L’actualité politique française de ce milieu de juillet est le retour du pouvoir vers l’Assemblée Nationale. Les premières semaines de cette législature marquées par une composition de la chambre basse répliquant une sorte de proportionnelle et, en tout cas sans majorité donnant les pleins pouvoirs à un seul homme, vont chercher un nouveau mode de fonctionnement. Le choix entre un contrat de coalition à l’allemande – avec les dégâts considérables qu’il peut entraîner comme le choix du gaz russe de préférence à l’énergie nucléaire, - et celui d’un gouvernement minoritaire trouvant des majorités un peu au cas par cas comme en Italie ou aux Etats-Unis dans bien des périodes, n’est sans doute pas définitif. Cependant, les premiers textes législatifs se construisent avec une recherche de consensus assurant leur adoption. Les premières lois examinées par les parlementaires ressortent de domaines dans lesquels le pouvoir absolu a été particulièrement manifesté dans les cinq dernières années. Il s’agit des règlementations et contraintes dites sanitaires face à l’épidémie de la Covid-19, et de la régulation étatique des évolutions de pouvoir d’achat. La façon prioritaire et ciblée d’aborder cette dernière question peut sembler un peu décalée. Aujourd’hui, les marchés de l’emploi sont solides et, évidemment, le pouvoir d’achat n’a pas de meilleur soutien. Statistique après statistique, ce sont plutôt les goulets d’étranglement de la production et des forces de travail qui apparaissent.
Les conjoncturistes attendaient des statistiques américaines de juin la constatation du ralentissement conjoncturel sur le marché de l’emploi. Les révisions à la baisse de la croissance et, singulièrement à la fin du 1er semestre, mettent en évidence une économie qui ralentit. Le consensus des directeurs financiers américains pour les 12 mois à venir a ramené à 1,7 % l’anticipation de l’expansion et les économistes de BNP Paribas relèvent qu’un sur cinq de ces responsables attend désormais une contraction de l’économie dans ces 12 mois. Le cycle américain présente désormais un profil bien différent de celui qui était le sien en début d’année. On est seulement dans une phase de ralentissement de la croissance, mais pas de récession. Le marché de l’emploi au tournant du semestre est loin de traduire la donne macroéconomique révisée à la baisse. Ce qui devait ressortir des données fondamentales ? Une réduction de 25 % à 33 % des créations de postes par rapport à mai. La publication du 8 juillet a dévoilé 374.000 nouveaux emplois non agricoles en juin, en ralentissement modéré par rapport aux 390.000 de mai. Tous les secteurs, à l’exception du gouvernement fédéral ont créé des emplois. Le chômage s’établit à 3,6 % de la population active, pratiquement son niveau d’avant l’épidémie de 3,5 %, qui était le record depuis le début des années 1970 Malgré une augmentation des inscriptions au chômage, le « taux de chômage étendu » qui exclut les personnes peu connectées au marché du travail a établi un plus bas historique de 6,7 %. La dynamique en place depuis le début 2021 n’est pas entamée et les tensions qui sont la conséquence de sa puissance persistent dans bien des secteurs. Fin mai, 11 millions d’offres d’emploi non satisfaites étaient répertoriées. Là encore c’est un record historique : pratiquement 6,5 % de la population active des Etats-Unis.
Le cas américain est évidement le plus important, mais il est loin d’être isolé. En Europe aussi, le marché de l’emploi se situe dans des niveaux records. 6,6 % de la population active dans la zone euro, c’est un plus bas du chômage depuis le début de l’étude Eurostat en 1998. De façon plus large, dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne au-delà de la seule zone euro, le taux de 6,1 % est aussi un record. Les scores du Royaume Uni (3,8 % au plus bas depuis 50 ans) et les 2 % de la Suisse confirment la tendance sur le Vieux Continent. Le cas atypique du Japon du plein emploi pratiquement permanent ne surprend pas dans une telle conjoncture. Les variations sont aux décimales. Les 2,6 % affichés ne sont que la poursuite des fondamentaux de l’Archipel, mais la surchauffe est aussi présente : pour 100 demandes d’emplois, on dénombre 124 offres. Le cas chinois est évidement différent de celui des pays de l’OCDE. En premier lieu, une fois encore en raison de la fiabilité en question des statistiques officielles. En second lieu en raison des conséquences des blocages de la politique « zéro Covid dynamique » qui ont porté et portent encore une sérieux coup à la croissance. L’objectif de 5,5 % affiché par le parti communiste pour cette année va être compliqué à assurer malgré un dispositif plutôt puissant de mesures de soutien. L’emploi s’est en tout cas détérioré. Il y a un an, le ratio de 5 % de la population active au chômage avait été retrouvé après la première vague de l’épidémie ; on se situe aujourd’hui au-dessus de 6 %.
