L’élection présidentielle française ne semblait pas devoir peser sur les marchés financiers. Pas de campagne et donc pas d’engagements à tenir. Pas d’incertitude non plus sur le résultat final. Pourtant, il y a eu un décrochage à partir du 4 avril, noté aussi bien sur la dette de l’État français que sur le CAC 40 : les actifs français se sont mis à l’abri en se constituant une (modeste) prime de risque par rapport aux équivalents européens. Les résultats du premier tour confirment les attentes de la reconduction à la fin du mois du duel d’il y a cinq ans. Sans entrer dans le jeu des analyses ou des pronostics, on constate aux premiers échanges boursiers post-scrutin que les investisseurs estiment que le résultat valide leurs anticipations corrigées depuis une semaine. Aussi bien la forte probabilité de la reconduction de M. Macron que la vraie possibilité d’une issue inverse, sont en quelque sorte dans les cours. Les évolutions spécifiques de la Bourse de Paris et des marchés obligataires français sont en tout état de cause relativisées par les grands facteurs macroéconomiques et géopolitiques
La volatilité d’origine politique est venue, depuis le début du mois, de la dynamique des candidats Le Pen et Mélenchon et, aussi, de la réduction de l’avantage donné à M. Macron dans les sondages de deuxième tour. Sur le marché obligataire, le plus large et le plus sensible, c’est un coefficient d’incertitude qui a été donné. L’écart de rendement entre l’Obligation Assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans et le Bund allemand de même échéance est passé de 49,2 à 50,5 points de base. Cela peut paraître limité, mais montre bien que ce qui était exclu ne l’est plus. Pourtant, justement, si l’incertitude politique a fait un certain retour, les conséquences immédiates sur le marché obligataire du scénario contrariant – l’élection de Mme Le Pen – seraient d’une bien autre ampleur. Il n’y a pas vraiment de précédents et le souvenir de mai 1981 – attaque sur le franc et sur les emprunts d’État n’offre pas de base pour des scénarios. Les périodes de forte incertitude sur l’évolution politique et sur la gestion de l’économie – et la victoire de Mme Le Pen en ouvrirait une – se traduisent par des attaques sur la monnaie qui contraint à remonter les taux directeurs. Dans le cadre de la zone euro, l’attaque sur la monnaie commune apparaît bien peu dangereuse. La Banque Centrale Européenne ne trouverait pas dans l’actualité politique française des raisons de remonter les rendements pour défendre la monnaie. En revanche, cette même BCE serait à la manœuvre pour canaliser des arbitrages sur la dette française, sans forcément chercher à éviter la hausse de l’écart de son rendement avec celle de la République Fédérale Allemande. On notera d’ailleurs qu’un taux obligataire à 10 ans du niveau de celui de l’Italie de 2,40 % pour le 10 ans, ce qui apparaît comme un scénario maximal, ne serait pas une catastrophe du côté français. Les OAT supplémentaires achetées par la BCE viendraient au bilan de la Banque de France qui encaisserait, pour compte de l’État, les intérêts … versés par l’État. En tout état de cause, un Etat qui s’endette à un coût inférieur à la croissance nominale ne dégrade pas ses ratios à venir. L’inflation met aujourd’hui à l’abri.
Dans la semaine précédant le 1er tour, l’indice CAC 40 a reculé de plus de 1 % de plus que l’Eurostoxx 50. Par rapport au DAX 30, la sous-performance a dépassé 1,3 %. Rien de bien grave, mais un changement. A la reprise des cotations lundi, les investisseurs ont eu tendance à corriger les précautions prises. La « prime de risque électorale » est plutôt revue à la baisse. Il y a des facteurs spécifiques d’ordre technique, comme le poids des banques dans notre indice au moment où la conjoncture internationale de taux d’intérêt reconstitue leurs marges. Cependant, les actions plus encore que les obligations, mettent en évidence une grande confiance des investisseurs dans le scénario politique qu’ils espèrent autant qu’ils l’anticipent. Ce scénario ce serait une confirmation des sondages et une élection d’Emmanuel Macron, puis d’une majorité parlementaire pour lui donner les pleins pouvoirs. Les 15 jours qui viennent pourront renforcer cette confiance comme, au moins ponctuellement, la fragiliser. Dans toutes les hypothèses, les crédibilités du programme de réformes françaises ou de construction fédérale européenne sont largement entamées par les scores de Mme Le Pen et, plus encore peut-être de M. Mélenchon dont l’électorat a les clefs de la présidentielle.
On objectera que, précisément le programme Macron n’est pas développé et qu’on ne pourra pas vraiment être déçu quand l’heure sera à l’action. Cependant, la meilleure valorisation des actions françaises par rapport aux allemandes par exemple, si elle est justifiée par les fondamentaux, va être quoi qu’il arrive mise à l’épreuve par la politique. Bien sûr, le profil de notre économie est plus favorable que celui de l’allemande, dans une conjoncture de pression sur le commerce international, de crise généralisée des approvisionnements, d’envolée des matières premières et agricoles et d’engagements climatiques. Mais la surévaluation française ne prend pas vraiment en compte un risque politique qui ne se limite pas au scrutin de deuxième tout du 24 avril. La composition de l’Assemblée Nationale est une inconnue qui ne va pas être déterminée rapidement. Et, même si une certaine majorité parlementaire devait se dégager, les forces d’opposition à l’action gouvernementale ne seront pas annihilées.
Le bilan boursier du lendemain du 1er tout est marqué par un optimisme qui peut sembler excessif face à des incertitudes politiques et sociales qui sont loin d’être gommées. L’environnement international explique pour une large part cet excès de sang-froid. La guerre d’Ukraine et ses conséquences portent des risques de court, moyen et long terme, qui peuvent sembler d’une autre ampleur que nos aléas électoraux. Le renforcement de la guerre économique sino-américaine (qui est largement amplifié par le conflit d’Europe centrale) aussi. La conjoncture internationale des matières premières et agricoles, la contre révolution des circuits de production d’une démondialisation, la croissance américaine qui s’emballe et le changement de pied de la politique monétaire américaine et la montée du dollar sont les grands déterminants de l’évolution des marchés financiers. Même face à une crise politique ou sociale, les actifs français conserveraient leurs atouts qui sont de long terme. Au-delà de la richesse des ménages et de la solidité globale du tissu économique, la crédibilité historique à lever l’impôt explique la faveur si durable des emprunts d’État. La résistance d’aujourd’hui des Bourses ou des OAT face à des incertitudes vraiment croissantes n’est pas autre chose que la crainte des investisseurs qui détiennent des liquidités records de rater des occasions d’achat. Sur de fortes baisses, il y aurait des candidats à renforcer les positions et cela explique la volonté actuelle de « tenir ».