Les feux olympiques – et para olympiques – d’hiver éteints, la Chine redescend un peu dans le quotidien de la réalité et, aussi, dans sa stratégie de moyen ou de long terme. 9 médailles d’or l’ont classée au troisième rang cette année, derrière les 12 de l’Allemagne et loin derrière les 16 norvégiennes. Ce palmarès n’a rien d’anecdotique : en 4 ans, les sportifs chinois ont multiplié leur score par 9 puisqu’à PyeongChang, une seule première place sur le podium avait été obtenue. Le symbole de la montée en puissance générale du pays se retrouve en quelque sorte dans le constat. Cependant, l’environnement de ce premier trimestre 2022 est sous la pression d’épreuves qui, sans la remettre en cause, modifie la tendance et la stratégie du parti communiste. Ce dernier prépare pour cet automne son XXème Congrès qui devra à la fois apprécier le terrain gagné et dessiner une nouvelle politique intérieure et extérieure dans le fameux objectif 2035 : doubler la taille de l’économie en 15 ans, et devenir déjà en 2025 à l’issue du 14ème plan quinquennal un pays « à haut revenu ». Les réformes de normalisation engagées, parfois brutales, rencontrent cette année des obstacles imprévus : la poursuite de l’épidémie de la Covid-19, la guerre en Ukraine, les resserrements monétaires aux Etats-Unis et en Europe.
Depuis le début de l’épidémie, l’analyse des informations en provenance de Chine n’est pas simple. Les données sanitaires publiées sont au mieux parcellaires, relevant sans doute pour une part de la propagande. La stratégie dite de « zéro Covid dynamique » implique des tests de populations entières et des confinements en réponse à l’observation de cas positifs. Ce sont ces mesures qui permettent d’avoir une idée du regain épidémique actuel : Shanghai, Changchun et la mégalopole de Shenzhen sont confinés. On compte les personnes concernées au travers de la Chine en dizaines de millions. Hong Kong dont la moitié de la population a été infectée et où le taux de décès s’est envolé, applique les procédures chinoises : isolation en quarantaine des cas positifs pendant 14 jours dans des centres spécifiques en préfabriqué ; interdiction des réunions de plus de 2 personnes ; fermeture des écoles et des commerces. Tout cela pèse sérieusement sur l’activité chinoise. Des indicateurs à haute fréquence enregistrent par exemple un rebond très limité des déplacements, qui se situent près de 60 % au-dessous de leurs niveaux d’avant l’épidémie. Les indicateurs avancés des directeurs d’achat manufacturiers (PMI) annoncent une stagnation en se maintenant autour du seuil de neutralité de 50. Toujours au chapitre Covid, le blocage de Shenzhen a des conséquences spécifiques sur l’ensemble de la Tech chinoise, mais aussi sur le financement des entreprises par les marchés financiers.
L’affaire d’Ukraine a de nombreuses implications pour la Chine. On a bien compris le jeu géopolitique et économique : soutien de fait à la Russie, mais en sauvant les apparences vis-vis des Etats-Unis. La Chine ne lâche pas son voisin sur le plan politique, prenant un peu la tête des pays se refusant à le condamner, qui comptent parmi les plus peuplés de la planète ; Inde, Indonésie, Pakistan, Nigeria, Brésil, … En matière économique Pékin veut contourner les sanctions sans les rejeter de front. C’est ce qui est fait depuis des années vis à vis de la Corée du Nord, de l’Iran de Cuba ou de la Syrie. Les menaces de rétorsions américaines à ces accrocs aux sanctions ne sont pas prises à la légère, mais on comprend que, si les sanctions vis à vis de la Russie ne sont pas vraiment pénalisantes pour les Etats-Unis, il n’en serait pas du tout de même dans le cas de la Chine. Les économies sont largement imbriquées : l’Amérique ne pourrait se passer de son fournisseur et, pas plus de son premier créancier. On estime l’impact des sanctions occidentales vis à vis de la Russie sur le produit intérieur brut chinois plus près de 0,5 % que de 1 %. Il pourrait donc être négligeable cette année et l’année prochaine. Il faut relativiser : à court terme (2022 et 2023) un fort ralentissement ou une récession en Europe – dont les importations en provenance de l’Empire du Milieu se montent à 3 % du PIB chinois - amplifierait cette tendance. A plus long terme en revanche, un blocage ou un contingentement durable des exportations de matières premières ou agricoles russes vers l’Ouest auraient des conséquences longues très positives pour la Chine et sa compétitivité : ses fournitures en gaz, en pétrole, en céréales pourraient puiser en Russie, en bénéficiant de prix cassés par rapport à ceux que devront acquitter les européens ou les japonais. Les importations chinoises en provenance de Russie pesaient l’année dernière 3, 4% du PIB chinois (et les exportations 2,4 %). L’effet d’aubaine de tarifs russes décotés pourra être saisi sans remettre en cause l’indépendance de la Chine qui se recentre sur elle-même.
