Les lendemains de chocs électoraux entraînent de fortes variations sur les marchés financiers. Sans remonter à la secousse du 11 mai 1981 et de la cote parisienne pratiquement incotable après l’élection de M. Mitterrand, plus près de nous le Brexit, les scrutins à surprises italiens, la défaite du gouvernement de Jacques Chirac en 1997 ou les résultats si tardifs et si serrés des présidentielles américaines sont dans les esprits. La tendance des premières séances de la semaine sur les actions et les obligations françaises va dans un autre sens. Elle est la marque de l’évolution de la finance et même de l’économie. Sans doute, le flou politique qui s’installe en est une explication, mais pas seulement. Car sans doute aussi, c’est le signe que le pouvoir a bien changé. C’est peut-être enfin la prééminence dans l’esprit des investisseurs des fondamentaux sur des aléas électoraux.
Les élections de dimanche ont mis en place une Assemblée Nationale sans majorité, ni pour le parti présidentiel, ni pour un parti qui se serait qualifié d’opposition à M. Macron. On ne peut même pas dire qu’il ressorte quatre blocs tant les partis composant la Nouvelle union populaire, écologique et sociale sont disparates alors que la coalition majoritaire se répartit entre un groupe de gauche-centre gauche, un centriste et un de droite-centre droit. Les ingrédients d’une action législative bridée sont là. Le choix d’un gouvernement macroniste cherchant des majorités au gré des textes et des calculs politiciens ou d’un gouvernement technique à l’italienne n’est pas fait. Il sera sans doute appelé à évoluer. Mais l’exécutif qui va devoir se recentrer sur ses missions de gouvernement va en tout cas renoncer à celle de législateur sans vraie limite. Il devra sans doute aussi renoncer à certaines réformes de rupture qu’il avait projeté. Et même peut-être à celles qu’un consensus de bonne foi jugerait nécessaire. Moins de réformes structurelles, cela pourrait être une bonne chose. Cela pourrait en effet brider la tendance à la nationalisation des organismes de répartition comme cela a été fait pour le chômage. Cet étatisme est dangereux à terme et si la nouvelle donne parlementaire assure par exemple la gestion sous régime d’assurance pour la santé ou la retraite, ne laissant qu’un complément à la solidarité, ce serait a priori plus rassurant sur la gestion. Cela dit, une Assemblée Nationale au profil de proportionnelle va immanquablement entraîner deux choses : une panne de réformes ambitieuses et un appel encore plus fort au budget de l’État. Le projet de loi « pouvoir d’achat » discuté en juillet portera la marque de cette fuite en avant d’un nouveau genre. Le flou institutionnel est par nature bloquant et démagogue.
Que dire des marchés financiers au lendemain du scrutin ? S’ils n’ont pas totalement ignoré la situation politique inédite depuis plus de 60 ans, leurs réactions ont été plutôt modérées. Lundi, l’indice CAC 40 a gagné 0,64 %. Ce n’est pas la sanction d’un choc électoral pourtant bien réel. Le rendement de l’OAT 10 ans est passé de 2,20 % à 2,32 : ce n’est pas un krach. Certes, le même jour le DAX 30 a gagné 1,06% mais le rendement du Bund 10 ans est passé de 1,64 % à 1,74 %. Les actifs français sous la pression politique n’ont pas vraiment décalé par rapport à leurs équivalents allemands. Wall Street était fermé lundi, mais le constat est le même après deux séances et demi : les rendements des emprunts d’État ont progressé d’un modeste point de base des deux côtés du Rhin ; le Cac 40 et le Dax 30 ont perdu respectivement 0,6 % et 0,15 %. Aucun choc, simplement les écarts dus aux compostions d’indices. Le constat est contre-intuitif et les radios ou télévisions l’ont même souvent nié lundi affirmant que les investisseurs sanctionnaient le résultat des urnes. Il faut le constater : si en 1966, le général De Gaulle avait lancé « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », aujourd’hui la corbeille (lire les salles de marché) ignore la politique de la France. Pour ce qui concerne précisément l’indice CAC 40, il y a un début d’explication technique : les groupes qui le composent sont largement internationaux et sont en grande partie extrait de la conjoncture française stricto sensu. Pour autant, la France pèse lourd (entre 20% et 25 % des chiffres d’affaires en moyenne) et, en tout cas, les marchés obligataires échappent au sujet alors qu’avec une monnaie commune, on n’aurait pas été surpris d’une décorrélation avec l’Allemagne. Aux yeux des investisseurs, le pouvoir n’est plus au gouvernement ou au parlement. En premier lieu, bien sûr, les organismes européens supra nationaux, les traités et les structures judiciaires ont déplacé pas mal de décisions. Le pouvoir a bien changé et les transferts sont réels. Un clin d’œil de Jerome Powell le patron de la Réserve Fédérale américaine ou de la patronne de la Banque Centrale Européenne Christine Lagarde pèsent plus qu’un changement de ministre, même de Premier ministre. Et dans le cadre strictement européen, la Commission de Bruxelles semble dépasser en compétences les gouvernements alors qu’elle n’est pas élue et que son principal contrôle dépend d’une Cour allemande.
Au-delà même des transferts formels, les fondamentaux des économies qui sont très interconnectés font plus que cadrer l’action publique devenue « supra publique ». Cette semaine, l’événement n’est pas venu des urnes. C’est le gouverneur de la Banque de France qui a donné le ton. Certes les constats de M. Villeroy de Galhau apparaissent un peu en retard comme le sont ceux de ses homologues mondiaux. Mais évidemment il a une voix qui porte. Si son « scénario central » est que la France échappera cette année à la récession, le grand argentier a donné des perspectives plutôt médiocres : 2,3 % de croissance cette année, 1,2 % l’année prochaine 1,7 % en 2017. On comprend que l’acquis de croissance 2021 et au début de cette année assure le pronostic 2022 et qu’à l’inverse, la protection 2023 est volontariste. Le même optimiste sur le long terme pour dépasser la réalité d’aujourd’hui est affiché en matière d’inflation : les 5,3 % de l’exercice en cours baisseraient à 3,4 % l’année prochaine et retrouveraient en 2024 la zone de 2 %. Cet optimisme (relatif) repose sur la confiance dans la politique monétaire mondiale – en tout cas américaine et européenne. Cela valide pas mal la réaction des marchés cette semaine « les affaires aux règles inchangées » (business as usual). Attention toutefois à un retour de la politique. Les français (ceux qui ont voté) ont voulu pour une part dénoncer ces transferts de pouvoir. A la stratégie des banques centrales ou aux diktats bruxellois vont s’opposer des demandes qui ne seront pas totalement ignorées. Avec des conséquences en particulier sur les budgets publics et leurs déficits qui vont aller en sens inverse de la stratégie de taux directeurs de la gestion monétaire, entretenant de l’inflation. Les armes doivent céder à la toge, suivant la formule de Cicéron affirmant la prééminence du pouvoir civil sur le militaire. La technocratie et la finance devront faire avec les gouvernements – pas seulement français - sinon leur céder. Et les investisseurs en prendront alors acte.