L’horizon s’éclaircit après les rendez-vous d’août. Ce ne sont pas seulement les lendemains de mois de canicules en Europe, 19 ans après celle de 2003 et qui la réduisent bien sûr à l’approche de l’équinoxe. Si on se place sur le plan économique, la vision se dégage sans vraiment donner de points d’appui et même de direction. La combinaison n’est pas forcément lisible, puisque se cumulent une croissance décorrélée entre les trois économies poids lourds du monde (près des deux tiers du produit intérieur brut entre les Etats-Unis, la Chine et l’Europe), une inflation qui s’est installée et peut dans certains cas se développer toujours, des banquiers centraux qui annoncent des durcissements de gestion monétaire, des gouvernements qui cherchent à éviter un atterrissage brutal du cycle. Sur le plan géopolitique, la donne ne s’est pas vraiment éclaircie avec l’émergence d’un multilatéralisme tournant au bilatéralisme : les pays riches d’un côté, les autres derrière la Chine et, d’une certaine façon leur allié russe. Les marchés financiers, toujours dopés par l’excès de liquidités, ont du mal à faire une synthèse : le rallye haussier de l’été tourne au fameux « bear market rally », un rebond technique dans un marché qui reste baissier. Mesuré au CAC 40, les deux tiers de la hausse de juillet et août sont effacés.
La croissance économique suit des trajectoires bien différentes dans les trois grandes zones. Elle est toujours dynamique aux Etats-Unis et le marché du travail correspondant pratiquement au plein emploi en est les reflets, mais aussi un puissant moteur. Les indicateur PMI manufacturier sont en expansion (52,5 alors que la neutralité est à 50). L’Europe – derrière l’Europe exportatrice d’Allemagne et ses satellites plus l’Italie – est en stagnation sinon en légère contraction. Les indices PMI des directeurs d’achat manufacturiers sont en contractions qui s’accroît dans la zone euro le mois dernier, alors que la France fait plus que résister et indique une légère expansion. La Chine paie le prix de la normalisation de sa gestion économique, avec éradication de bulles spéculatives et frein à la consommation à l’appui, mais aussi de sa gestion spécifique de l’épidémie de Covid passant par des blocages à répétition. Les indicateurs avancés de la production industrielle sont passés en négatif an août. Derrière un ralentissement macroéconomique plutôt général, les situations sont très différentes pour orienter les stratégies monétaires.
En parallèle, l’inflation continue à se développer. Les données publiées commencent à se modérer en raison d’effets de base pour les prix de l’énergie. Mais les données « cœur » sont toujours en hausse en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. La dynamique propre joue et limite la portée désinflationniste des effets de change en Amérique alors que cet effet entretient la dérive des prix en Europe. Les statistiques montrent que la stabilisation est loin d’être en marche, que les facteurs internes ont pris le relais des matières premières et agricoles et des tarifs sous pression des goulots d’étranglement en sus d’une spirale prix-salaires inéluctable. Les dernières publications - 6,3 % et 4,6 % « cœur » aux Etats-Unis : 9,1 % et 5,5 % en zone euro - sont le signe de ce cycle confirmé. En Chine en revanche, malgré une hausse des prix à la production, l’inflation n’est pas le sujet préoccupant.
Le constat de la spirale des prix a conduit les grandes banques centrales à agir (un peu et tardivement) et à muscler leurs discours. La Réserve Fédérale américaine a fait des premiers pas sur le front de ses taux directeurs et, la semaine dernière, son président Jerome Powell a proclamé une volonté très ferme d’aller plus loin : cela « prendra du temps » a-t-il concédé, mais « va faire souffrir les ménages » a-t-il averti. Ainsi, il annonce aller jusqu’au bout d’une éventuelle récession dure pour ramener l’inflation dans ses objectifs moyens de long terme de 2 %. Du côté européen, des membres du conseil de politique monétaire organisent des rumeurs de tournant de politique vers une réelle rigueur. Cependant, on n’est pas vraiment dans le dur, de part et d’autre de l’Atlantique. Les banquiers centraux se disent prêts à frapper, à amener les taux courts à des niveaux devant fortement réduire l’activité et limiter les liquidités, Pour que leurs intentions et même leurs actions portent les fruits, elles doivent dépasser les obstacles inflationnistes placés devant elles : la dynamique interne du cycle du côté américain, les budgets « sociaux » du quoi qu’il en coûte en Europe, les investissements et contraintes environnementales pour les deux. Au constat d’aujourd’hui, un risque de récession en Europe sans que l’inflation ne soit limée, un risque bien moindre de récession américaine, mais sans non plus que l’inflation ne soit éradiquée. Le cas chinois est bien différent : il n’y a pas vraiment d’inflation, les marges monétaires sont là, celles du budget ne sont pas en question, le choix du long terme du parti communiste rend moins sensibles en interne des choix de conjoncture.
Les marchés financiers ont du positif sous le pied, qui peut justifier la puissance du rebond des deux derniers mois. Le grand soutien est la résistance du cycle américain et, en Europe comme aux Etats-Unis, la microéconomie : les entreprises cotées s’adaptent plutôt très bien à l’infléchissement du cycle et à l’inflation. L’exemple de la France peut être donné : à l’Université du Medef, son président Geoffroy Roux de Bézieux a indiqué, en rupture avec le discours décliniste de la Première ministre, que « 80 % des patrons étaient plutôt optimistes ». Un diagnostic qui confirme les communications des entreprises après les (bons) résultats semestriels. Dans ce contexte, le manque de crédibilité des banques centrales face à l’inflation ne semble pas vraiment de nature à remettre en cause les consensus de bénéfices qui ont porté les cours de Bourse cet été. Les investisseurs savent que l’inflation n’est pas systématiquement nocive à la croissance et aux profits des sociétés. En revanche, les taux directeurs et les taux obligataires ont un effet direct sur l’évaluation des actifs. Les hausses des rendements ont ainsi plus d’effets sur les marchés – en tout cas des effets plus sûrs - qu’elles ne peuvent en avoir sur l’économie réelle, et donc sur l’inflation des prix. C’est l’équation des marchés financiers : les bonnes nouvelles ou les nouvelles encourageantes en provenance des sociétés cotées n’en sont pas pour les cours de Bourse. Au contraire, elles incitent les investisseurs à amplifier leurs scénarios de hausses des taux et donc à réviser à la baisse les ratios d’évaluation. C’est comme cela que le rebond des premières semaines d’été lié à la bonne résistance macro et, surtout, micro, a tourné au « bear market rally ».