Les révisions des perspectives de croissance s’égrènent un peu partout de mois en mois sur le même tempo. Seulement 3 % pour l’activité mondiale cette année sont en ligne de mire alors que les projections de la Banque Mondiale de janvier s’établissaient à 4,4 %. La Commission européenne a de son côté ramené à 2,7 % sa cible 2022. L’acquis de croissance 2021 assure près de 2 %, ce qui met en évidence la dégradation. Les Etats-Unis, qui sont dans une bien meilleure position en leur qualité de gagnants économiques de la guerre d’Ukraine, n’échappent pas au ralentissement et, cette semaine encore, les indicateurs d’activité manufacturière ont montré une nette contraction. Ce ralentissement de la croissance s’opère sur un champ largement inflationniste : 6,1 % pour l’année selon la Commission Européenne ; le pic américain supérieur à 8 % (en glissement annuel) depuis deux mois est peut-être passé, mais le solde 2022 – un peu au-dessus des 6 % du scénario européen - va bien ramener la conjoncture de prix 50 ans en arrière. Dans ce double constat de croissance qui se réduit – de façon très déséquilibrée suivant les grandes zones – et d’inflation qui développe un cycle, il y a un acteur qui pèse -très- lourd. C’est la Chine, la deuxième économie mondiale.
Depuis 2000, le produit intérieur brut chinois (en dollars courants) a été multiplié par plus de 12 quand celui du monde l’a été par 2,5. Son produit intérieur brut représente près de 17 % de celui de la planète, ce qui est un peu plus que la zone euro (0,6 % de plus) mais reste à distance des Etats-Unis qui pèsent pratiquement le quart. Le moteur de la croissance mondiale a ainsi été l’industrie chinoise pendant près de 20 ans. Le deal si déséquilibré de l’entrée du pays dans l’Organisation Internationale du Commerce a été passé par les Etats-Unis en engageant l’ensemble des économies du G7 : fourniture aux industries et à la consommation d’approvisionnement et de produits à des prix cassés, levée des barrières qui auraient équilibré la concurrence. C’est justement la concurrence des salaires et des prestations sociales qui a assis cette croissance exceptionnelle. Depuis maintenant près de 10 ans, les demandes internationales de plus de croissance interne de la Chine ont finalement été respectées avec une hausse du niveau de vie. Mais il aura fallu la crise sanitaire de la Covid pour que la désindustrialisation et la dépendance des pays développés soient perçues et sortent des études théoriques ou du ressenti des urnes au travers de votes dits populistes aux Etats-Unis ou en Europe. La Chine a été en avant dans l’épidémie qui s’est déclenchée sur son territoire. Elle a été en avance dans la sortie, échappant même à la récession en 2020. Elle est plus que rattrapée aujourd’hui par la vague du moment, la fameuse stratégie zéro Covid dynamique échouant spectaculairement. Les conséquences économiques pèsent sur les deux grandes données du cycle mondial : la croissance et l’inflation, amplifiant en quelque sorte les conséquences de la guerre d’Ukraine.
Les mesures de confinement prises par Pékin sont à la mesure de la taille du pays et des possibilités offertes par la dictature. On a évidemment des difficultés à estimer les populations confinées dans les mégapoles, en sachant qu’elles se comptent par centaines de millions. La région de Shanghai a été certainement une des plus touchées, mais les grands ports d’exportation ont aussi été ciblés. Les conséquences des blocages se mesurent un peu mieux, avec la prudence qui est de mise dès lors qu’il s’agit des statistiques chinoises. Les importations stagnent et les exportations ont retrouvé le point bas de juillet 2020 dans la première vague de la Covid. Il en va des publications de la Chine comme de celle de l’inflation aux Etats-Unis et en Europe : des retours à des situations inconnues depuis des décennies. En avril, la production industrielle a baissé : c’est seulement la deuxième fois en un mois depuis l’an 2000, la première ayant été enregistrée en février 2020 au début de l’épidémie. Cette contraction de près de 3 %, qu’on a retrouvé dans les exportations, s’est accompagnée d’une baisse de la consommation de 11 % après déjà 3,5 % en mars. Enfin, et malgré une augmentation des investissements publics et parapublics en infrastructures, la dynamique du crédit s’est érodée. L’effet de cette inversion des courbes a un impact direct sur la croissance mondiale dont la Chine était le grand moteur. Facteur de ralentissement exporté, il est aussi facteur d’inflation dans les pays développés en prolongeant la crise de l’offre et la désorganisation des chaînes de production.
