresse annonce 10 nouveaux milliards ce qui est sur une ligne similaire. M. Zemmour va plus loin, en annonçant un taux d’IS de 15 % pour les PME et ETI, mais sans aller jusqu’aux 50 milliards de baisse des impôts de production qui, selon le représentant de France Invest, seraient nécessaires pour aligner cette fiscalité spécifique sur ce qui est pratiqué en Italie ou en Allemagne. Sur le sujet particulier des PGE (Prêts Garantis par l’Etat) accordés pendant les premières vagues de la Covid, qui représentent un encours de 143 milliards d’euros, l’allongement jusqu’à 10 ans de la durée de remboursement est acté de concert.
Du coté des ménages, « récompenser le travail » est affirmé en cœur. Sur ce point encore, M. Le Maire affiche un profil qu’il veut pragmatique face aux baisses de charges sociales annoncées par LR ou à la prime défiscalisée « type 13ème mois » de M. Zemmour. Mais les recettes sont proches et elles passent des trois côtés, par une réforme des retraites repoussant l’âge effectif de départ. Le sujet des droits de succession qui s’est invité dans la campagne médiatique ne sépare pas vraiment davantage. M. Le Maire est un peu plus en arrière de la main que Mme Pécresse et plus encore que M. Zemmour, mais la direction est commune : majoration des dons défiscalisés aux héritiers ; aménagement des dispositifs « Dutreil » de transmission aux entreprises ; possibilité élargie de lever des fonds à des investisseurs professionnels sans remettre en cause le contrôle.
Entre trois candidats (ou presque candidats) crédités au total par les instituts de sondages de près de 60 % des suffrages, il se dessine en matière économique un véritable « programme commun ». Des nuances entre la majorité et l’opposition, ou les positionnements plus ou moins consensuels existent. Mais au grand oral devant les PME et ETI, ainsi que leurs financeurs, les mesures annoncées sont apparues vraiment très proches. Il y a cependant une question qui n’est pas abordée dans ce cadre de politique micro : le financement. M. Le Maire, qui s’est voulu le plus crédible et qui fait partie des orthodoxes de la majorité, a réaffirmé l’objectif de retour à un déficit de 3 % du produit intérieur brut … pour 2027. Une séquence que la Cour des Comptes a jugé « incertaine » mercredi et qui repose sur une baisse des dépenses publiques et un maintien de la fiscalité. Ses homologues se sont montrés encore plus vagues. La croissance et l’inflation ne vont pourtant pas être les potions magiques pour assurer ces réformes pro-business qu’un consensus juge si nécessaires. Le programme commun de la gauche de 1981 a plongé les finances publiques françaises dans une fuite en avant budgétaire qui a trop longtemps fait figure de stratégie. Et dont nous payons encore la facture. Le « programme commun de la droite » devra convaincre de sa capacité à passer.