Les réunions de l’OTAN suivent celles du G7 sans qu’on sache bien quelles peuvent être les différences entre sein de la gouvernance économique américaine et l’alliance miliaire … américaine. Au même moment, et on a du mal à diagnostiquer une coïncidence, les BRICS ont tenu leur sommet. Le groupe rassemble seulement 5 pays – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud- et se présente un peu comme la réunion des grands pays qui ne sont pas membres du G7. Ce G7 ne regroupe plus les pays les plus riches du monde puisque la Chine en est exclue. Ce que marque cette coïncidence – il n’y a pas pour le moment de raisons de parler d’opposition – c’est le bouleversement de la donne géopolitique mondiale et, en conséquence une conjoncture économique durablement de plus en plus fragmentée.
La fragmentation la plus directe et celle qui touche de plein fouet les marchés de l’argent, des changes et des actifs concerne les Etats-Unis et l’Europe. Les deux poids lourds (en incluant l’ensemble des pays européens au-delà de l’UE) contribuent à hauteur de 47% au produit intérieur brut mondial produits par un peu plus de 10 % de la population. La guerre d’Ukraine a fait exploser les anticipations de convergence des cycles qui étaient encore au centre des scénarios il y a six mois. Les fondamentaux sont assez clairs : d’un côté les Etats-Unis, gagnants économiques du conflit. C’est évidemment avant tout la conjoncture pétrolière et gazière, très largement orchestrée par les fameuses « sanctions » prises à l’égard de la Russie qui dopent les profits du secteur américain, pour les hydrocarbures classiques mais aussi non conventionnels, et apportent des capitaux à l’ensemble de l’économie Exportateurs nets, les Etats-Unis le sont plus encore avec la hausse des cours. Dans le même temps, la démondialisation partielle profite au pays qui a les plus fortes capacités internes de se redéployer sur ses propres forces. Enfin, la dynamique de l’économie a été entretenue par des dépenses budgétaires et monétaires sans doute excessives face au Covid venant après des années de soutien à l’économie. Au global, l’économie américaine accroît encore son potentiel, mais, justement les conséquences de la surchauffe et du laxisme monétaire se retrouvent dans une inflation non maîtrisée. Ce qui annonce une politique monétaire très volontariste, au risque de provoquer un ralentissement pouvant tourner à la récession au début de l’année prochaine l’année prochaine
L’Europe est la perdante économique de la guerre. La facture énergétique est pour elle un vrai choc qui frappe des pays qui consolidaient le rebond post-covid. Les économies ne sont pas mieux placées que celles d’Amérique du Nord (et même moins bien) pour régler les tensions sur les chaînes d’approvisionnement et de production. En revanche, elles subissent une inflation presque aussi forte et la Banque Centrale Européenne devra suivre – en faisant sans doute tout pour l’atténuer – le tournant de la hausse des taux de la Fed. Des deux côtés de l’Atlantique en revanche, les budgets vont continuer à alléger certains des effets de la gestion monétaire, avec cependant des risques pour l’inflation, Au final, avec un écart de taux directeurs attendu à plus de 3 % au premier trimestre 2023 (au profit du dollar), les deux économies présenteront l’année prochaine un score faussement similaire. Les 1,3 % environ de la croissance de l’une et l’autre en 2023 s’appliqueront à une économie américaine largement assainie en termes d’inflation et pouvant profiter d’une vraie relance monétaire alors que les marges ne seront pas là en Europe qui, de plus, est pénalisée et non favorisée par la démondialisation du fait de la pression sur ses exportations vers la Chine.