Le panorama d’avril semble cependant avoir été le plus sévère avant une amélioration. La réaction des autorités se développe sur trois fronts : la réouverture de zones sous blocages ; le soutien ciblé à des secteurs jugés clés ; une inflexion dans le durcissement monétaire annoncé à l’automne dernier. La libération progressive de Shanghai montre la prise en compte des conséquences sévères de l’ensemble des confinements. Le pouvoir communiste a annoncé dans la foulée la réouverture plutôt généralisée des économies. On ne comprend pas forcément si l’amélioration sanitaire justifie cette évolution ou si l’impératif économique prend le dessus, mais le rebond conjoncturel presque mécanique attendu après la douche froide d’avril devrait ainsi être prolongé durant les mois d’été. Des budgets publics pour soutenir encore davantage l’investissement sont annoncés en parallèle. Il s’agira d’un accroissement alors que les effets des engagements effectués depuis le début de l’année devraient être perceptibles avant la fin du trimestre. L’immobilier avait été au premier rang de la politique d’assainissement menée depuis l’été 2020. Six mois après le géant Evergrande à l’automne, un autre des grands promoteurs, Supac, a été défaillant sur une (petite) échéance. Sans renoncer à écraser l’excès de bulle spéculative, le pouvoir a annoncé des mesures ciblées pour le secteur comme celles concernant les primo-accédants. L’immobilier concoure pour plus de 20 % au PIB chinois et a dépassé 25 % au plus fort des spéculations. L’assainissement financier visé en Chine ne s’arrêtait pas à l’immobilier. On peut même dire que la stratégie monétaire et budgétaire visait une croissance revue à la baisse, la qualité (résilience de long terme et rééquilibrage des richesses) étant en quelque sorte privilégiée sur la quantité. L’objectif de 5,5 % de croissance cette année réaffirmé au plus haut niveau du Parti Communiste passe par une atténuation de cette politique qui était prête à sacrifier une part de l’activité. Un mix de maintien d’une gestion monétaire toujours stricte, mais allégée et de mesures ciblées, en particulier vis à vis des PME ou des secteurs numériques est le dernier des facteurs qui permettent d’anticiper un regain conjoncturel (modéré).
Si la conjoncture chinoise pèse sur la croissance mondiale et pousse l’inflation, elle n’est pas affectée outre mesure par la guerre d’Ukraine. En témoigne l’inflation contenue qui connaît certes une poussée, mais s’est limitée à un glissement annuel de 2,1 % en avril. La Chine importe moins d’inflation que l’Europe : la monnaie a limité à 5 % sa baisse depuis le début de l’année face au dollar. De plus, les achats de produits énergétiques et celle d’autres importations en provenance de Russie sont réalisés à des prix nettement cassés par rapport aux cours internationaux. Les dividendes du soutien de fait apporté à la Russie donnent à la Chine des avantages compétitifs. Cependant, ils ne se transféreront que de façon atténuée vers les Etats-Unis et, compte tenu des variations de change de façon marginale en Europe. D’une certaine façon, la Chine produit presque en dollars et elle échappe pour une part à la pénalisation la plus forte qu’est le prix de l’énergie, face à une économie américaine qui, globalement en profite plutôt. Sans la nouvelle vague épidémique, elle aurait figuré aux côtés des Etats-Unis parmi les gagnants de la guerre d’Ukraine. Les nouveaux termes de l’échange de la Chine avec les pays de l’OCDE et avec ses sous-traitants ou fournisseurs des pays émergents vont se dessiner au moment où sa conjoncture va retrouver ses tendances de croissance moyen terme, en phase avec la démographie. Le resserrement du commerce mondial va se confirmer avec cette Chine plus axée sur l’interne et profitant à plein de l’alliance de fait avec la Russie. Il ne faut en tout cas pas attendre d’elle un soutien à la croissance mondiale comparable à celui des années 2000-2014. Il ne faut pas non plus attendre de sa part une nouvelle phase de désinflation par la concurrence ni une forte reprise de ses importations. Les économies occidentales veulent reposer sur des approvisionnements plus sûrs et plus locaux. Leurs circuits économiques se veulent plus courts. Les pays veulent des industries qui assurent leur souveraineté et leur indépendance. Tout cela a un prix : l’inflation durable. Il ne faut pas attendre de la Chine qu’elle aide les pays développés à passer le cap.