Le rebond des marchés d’actions a été vif depuis la deuxième semaine de juin (5,6 % sur les plus bas pour le Dow Jones, 7,7 % pour l’Eurostoxx50). Même constat sur les taux (baisse jusqu’à 14 points de base du rendement du Bund allemand à 10 ans et jusqu’à 38 points de base pour le T-Bond américain de même échéance). Retour aussi sur le change avec un rebond de l’euro face au dollar qui est allé jusqu’à 3,6 %. Il n’est pas facile d’attribuer ce regain à la conjoncture géopolitique, aux statistiques et perspectives de croissance et d’inflation ou à des déclarations de la part des patrons des banques centrales. Pour le moment, aussi bien l’amplitude des mouvements que les volumes d’échanges concernés incitent à parler de « bear market rally », c’est à dire une phase de rebond à court terme dans un marché durablement baissier. Après les chutes depuis janvier, on attribue à de simples ajustements de portefeuille et à des rééquilibrages en vue de la fin de trimestre, l’impulsion qui s’est prolongée deux semaines. Evidemment, cette analyse peut être largement démentie par les évolutions à venir. On jugera dans un ou deux trimestres s’il s’agissait d’un changement de tendance (avec l’image d’avoir touché le fond de la piscine) ou bien de bear market rally. Sans évidemment se projeter sur la géopolitique, on comprend que les investisseurs estiment avoir pris en compte les révisions à la baisse de la croissance, donc des bénéfices à venir. Parmi les facteurs qui planent encore, le transfert de l’inflation de la production aux prix de vente et les tensions sur les liquidités.
La croissance mondiale s’est trouvée et se trouve toujours sous la pression de la guerre d’Ukraine, de l’inflation (qui avait déjà monté en amont), des confinements chinois qui sont en train d’être levés. La guerre a amplifié des évolutions qui étaient entamées, parmi lesquelles, déjà une hausse généralisée des matières premières et une dispersion des conjonctures macroéconomiques entre les différentes grandes zones, mais aussi dans les pays (par exemple en zone euro) et même suivant les secteurs d’activités. Les spécialistes d’Amundi Asset Management ont réduit leur estimation de croissance mondiale à 3,1 % cette année et à 3,3 % l’année prochaine. Ils tablent sur 2,6 % cette année et 1,8 % l’année prochaine pour les pays développés ; sur 3,5 % et 4,3 % pour les émergents. Le grand point d’interrogation est la Chine qui, à 3,5 % serait cette année loin de l’objectif du parti communiste de 5,5 %, mais l’approcherait en 2023. La dispersion du cycle ne va pas se réduire et, au-delà des politiques monétaires et budgétaires, va encore être entretenue par les contraintes d’offre (prix, volumes et tensions de distribution) ainsi que plus largement par la désorganisation des circuits de production.
Sur la simple base de la croissance attendue, les estimations de bénéfices des analystes financiers qui valorisent les actions américaines 16 fois et les européennes 12 fois, vont devoir être revues à la baisse. Ces ratios peuvent sembler raisonnables sur des séries historiques, surtout récentes, mais ne prennent pas complètement en compte la hausse des taux. D’ores et déjà, la prime de risque des compagnies américaines a perdu 3 % et se retrouve dans la zone moyenne depuis 2009 et le commencement de la fuite en avant monétaire, mais encore sensiblement au-dessus des scores de la première décennie du siècle. Le rendement des actions américaines est passé depuis janvier à 2 % de moins que celui de l’emprunt du trésor à 10 ans. Au-delà de l’effet même des volumes, les profits sont déjà pincés, même si les publications n’en ont peut-être pas pris complètement la mesure. On peut approcher cette pression sur les marges en comparant l’inflation des prix à la production et celle des biens de consommation. L’écart se réduit, mais les entreprises sont contraintes d’amortir le choc. En avril, les prix américains à la production ont progressé (rythme annuel) de 11,1 %, l’inflation à la consommation de 8,3%. En Europe la stabilité des prix à la production ces dernières semaines laisse une hausse de près de 30 % en un an pour 8,1 % pour les prix des biens. En Chine le rythme annuel des prix à la production marque une avance de 8,8 % en avril, pour un rythme de 2,1 % pour l’inflation. Les hausses de prix passent plutôt bien, mais elles sont insuffisantes pour maintenir les marges, avec, en sus, un effet déstockage à venir aux Etats-Unis. En perspective de ce fait, des bénéfices moins dynamiques et des poussées inflationnistes qui renforceront les actions restrictives des banques centrales … jouant finalement sur les ratios d’évaluation sur la croissance et sur la liquidité.
La liquidité va être le grand sujet des mois et trimestres à venir. Plus que la hausse des taux directeurs dont le scénario est arrêté pour la Fed américaine et, à un degré moindre pour la BCE, c’est la réduction des bilans, principalement à New York qui va jouer sur la finance. Ramener simplement le bilan de la Réserve Fédérale à son niveau de 2019 impliquerait de le diviser par deux. Les programmes mis en avant par son président Jerome Powell ne vont pas jusque-là et, au contraire, les plans de rachats qui ont été annoncés restent dans des proportions limitées. Quand on part de 9.000 milliards de dollars, un rythme d’achats d’un peu moins de 100 milliards par mois montre que le grand argentier prend son temps. Cependant, dans la lutte contre l’inflation quelles qu’en soient les conséquences, la Fed devra accélérer : la hausse des taux directeurs ne freinera la dérive monétaire qu’au prix de rappel de liquidités effaçant au moins l’afflux des deux dernières années. La liquidité joue évidement sur les économies et la banque centrale américaine peut aujourd’hui s’appuyer sur une économie de fait en surchauffe contrairement à ce qui est le cas en Europe. Mais elle a aussi dans ses missions l’emploi ce qui explique sa prudence en année électorale. Cependant, sans cette forte réduction du bilan et même simplement du fait d’un retard à la mettre en place, l’inflation pourrait faire des dégâts. La contrainte de cet aspect du resserrement monétaire constatée, ce sont des tensions sur la liquidité des actifs qui se profilent. Vincent Mortier, le directeur des gestions d’Amundi relevait cette semaine l’absence actuelle de liquidité réelle sur les actifs spéculatifs non cotés ou de diversification bien sûr, mais aussi sur des obligations privées américaines ou européennes à la signature jugée de bonne qualité (Investment grade) comme celles, plus risquées, à haut rendement (high yield). Si on pousse le trait, des valorisations affichées ne permettraient pas forcément de trouver des contreparties au prix. Cette situation alors que la Réserve Fédérale n’a pas commencé sa reprise de liquidités laisse entrevoir des à-coups violents sur l’ensemble des actifs. Sur les actions, une liquidité trouvée avec des baisses de cours de 5 ou 10 % est acceptée ; il ne peut en être de même sur les obligations.
Les fondamentaux du bear market sont plutôt bien ciblés. Le tournant conjoncturel du cycle, les effets très différents de l’inflation interne (comme aux Etats-Unis) et de l’inflation importée (comme en Europe), les hausses de taux courts ou les blocages monétaires ont commencé à être pris en compte et se retrouvent pour une part dans les cours. Mais le pincement des marges et la forte volatilité qui pourrait naître de l’évolution de la liquidité vont s’ajouter à la révision des multiples d’évaluation. Au total, les actions sont plutôt surachetées aujourd’hui et une baisse de 10 à 20 % suivant les visions ne relève pas de scénarios catastrophe.