Il y a nettement plus important que cette fragmentation entre les grandes zones du G7 et de l’OTAN (le Japon en est la troisième). C’est l’opposition qui n’est pas que géopolitique entre l’Amérique et ses alliés d’une part, et les fameux BRICS de l’autre. Les BRICS au sens strict regroupent 42 % de la population mondiale et pèsent 23 % du PIB de la planète. En raison du poids de la Chine, ils ont fourni pratiquement la moitié de la croissance mondiale 2005-2020. Comme l’Union Européenne, ils peuvent fédérer des candidats. Au sommet convoqué par Pékin la semaine dernière, l’Algérie, l’Argentine, l’Indonésie, l’Iran, le Kazakhstan, Ouzbékistan, l’Egypte, et Sénégal se présentaient plus ou moins comme tels. La réunion des puissances que l’on qualifiait d’émergentes trouve une illustration au travers de la guerre d’Ukraine, avec un soutien à la Russie ou une opposition aux « sanctions » qui lui sont infligées. La donne géopolitique implique une remise en cause de la donne économique. Les scénarios raisonnés ne peuvent prendre en compte une extension dramatique et même mondiale du conflit. Mais la paix relative des armes ne cachera pas une guerre économique, même si ce devait être une guerre froide. La Chine qui, de fait, mène cette construction d’un multilatéralisme d’un genre nouveau n’est pas la même que celle qui a construit 20 ans de croissance mondiale à partir de l’accord pris en 2000 avec les Etats-Unis de Bill Clinton pour son entrée dans l’Organisation Mondiale du Commerce. Le modèle chinois a évolué du statut d’équipementier des grandes compagnies de l’OCDE – et surtout américaines – se fournissant dans le monde à celui de producteur de produits finis. La mutation vers une économie où l’interne prend le relais de l’export était une demande internationale face aux excédents. La Chine l’a menée à bien : les analystes de CPR AM estiment que les exports comportant des produits importés sont passés de 40 % du total exporté en 2012 à 30 % en 2017 et à peine plus de 20 % l’année dernière. La nature des flux commerciaux s’est profondément modifiée, au-delà de la tendance de démondialisation. Dans le même temps, la dépendance des économies développées à des produits d’approvisionnement de base industriels comme matières premières et agricoles s’est accrue. La géopolitique est venue accroître la puissance chinoise puisque ses industries (et celles de l’Inde par exemple) bénéficient des reports d’exportations russes d’hydrocarbures, facturées de plus avec des rabais par rapport aux prix internationaux acquittés auprès d’autres fournisseurs et, parmi eux, les Etats-Unis, par les européens ou les japonais. La gestion sanitaire du zéro Covid dynamique a en sens inverse pesée très lourd cette année avec des blocages massifs de mégalopoles et même de provinces. Après ces blocages, les réouvertures enregistrent des rebonds qui ne surprennent pas, mais les estimations de la croissance pour cette année sont très disparates, allant des 3,3 % de S&P à plus de 5 % pour bon nombre de cabinets d’analyse. En revanche, l’ensemble des émergents hors Chine est attendu entre 3 % et 4 %. On est toutefois dans le conjoncturel sinon l’anecdotique. Le score 2022 dépendra de la vigueur des mesures de soutien qui seront prises pour qu’il se rapproche de l’objectif de 5,5 % au moment du XXème Congrès du parti communiste : près de 6.000 milliards de renminbi (pas loin de 8 % du PIB) seraient mobilisables. On ne doit pas comparer avec les soutiens américains, japonais ou européens. Les dispositifs et investissements en infrastructures, dans les énergies, pour la consommation et pour réduire les écarts de revenus visent au-delà de l’exercice. Il s’agit de remettre le pays sur sa trajectoire de croissance long terme autour de 5 %. Ce niveau sera sans doute nettement dépassé en 202, accrochant les BRICS dans les 4,5 %.
Les divergences macroéconomiques sous influence géopolitique dessinent des tendances de moyen terme de croissance Chinoise et émergente dès 2023, des moyens de rebondir aux Etats-Unis un an après et une lente remontée du potentiel en Europe. Le grand aléa est l’inflation ; les mesures énergiques sur les taux, la politique un peu moins stricte sur les bilans des banques centrales vont au total la réduire malgré des déficits budgétaires maintenus (économies de guerre). Sa stabilisation au plan mondial au tournant 2023-2024 devra en tout état de cause s’opérer à un niveau bien supérieur aux moyennes des années 2000 à 2020. Les taux d’intérêt devront s’adapter et se stabiliser aussi dans des zones inconnues ces dernières années. Les ratios boursiers d’évaluation européens ou américains ont déjà répercuté la tendance 2023 sur les taux d’intérêt. Pour l’évolution à venir, la volatilité des cours va provenir de l’inflation et de sa durée, de l’ampleur du ralentissement américain et du calendrier de son rebond. En sens inverse, la Chine et ses BRICS se trouvent placés sur une trajectoire de croissance et de visibilité qui leur permettrait de faire avec une inflation qui serait durablement élevée. Sur ces bases, la diversification de portefeuilles vers l’Asie est tentante. Reste la géopolitique qui, on le voit, peut aller jusqu’au conflit armé et ne peut épargner aucune grande zone. Elle touche l’Europe et, on le sait l’extrême Orient n’est pas à l’abri de ce qui peut se transformer en croisade américaine pour la prééminence de sa puissance.