Les investisseurs savent qu’il y a des indicateurs qui sortent des fondamentaux qu’on ne peut pas ignorer. Ainsi, l’analyse technique n’est pas une adaptation de l’astrologie aux marchés financiers. C’est avant tout une modélisation d’un facteur très important d’évolution des cours des actifs : la psychologie des intervenants. Les flambeurs des casinos le savent : la roulette n’a pas de mémoire. Une façon de dire que, même si le rouge est sorti dix fois de suite, le tirage suivant a la même probabilité (48,6%) de répéter la couleur. Les marchés financiers ne sont pas des casinos et, précisément, ils ont une mémoire. C’est sur cette mémoire que l’analyse technique base ses prévisions. Depuis 13 mois, l’indice Dow Jones ou le CAC 40 ont par exemple inscrit un mouvement de retournement de tendance haussière dit de « tête-épaules ». On est revenu aujourd’hui dans la « zone de cou » c’est à dire au départ de l’accélération aujourd’hui effacée depuis « la tête » atteinte début janvier. C’est une phase d’incertitude dans cette formation. Après un premier semestre très difficile et ayant inscrit des records historiques de baisse sur les grandes Bourses, au-delà de l’analyse des graphiques, des seuils symboliques sont testés. Des grands indicateurs comme le dollar, le pétrole, les indices Dow Jones et CAC 40 et, nouveauté, le bitcoin s’imposent. Les symboles – des chiffres ronds - ont finalement tenu dans la chute. Ils pourront être des indicateurs pour le second semestre.
Le pétrole et le dollar ont une corrélation historique négative : quand l’un monte, l’autre baisse. Cela a été longtemps une manière de gommer la pénalisation d’une partie de l’évolution du baril pour la première économie du monde. Deux facteurs expliquent le changement : le poids d’un autre géant économique qu’est la Chine et la hausse de la production américaine d’hydrocarbures. Les Etats-Unis sont désormais exportateurs net. Le dollar a pu monter avec le pétrole. La guerre d’Ukraine a provoqué une flambée des cours pour les pays de la coalition américaine pratiquent des « sanctions ». Mais la vigueur de l’économie américaine et les ruptures d’approvisionnement post-covid imposaient déjà une conjoncture de hausse des matières premières. Dans le cas des hydrocarbures, un déficit d’investissements en capacité pour des questions dites climatiques. Le déséquilibre est durablement installé. Le pétrole cher est devenu un facteur de soutien du dollar. On note cependant au tournant de l’année la stabilisation du baril pas loin des 100 dollars. Aller durablement beaucoup plus haut serait très pénalisant pour l’Europe et le Japon. C’est le point de surveillance. Aller plus bas ne serait pas que négatif pour l’économie américaine. L’euro-dollar se rapproche de la parité qu’il avait atteinte dans les premiers mois de la monnaie unique. De l’été 1999 à l’été 2002, la parité avait navigué avec un dollar valant plus d’un euro. On s’en rapproche aujourd’hui. Le seuil est surveillé : il signifierait que la politique monétaire américaine de lutte contre l’inflation est jugée plus crédible que celle de la Banque Centrale Européenne. Les taux d’intérêt sont évidemment déterminants, mais il n’y a pas forcément de seuil à surveiller, c’est surtout l’inversion de la hiérarchie (rendement du long terme inférieur à celui du cours terme) qui sera surveillé comme indice d’une anticipation de récession, responsable du nouveau plongeon du mardi noir de cette semaine.
Les chiffres ronds des indices sont dans l’esprit des investisseurs même si, comme dans le cas du Dow Jones à qui est préféré le S&P comme référence, ils n’entrent pas toujours dans les bases de référence pour les gestions. Les indices qui sont calculés « bruts », c’est à dire sans prendre en compte le réinvestissement des dividendes à leur date de versement, sont ces références qui durent avec le temps. Créé à la fin du XIXème siècle, l’indice Dow Jones a débuté sa carrière à un peu plus de 40 en 1896 et, après un plus haut de 381 points en 1929 avait retrouvé les 40 en 1932. Sans remonter aussi loin l’indice donne la mesure de la croissance américaine et de l’accélération de la financiarisation de l’économie des dernières années. Le Dow avait passé les 10.000 points au printemps 1999, les 15.000 ont été atteints en 2013, les 20.000 en 2017, les 25.000 en 2018, les 30.000 l’année dernière. Il a établi un record en janvier à près de 37.000. Les pertes depuis sont sévères (16%), mais les 30.000 sont le seuil qui est surveillé et il a tenu. La confirmation d’une Bourse durablement baissière à Wall Street (bear market) serait techniquement enregistrée un peu plus bas, mais ce sont bien les 30.000 qui entretiendraient la conjoncture négative s’ils étaient cassés. L’historique du Nasdaq (composite) est plus spectaculaire. Une certaine résistance actuelle largement au-dessus de 10.000 fait apparaître des pertes stabilisées à 30 % depuis le record de novembre dernier. Un record de 16.200 points qui donne le vertige si on le compare avec 2.300 il y a seulement 10 ans, 5.000 début 2017 et 6.800 début 2020. Le Nasdaq est revenu aujourd’hui à son niveau de l’été 2020 (un peu plus de 11.000). Les 10.000 qui sont préservés vont être l’indicateur de la consolidation après le krach. Sa rupture qui pourrait faire entrer l’ensemble des projets technologies dans des ratios d’évaluation et de risque remettant en cause les montages à effets de leviers très généreux qui ont assuré la spéculation financière et – en partie seulement sans doute – l’innovation. L’indice CAC 40 a un historique encore bien différent, à la mesure de l’économie et de la finance européenne et française. De base 1.000 fin 1987, il a approché ou dépassé trois fois 7.000 : en septembre 2000 (une multiplication par 7 en 13 ans portée par la bulle des TMT), juillet 2007 et janvier de cette année. Les deux premières fois il avait buté sur les 7.000 et avait ensuite plongé à 2.600 points. Une nouvelle fois cette année, les 7.000 n’ont pas tenu. Ce sont les 6.000 – disons les 5.800 - qui sanctionneraient le cas échéant le changement de logique boursière en Europe. On notera que, depuis décembre 1987, les cours des actions françaises ont été multipliées par un peu moins de 6 fois quand les américaines font près de 16 fois.
