Le retour du dollar autour de la parité avec l’euro ramène les termes monétaires des deux côtés de l’Atlantique à la conjoncture des débuts de la monnaie unique. Celle des années 2000 à 2002, avec un record à la valeur de 0,82 euros pour un dollar touchée fin octobre 2000. C’est deux ans après, à l’automne 2002 que l’euro était passé au-dessus de la parité. Bien sûr, l’euro 2022 n’est pas le même que celui du début du siècle. La monnaie unique avait été mise en place à l’issue des opérations de réunification allemande. La taxation des deux autres grandes économies de la zone (la France et l’Italie) pour la financer avait permis la politique de productivité allemande à leur égard qui commençait porter ses fruits. L’Allemagne avait bâti sa place de compétitivité dans la mondialisation appuyée sur la Chine. Aujourd’hui, l’euro a plus de puissance qu’alors, a pris une part de près de 21 % dans les réserves mondiales de change. C’est loin des 62 % du dollar, mais n’est pas contraire aux proportions des moyens de paiement des transactions mondiales. Cela dit, la part d’un tiers montre le statut établi par l’euro. Le dollar est en revanche le même dollar, dominant malgré la montée de la Chine et, aussi, malgré les conséquences de l’explosion du bilan de la Réserve Fédérale, par la création de nombreuses bulles spéculatives dont celle, certes marginale, des cryptoactifs est une illustration. Plus largement, la perte de valeur de la monnaie américaine se mesure à l’envolée en dollars de beaucoup d’actifs.
Ce retour d’aujourd’hui à la parité est la conséquence des facteurs de stabilisation fondamentaux des marchés et, aussi, de la gestion monétaire de la Réserve Fédérale (qui est évidemment liée à la macroéconomie). Le change est un puissant facteur de limitation de l’inflation américaine en renchérissant les importations dans la conjoncture de surchauffe post-covid. Les excès monétaires et budgétaires face aux blocages sanitaires ont installé une transmission de l’inflation des matières premières, aux biens de fabrication, aux prix de revient, aux prix finaux, aux salaires. La hausse de la monnaie est un élément de stabilisation finalement plutôt classique. La stratégie de la Fed est une conséquence de cette évolution. Après avoir imaginé que la poussée des prix pouvait être temporaire, elle reconnaît la persistance des facteurs, et, est entrée, sans doute avec retard, dans un durcissement plutôt ferme qui sera confirmé cette semaine au forum de Jackson Hole par le discours – forcément nuancé – de son président Jerome Powell. En revanche, en année électorale et malgré le plein emploi, le Budget Fédéral va rester très conciliant et donc inflationniste.
Un grand facteur de stabilisation apporté par la hausse de la monnaie américaine concerne la compétition entre les Etats-Unis et l’Europe. Le dollar fort soutien les exportations européennes, en particulier allemandes et italiennes et concourt en quelque sorte au sauvetage européen face au ralentissement du cycle mondial sous la pression de la Chine. La diminution de l’avantage de court ou moyen terme pour l’économie américaine doit être relativisée : importations plus chères et plus de taxes à l’export sont atténuées par la hausse des matières premières énergétiques. Et, bien sûr, les parités permettent aux industries des Etats-Unis de progresser en matière de compétitivité en s’appuyant sur la dynamique, et en particulier celle du marché du travail. La guerre d’Ukraine (et la hausse des exportations américaines de pétrole et de gaz) est ainsi un élément externe, mais le dollar profite aussi plus largement de la géopolitique. La fuite vers la qualité est une tendance logique en faveur du plus puissant sur le plan militaire. L’Europe apparaît aussi affaiblie, acceptant la domination du chef de sa coalition et a pris des « sanctions » qui la sanctionnent en premier lieu sans affaiblir les Etats-Unis, au contraire. Cela risque de durer : le pétrole cher est un élément positif pour l’économie américaine et, cela a été fait après la guerre mondiale en Allemagne ou au Japon, la reconstruction d’une Ukraine détruite par un conflit long ouvrira de nouveaux marchés, amortissant largement l’économie de guerre.
Les marchés font la synthèse entre le mix de politique monnaie-budget des deux côtés de l’Atlantique, des taux directeurs, de la croissance et de l’inflation et, aussi et peut-être surtout, des potentiels de croissance long terme. La géopolitique ne fait que renforcer la tendance. Le dollar est très surévalué face au yuan chinois (près de 40 % en parités de pouvoir d’achat). Il peut l’être sans grands dommages internes vis à vis de l’euro alors que se profile sur notre continent une stratégie « environnementale » de limitation de la croissance et de plus d’inflation. La Réserve Fédérale a bien pris ces fondamentaux en compte : la hausse de la monnaie fait une partie du boulot pour contenir l’inflation. Elle peut prolonger sans crainte en raison du marché de l’emploi. Elle peut le faire sans crainte du fait du soutien du budget fédéral. L’Europe peut aussi compter sur les déficits, mais également sur des masses monétaires qui ne seront pas corrigées comme ce sera le cas aux Etats-Unis. La stagnation ou en tout cas une moindre croissance européenne avec une inflation persistante sont dans les scénarios.
Les investisseurs veulent croire à plus de souplesse pour la gestion américaine en 2023. Le scénario n’est pas sûr. Les matières premières ne vont pas revenir facilement dans leurs niveaux d’il y a deux ou trois ans, les salaires sont sous la pression d’un marché du travail plus que solide. Les risques d’une récession pourront être pris dans la gestion monétaire : plus que ses effets directs sur le cycle, la politique de restauration de la crédibilité monnaie peut en revanche contenir la valeur des actifs. Cela posé, le long terme et le potentiel de croissance sont au bout de la séquence. La hausse du dollar donne la mesure du retard européen, mais va encore déstabiliser une grande partie des pays émergents. Les obligations américaines ont tout pour conserver leur avantage par rapport aux européennes. Les actions aussi : pour un investisseur en euro, la performance du Dow Jones depuis le début de l’année est de + 3,3 % à comparer avec -14,7 % pour l’Eurostoxx 50 et même - 10,2 % pour le CAC 40.