Les marchés financiers sont un peu des habitués des annonces du 15 août. Ce n’est pas la marque des fêtes mariales, fériées en France. Le milieu de l’été dans l’hémisphère Nord est propice aux changements de pied politiques, économiques et, souvent, monétaires pour tirer des leçons du 1er semestre et donner de nouvelles règles aux agents économiques à partir de septembre. Cette année, c’est de Chine qu’est venu le coup de volant monétaire. Les médications mises en place par le pouvoir central sont évidemment la marque d’un diagnostic. L’économie chinoise n’est pas synchrone avec les pays de l’OCDE mais, pour autant, entre aussi dans une phase nouvelle, pour elle-même et pour la conjoncture mondiale.
L’annonce de la Banque Populaire de Chine était loin d’être attendue. Pour relancer les activités de crédit, les liquidités des banques vont être augmentées, au travers de la baisse de 0,10 % des taux de refinancement. Dans le contexte mondial de remontée des taux directeurs sous la direction de la Réserve Fédérale américaine, la décision n’a rien d’anodin. Certes 2,10 % à 7 jours et 2,75 % à un an restent des niveaux corrects compte tenu de l’inflation, mais, au-delà du sens de la variation, la surprise est venue de la rapidité de la réaction. Il y a trois mois, le bilan chinois était plutôt flatteur : le rebond après les blocages des premières vagues de la Covid-19 avait porté l’activité mesurée à la fin du 1er trimestre pratiquement 11,5 % au-dessus du niveau qui était le sien en décembre 2019. Une performance que les autres grandes économies peuvent lui envier. Le pays apparaissait comme le grand gagnant de la période post-Covid. Mais la dynamique s’est grippée au deuxième trimestre et au début du troisième. La hausse du produit intérieur brut a affiché un modeste +0,4 % au deuxième trimestre et, en juillet, les ventes au détail (+2,7 % contre +3,1 % en juin) et la production industrielle (3,8 % contre 3,9%) montrent une réelle décélération de l’économie alors que l’investissement recule pour le cinquième mois consécutif.
Ces données sont inférieures aux attentes des conjoncturistes et en net décalage avec les objectifs publics. Le bureau National de la Statistique affirme que la « reprise économique régulière » se poursuit et assure une (légère) baisse du chômage (5,4 % de la population active contre 5,5 % fin juin), mais il concède que cette « poursuite » ne s’est pas réalisée facilement. La réaction ne s’est pas limitée à la banque centrale : 17 départements du gouvernement de Pékin ont émis mardi une directive commune qui couvre en particulier la finance, le logement, l'emploi, l'éducation, la fiscalité et les domaines médicaux. Un soutien d’une telle ampleur est assez spectaculaire, même si c’est la politique de natalité qui en constitue le point le plus spectaculaire et médiatique avec une incitation au troisième enfant sept ans seulement après l’abandon de « l’enfant unique ».
Le ralentissement – relatif – chinois est évidement une conséquence de la démographie (avec un passage à une contraction de la population anticipée dès 2025), mais la gestion plus conjoncturelle a accentué la tendance cette année. Sont en cause la politique dite de zéro Covid dynamique qui a imposé d’importants blocages et la stratégie d’assainissement de l’économie annoncée il y a un an par le secrétaire général du PCC Xi Jinping. L’éradication plus ou moins maîtrisée de la bulle de l’immobilier est le point marquant de ce retour à l’orthodoxie économique et financière. L’immobilier pesait près de 30 % du produit intérieur brut et a porté depuis 2015 la croissance interne. La faillite ou quasi-faillite de géants du secteur comme Evergrande a donné un signal du retournement qui n’est pas près de se stabiliser. Mais le concept de « prospérité commune » proclamé l’été 2021 par M. Xi Jinping qui vise « un ajustement des revenus excessifs » a bousculé toute la politique publique. Le parti a repris en mains la finance en général (en particulier la « finance grise »), les géants du numérique et les données collectés, l’éducation privée, la santé ou les transports.
Un an après, avec les effets de la conjoncture mondiale et des confinements, si la réduction des écarts entre les régions, entre les zones urbaines et rurales ainsi qu'entre les riches et les pauvres n’est évidemment pas réalisée, on peut mesurer les premiers effets de cette révolution en marche. En limitant l’enrichissement des plus riches et en cassant les spéculations, c’est en premier lieu la croissance générale qui est entamée. Exigence « essentielle » du socialisme cette « modernisation aux caractéristiques chinoises » place le pays dans une conjoncture bien différente de celles des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon. Il n’y a pas de surchauffe, pas eu la fuite en avant des « quoi qu’il en coûte » et pas de fortes poussées d’inflation à la consommation. Elle affiche 2,7 %.
La Chine suit le modèle d’une économie gagnant sans cesse en compétitivité tout en gérant une hausse et une répartition du niveau de vie. Ce modèle des reconstructions allemande ou japonaise des années 1960 et 1970 est gagnant – et même très gagnant - sur le long terme. Il n’empêche pas une gestion conjoncturelle souple comme le montrent les annonces de cette semaine. Evidemment, cette course à la compétitivité est aidée par le change de combat qui favorise toujours les exportations. Mais elle prépare aussi une normalisation inéluctable du change : à une base dollar de 6,80, le yuan décote de l’ordre de 40 % en parités de pouvoir d’achat.
A 4 mois du XXème Congrès du Parti Communiste, la voie long terme économique paraît bien établie, mais le court terme impose des réactions. Le grand élément exogène est la géopolitique. L’alliance américaine de soutien à l’Ukraine montre ses limites sur le plan stratégique. Taïwan semble encore moins que Kiev pouvoir être le déclencheur d’une guerre mondiale. Vis à vis de l’île de la République de Chine, la République Populaire avance ses pions sans se donner de contrainte de calendrier. L’affaire d’Ukraine et les « sanctions » des Etats-Unis et de leurs alliés du G7 ont singulièrement renforcé la Chine, qui plaçant la Russie en vassal, a sécurisé ses ressources énergétiques et bâti une position d’oligopole commune sur bon nombre de matières premières stratégiques.
Reste aujourd’hui la nécessité d’une action face au tournant de croissance pour éviter des contestations au sein du parti lors de la grande démonstration d’unité et de puissance de novembre. Le sujet est loin d’être anecdotique : le pouvoir est au parti et à ses grands barons – en particulier les féodaux – et le secrétaire général doit convaincre. Déjà, les propos ont changé : l’objectif de 5,5% de croissance cette année n’est plus affirmé et à peine mentionné. Autour de 3,5 % semblerait une projection raisonnable. Un objectif qui n’est pas atteint, c’est une première pour la Chine depuis plus de 30 ans à l’exception de 2020, année toutefois d’expansion malgré la Covid. Pour confirmer la politique de long terme, M. Xi Jinping va devoir montrer les ressorts de la gestion conjoncturelle de relance qui s’est manifestée lundi. Nul ne peut vraiment douter qu’il aura le soutien du parti et même qu’il saura piloter une croissance maintenue au fur et à mesure de la mise en place de « la prospérité commune ». Mais les pays du G7 auraient tort d’y voir forcément des raisons de restauration de leurs chaînes de production ou de limitation des coûts de production. La priorité du parti est le pays, sa population et, en filigrane sa domination mondiale. Aider les américains et leurs alliés ne se fera qu’à la seule condition que ces priorités en dépendent.