Le dernier des chiffres symboliques pour déterminer la tendance est un nouvel invité. Il s’agit du bitcoin, le premier des crypto-actifs. Il représente 42 % de la contre-valeur des crypto « monnaies » et son second, l’Ethereum 15 %. La classe d’actifs -il faut les qualifier ainsi – a perdu au total 70 % depuis les records de novembre dernier. Il reste toutefois une contrevaleur – le terme d’encours serait excessif – de 908 milliards de dollars dont 385 milliards pour le bitcoin. On est bien face à un krach et non une correction. Le bitcoin affichait 67.000 dollars le 8 novembre, 50.000 au lendemain de Noël, encore 45.000 fin mars. Du 11 mai au 11 juin il s’est stabilisé à 30.000 et, depuis près d’un mois, il tente de sauver les 19.000-20.000 et y arrive. Un écroulement de 70 % en 8 mois, de 60 % en six mois, de 56 % en trois mois, de 34 % en un mois est changement de monde. Mais les performances de long terme restent impressionnantes. Les 20.000 dollars d’aujourd’hui sont une multiplication par 16 d’une référence début 2017, une performance de 45 % par rapport au record de la fin 2017, et de 80 % depuis 2 ans. Le bitcoin est une création artificielle, basée sur la seule rareté pour peu que le logiciel de création soit fiable sur le long terme. On a pu comparer ce montage à a stratégie de De Beers pour le placement diamant : rareté avec peu de nouvelles pierres, gestion par une pseudo-Bourse affichant des contre-valeurs, confidentialité. Car c’est bien la confidentialité qui peut nourrir des économies parallèles qui est le deuxième pilier du bitcoin. La blockchain garantit les transferts et – pour le moment – cette confidentialité. La sauce qui a si bien pris doit enfin tout à la création de monnaie par les grandes banques centrales. D’une part cela a financé des spéculations – même irraisonnées – avec de l’argent gratuit. De l’autre, les monnaies d’État comme le dollar ou l’euro ont perdu de leur crédibilité avec cette inflation monétaire débridée. Tout cela posé, les contrevaleurs du bitcoin sont assez similaires à ceux des actions les plus spéculatives, avec des coefficients multiplicateurs à la hausse comme à la baisse. Le fameux ETF ARKK Innovation investit sur les sociétés « d’innovation de rupture » dans les domaines des technologies ADN et de la révolution du génome, dans l’automation et le stockage d’énergie, dans l’intelligence artificielle et l’internet de nouvelle génération, et dans les Fintech. Les produits et services doivent avoir l’ambition « de potentiellement changer la façon dont le monde fonctionne ». C’est un peu un thermomètre pour l’ensemble de la tech américaine, géré sans souci de la rentabilité des sociétés cibles. Le concept des technos d’innovation « disruptive » a bénéficié autant que le bitcoin de la fuite en avant monétaire. Autant, mais pas plus et les performances ne sont pas si différentes : multiplication par 3,7 de janvier 2020 à janvier 2021, retour au niveau initial aujourd’hui, en affichant une chute de 70 % sur un an et de 66 % par rapport à novembre. Le bitcoin est peut-être condamné à long terme, mais, pour le moment, il est un instrument financier qui mesure l’appétit pour la haute spéculation Le seuil de 20.000$ (et un petit peu moins) est important, puisque l’analyse technique fixe les résistances à 14.000, puis 10.000, puis 6.500 dollars.
Ces seuils symboliques vont marquer l’été financier qui s’annonce plutôt tendu, même si l’inflation a sans doute dépassé son pic aux Etats-Unis et peut le trouver à l’automne en Europe. Les ruptures de tendances que leurs passages mettraient en évidence, renforceraient encore la volatilité. On n’en est pas encore là, en tout cas pas pour toutes.