La chute violente de l’ensemble des crypto-monnaies la semaine dernière a remis dans l’actualité financière les actifs spéculatifs que sont ces « monnaies ». Que sont ces cryptos ? Comment expliquer leur vogue ? pourquoi les autorités financières, les Banques Centrales et les Etats les ont laissé se développer sans vrai contrôle et même en leur donnant parfois des agréments ? Les questions qui reviennent sont un peu toujours les mêmes depuis l’envolée du Bitcoin au début des années 2010 et sa véritable explosion de hausse de 2017 où sa contrevaleur était passée de moins de 1.000 dollars à plus de 13.000. Elle était de 1 cent début 2010. Le laisser faire en matière financière a appuyé une croissance véritablement exponentielle qui a pu s’appuyer sur la technique de la chaîne de blocs (blockchain). Le phénomène est techno. Mais est-il vraiment nouveau ?
Les crypto-monnaies se sont placées sur un marché qui n’a rien de bien nouveau : celui des actifs qui cherchent à protéger contre la perte de valeur des monnaies. Les bilans fous des banques centrales et bien sûr, en premier lieu celui de la Réserve Fédérale portent atteinte à la crédibilité des monnaies. Le bilan de la Fed a plus que doublé de 2016 à 2022 et représentait en janvier, pratiquement 40% du produit intérieur brut américain. Depuis 2009, il avait été multiplié par près de 9 fois. Alors – justement aux débuts du Bitcoin – il pesait 7,5 % du PIB. On ne peut que comprendre que cette fuite en avant monétaire se soit traduite par une inflation débordante des actifs de tous genre – actions, immobilier, marchés de l’art, produits de luxe. Les crypto-monnaies se sont incluses dans la vague dite de diversification.
La perte de crédibilité de long terme des monnaies (des grandes monnaies en particulier) a assez logiquement entraîné la recherche de protections qui puissent avoir de la liquidité, au moins de la liquidité affichée. Mais ce n’est pas le seul atout qui a joué. Les cryptos ne se sont pas présentées comme simplement des actifs, mais comme des monnaies. D’une façon plus que paradoxale – certains ont pu dire schizophrène – alors que leur gestion monétaire de fuite en avant se développait et s’accélérait, les banques centrales (et les administrations des Etats) ont opté pour un contrôle le plus absolu possible des transactions financières. Chacun peut se demander s’il est bien propriétaire de l’argent sur son compte en banque, tant les procédures pour en disposer s’y opposent. L’obligation de plus en plus forte de paiements électroniques contrôlés a conduit à un véritable flicage. La liberté de dépenser est de fait restreint autant que des administrations le peuvent et la suppression de la monnaie papier est un objectif qui n’est pas caché et même souvent annoncée. Cela constitue une rupture dans ce qu’on peut appeler le contrait d’une monnaie. La monnaie suppose la fiducie, c’est à dire la confiance, et la possibilité de se libérer d’un paiement (achat, remboursement…) sans contrainte, de façon sécurisée, qui puisse être anonyme. Les autorités bancaires, financières et monétaires veulent éradiquer la fiducie de la monnaie. Il n’est pas surprenant qu’avec la technologie, de nouvelles formes aient émergé pour établir un espace de liberté.
Liberté que de crimes, on commet en ton nom ! Le ministère de l’Economie et des Finances définit la chaine de blocs comme « une technologie de stockage et de transmission d’informations, prenant la forme d'une base de données ». Ses avantages sont le partage simultané sans organe central entre utilisateurs, la rapidité et la sécurité. Dans ses applications financières, c’est un espace de liberté et de sûreté. S’est ajoutée pour les crypto-monnaies et en premier lieu pour le Bitcoin, une assurance de rareté relative (contrairement aux dollars, aux yens ou aux euros émis sans limite) qui repose sur la confiance dans les logiciels émetteurs. Le Bitcoin a bénéficié et bénéficie encore de cette confiance. Mais la liberté des émetteurs, bridée par aucune règle financière a pu conduire à plus que des excès. On sait que quand on donne la liberté en matière de finance, le court terme, l’irresponsabilité et l’abus de confiance ne sont pas loin, De curieux systèmes de bonus qui s’apparentent plus au bonneteau qu’à autre chose peuvent être proposés sur certaines de ces « monnaies » pour récompenser des acheteurs, compenser des pertes, rémunérer des gains d’audience, et même simplement distribuer un billet de loterie.