Le résumé de cette situation de l’emploi dans les grandes économies se retrouve dans la consommation des ménages. Elle tient et même davantage aux Etats-Unis comme en Europe et, d’une façon générale dans l’OCDE. Sa croissance s’est réduite en Chine, mais elle reste comprise entre 5 % et 7 %. Les pressions de l’inflation sur les pouvoirs d’achat sont largement surmontées par la surchauffe de l’emploi : les variations de la consommation non contrainte sont davantage fonction (inverse) du chômage que du revenu disponible. On peut ajouter que les anticipations d’inflation sont plutôt favorables aux dépenses. Enfin, l’excès d’épargne accumulée pendant les blocages « sanitaires » est loin d’avoir été dépensé, en tout cas en Europe et aux Etats-Unis.
A ce stade, on devrait attendre des politiques monétaires et budgétaires qu’elles favorisent l’assainissement de l’économie en profitant de cette santé du marché de l’emploi et – donc- de la dynamique de consommation. Leur rôle n’est pas de gommer les effets négatifs de cet assainissement nécessaire, mais de l’accompagner et, en tout état de cause, de ne pas soutenir ce qui n’est pas viable. Après des « entreprises zombies » qui restent en activité à coup des subventions publiques « quoi qu’il en coûte », il ne faut pas que se créé un tissu de « ménages zombies ». Sans ignorer les nécessités de solidarité, la nécessité d’aujourd’hui est de profiter de la solidité de la conjoncture pour baisser les taxes et impôts et (surtout) pas de mettre en place de nouveaux transferts en majorant les prélèvements obligatoires : les Etats et les banques centrales doivent laisser faire l’économie. Les crises sont créées par des excès et elles ont leur utilité : assainir l’économie, la débarrasser des poids morts comme les gelées d’hiver assainissent la terre. Si on refuse de le comprendre, si, sous divers prétextes, on invente de nouvelles fiscalité – le discours du moment en France est de taxer des « super profits indus » mais les ménages qui paient l’impôt vont encore être ponctionnés aussi - pour financer tel ou tel secteur ou telle ou telle fraction de la population, on ne construirait pas, Au mieux on pose le cautère sur la jambe de bois.
Le débat français d’aujourd’hui est ainsi à la fois caricatural et inquiétant. Caricatural d’une politique d’annonces à visées démagogiques que la proportionnelle d’aujourd’hui facilite mais qui ne rompt pas avec la pratique des dernières années. Inquiétant parce que des « aides ciblées » financées par l’impôt ne préparent pas l’avenir. Aux Etats-Unis, la gestion plus orthodoxe de la Réserve Fédérale est en retard sur le cycle et, en particulier, sur celui de l’inflation. Cependant, la santé de l’emploi renforce les marges de manœuvre de la Fed pour lutter contre une inflation bien installée et, finalement engager le nécessaire assainissement de l’économie. Du côté du budget public, les excès de soutien par les déficits sont bien compris au sein des deux grands partis et les échancres des élections du mid-term ne jouent pas vraiment, tant leur résultat est accepté par les uns et les autres. En Europe en revanche, malgré le marché de l’emploi si solide, la BCE n’aura sans doute pas les mêmes possibilités. Les budgets non plus : aujourd’hui, on ne parle pas d’assainissement, mais de compensations pour le retarder sinon l’éditer. On peut espérer le retour d’un peu de cohérence et de courage au sein des grands pays européens et des instances supranationales. Cependant, les débats si décalés d’aujourd’hui ne font que préparer un déséquilibre des fondamentaux entre l’Europe et les Etats-Unis au bénéfice de ces derniers. L’événement sur les marchés financiers est le retour de la parité un dollar = un euro. On le pressentait mais il ne marque pas seulement la possibilité de taux directeurs en dollars - très -supérieurs à ceux en euro. Il reflète aussi l’écart du potentiel de croissance pour les années 2024 et suivantes. L’inflation n’est pas vraiment en tête dans le viseur de ce côté de l’Atlantique. Le risque, c’est cette stagflation que l’irresponsabilité politique pourrait nous préparer.