Le troisième grand obstacle que M. Xi doit franchir est le changement de donne mondiale en matière d’inflation et, donc, de politiques monétaires. La question des prix ne se pose pas vraiment en Chine : depuis le début de l’année, leur dérive se situe à moins de 1 %, largement au-dessous de la cible qui se site à 3 %. Les prix à la production qui baissaient avant le 24 février répercutent la hausse de l’énergie ou des céréales, mais ne sont pas (encore) en hausse. Le calibrage économique chinois 2022 a été fixé avec une croissance de 5,5 % (après le rebond de 8,1 % en 2021). A ce stade, le XXème Congrès s’ouvrirait sur un taux de chômage en légère baisse (au-dessous de 5,5%) grâce à 11 millions de création d’emplois et une croissance en phase avec l’objectif 2035. La hausse de l’énergie pèse sur la consommation et réduit la dynamique. Mais les conséquences de la nouvelle vague de l’épidémie ont des effets plus importants : en plus des confinements, les circuits de production sont une nouvelle fois désorganisés alors que la normalisation des approvisionnements en particulier en puces électronique ne s’opère pas. La conjoncture est par ailleurs durablement marquée par un assainissement économique général visant à réduire les inégalités et à casser la spéculation immobilière. Pour tout dire il s’agit d’effectuer une double transition : montée en puissance de la contribution interne à la croissance ; gestion du pouvoir, des collectivités et des entreprises pour installer le modèle social de « prospérité générale ». La démondialisation et le repli des économies sur l’interne préserve finalement la Chine des effets des sanctions américaines vis à vis de la Russie et, à terme, elle serait une bénéficiaire de leur poursuite. En revanche, la situation sanitaire est venue s’ajouter aux effets récessifs de la politique d’assainissement financière, monétaire et même sociale. Face au durcissement monétaire de la Réserve Fédérale américaine et de la Banque Centrale Européenne, la Banque Populaire de Chine aura-t-elle suffisamment d’autonomie pour aller dans le sens inverse ? Oui sans aucun doute. Le déficit public était ciblé à 2,8 % du PIB, les émissions obligataires des gouvernements locaux devaient seulement être maintenues au niveau de 2021 et celui des investissements en infrastructures légèrement majorés. Il y a de la marge.
De fait, la BPC a déjà assoupli sa politique depuis le début de l’année en apportant plus de financement à l’économie et en baissant certains taux. Si elle n’a pas accéléré ce mois-ci, tout en assurant la liquidité du système bancaire, on a bien compris que tout sera fait pour assurer les 5,5 % de croissance. Le taux réel en renminbi est positif, ce qui est loin d’être le cas en dollars, en euro, en livres sterling ou en yen et elle peut jouer ses atouts sans vraie crainte. On aura noté que ce statu quo du taux directeur à 3,7 % a été contrebalancé cette semaine par un cadeau fiscal aux PME pour un montant de près de 0,9 % du PIB. Les fondamentaux finalement favorables ne se traduisent pas dans les marchés financiers. Bien sûr les confinements de Shenzhen et Hong Kong ne simplifient pas l’analyse. Mais les indices boursiers chinois encaissent une baisse de 10 à 15 % depuis le début de l’année qui porte les pertes en un an dans une (large) fourchette de 8 à 25 %. La géopolitique renforce la concentration des investisseurs internationaux sur leur propre zone et se traduit par des ventes nettes. Pour autant, après le choc de l’immobilier, le pouvoir a manifesté son intention de soutenir les Bourses. Il se base dans ce cas encore sur ses ressources internes par le biais de mesures incitatives à l’actionnariat et de levée de règlementations restrictives, en particulier pour les valeurs technologiques.