Un summum a été mis en évidence la semaine dernière avec la chute du « stablecoin » TerraUSD qui se voulait assurer sa valeur en dollar. Ce jeton a été émis sans que l’émetteur ait la contrepartie en dollars. Un logiciel devrait garantir l’opération sans qu’on ne sache pas bien comment. On comprend qu’il ne s’agit que d’une cavalerie plutôt classique. : vente de dollars non détenus Il n’y a rien de nouveau, mais il y a eu des pigeons comme Stavisky avait su en trouver dans les années 1930 pour ses bons de Bayonne. La suite n’a pas été moins classique : le TerraUSD fait défaillance et a entraîné avec lui les émissions des sociétés sœurs ou reposant sur les mêmes types de logiciels. Le TerraUSD est désormais bien loin de la parité promise de 1 dollar (le record avait été de 0,98 $) et pouvait s’échanger mardi à 7 cents. Les « stable coins algorithmiques » qu’on peut donc aussi appeler jetons de cavalerie sont tous en déroute et n’ont eu de « stable » que leur nom. La correction a touché l’ensemble des cryptos. Début avril, la contrevaleur de la classe dépassait 2.130 milliards de dollars et en novembre plus de 2.900 milliards. On est aujourd’hui à 1.300 milliards. C’est un krach. Avec ce retour à la réalité ou ce début de retour à la réalité (on verra), le discours des investisseurs reconnus ou des responsables des autorités, sans avoir changé, a repris de la force. Warren Buffet a profité de l’Assemblée Générale de Berkshire Hathaway pour démolir le concept et assurer « qu’à 25 dollars il n’achèterait aucun Bitcoin (qui s’échange à 29.000 $) ». Il est vrai que sa stratégie est basée sur des principes et qu’il répète souvent, par exemple « n’investissez jamais dans une entreprise que vous ne pouvez pas comprendre ». Christine Lagarde, la présidente de la Banque Centrale Européenne a répété à la télévision néerlandaise qu’à ses yeux, « les cryptomonnaies sont des actifs hautement spéculatifs et très risqués. Ma très humble évaluation est que cela ne vaut rien. »
On ne citera pas toutes les positions qui vont dans le même sens et que l’auteur de ces lignes partage pour l’essentiel. Cependant, au moins pour le moment, les vedettes des cryptos, le Bitcoin et l’Ethereum, qui représentent respectivement 45% et 25 % de la valeur totale de ces « monnaies » se sont stabilisées et peuvent apparaitre comme des actifs crédibles. Pour prendre l’exemple du Bitcoin, la baisse est certes de près de 40 % depuis la fin du mois de mars, mais le « cours » de 39.000 dollars est encore celui de la fin 2020. Et, en 2020, il avait été multiplié par près de 5 fois. La vérité est que la chaine de blocs est dans notre quotidien et va s’y développer. Bien sûr, sa fiabilité, sa sécurité, sa rapidité, sa confidentialité trouvent des applications dans le domaine médical, celui de l’immobilier, de l’assurance et de beaucoup d’industries. En matière financière, elle peut porter le pire comme (un jour) le meilleur. Les crypto-monnaies ne sont d’ailleurs pas le pire qu’on ait pu voir. Les jetons (token) d’actifs virtuels allant jusqu’à de « œuvres d’art » sans matérialité ne relèvent pas d’un nouveau monde ou d’une nouvelle finance : si certaines crypto-monnaies répliquent des arnaques illustrées rue Quincampoix au début du XVIIIème siècle, avec certains tokens, on pense encore davantage à la fameuse spéculation des tulipes de 1634.
La fuite vers les crypto-monnaies s’explique finalement et la bulle a été créée par les banques centrales, autorisée et, parfois, soutenue par les Etats eux-mêmes. Une médiatisation plutôt irresponsable s’est développée avec la montée des « capitalisations », donnant la parole à leurs lots « d’analystes et de stratégistes. » Il est vrai qu’il y a des journaux qui font des pronostics sur des numéros du Loto ! Le laisser faire n’existe pas en matière financière et, au moment du début de normalisation monétaire américaine et la fin de l’agent gratuit, on commence à revenir sur terre. Cela posé, la démarche sous-jacente de l’achat défensif contre l’afflux de monnaie et, donc contre sa dépréciation, comme contre l’inflation non monétaire, n’est pas inédite. L’or « cette relique barbare » joue le rôle depuis un moment. Depuis 50 ans et la fin de l’étalon-or, la « relique barbare » a confirmé le statut de valeur de réserve qui est la sienne depuis 3.000 ans, pour les banques centrales qui détiennent 9 % du stock mondial, mais plus encore pour les particuliers qui possèdent le solde. Le stock d’or mondial de 180.000 tonnes pèse, pas loin de 9 fois la contrevaleur des 10.277 crypto-monnaies en circulation. C’est beaucoup et en même temps pas beaucoup en comparaison. Ce stock d’or est réellement limité et, à un terme plutôt très lointain, il ne pourra être renforcé que d’environ 50.000 tonnes. Il augmente actuellement de 2 % par an. C’est une assurance plus certaine que les engagements plutôt fumeux pris par les logiciels émetteurs de crypto-monnaies et qui seront évidemment un jour « craqués ». Il est vrai que, même si cela n’a pas été réalisé, certains espèrent toujours transformer le plomb en or... Mais, aujourd’hui, l’heure est à la réduction des bilans des banques centrales qui n’est pas favorable à ces actifs. Reste bien sûr des scénarios d’hyperinflation … Mais l’or aurait sans doute alors la prééminence.