Le Royaume Uni s’est doublement installé dans l’actualité cette semaine. La mort d’Elizabeth II est un tournant au moins symbolique, un peu l’enterrement du XXème siècle, au-delà même du Royaume Uni et du Commonwealth. La souveraine a battu la longévité de son arrière-grand-mère Victoria (mais pas celui de Louis XIV) et a nommé 15 premiers ministres (Louis XIV s’était contenté de deux). Justement, son dernier acte a été de demander à Liz Truss de former un gouvernement. La permanence monarchique contraste avec l’instabilité gouvernementale marquée depuis 7 ans, occasionnée par le Brexit. Une nouvelle femme au pouvoir fait référence aux grandes souveraines comme les dernières de la dynastie Tudor à la fin du XVI ème siècle ou celui de la reine Victoria, mais aussi et, surtout, à Margaret Thatcher. Mme Truss fait tout pour se placer dans la ligne de la dame de fer. Les situations ne sont vraiment pas comparables : en 11 ans, Mme Thatcher a sorti le Royaume Uni d’un socialisme collectiviste qui emportait son économie. Aujourd’hui, il s’agit pour la cinquième puissance mondiale (avec 3,3 % du produit intérieur brut) de gérer une conjoncture mondiale de domination des Etats-Unis et, aussi, de la Chine.
La politique britannique n’est pas anecdotique : le produit intérieur brut pèse plus de 75 % de celui de l’Allemagne, 1,08 fois celui de la France, 1,5 fois celui de l’Italie. L’ensemble de l’Europe ne s’est pas libérée du Royaume-Uni avec le Brexit. Après le retrait d’un de ses mentors, il y a assez de recul pour que de premiers constats puissent être faits sur ce Brexit, choisi par le référendum du 23 juin 2016 et mis en place le 31 janvier 2020. Les excès de la campagne sur les îles et ceux du politiquement correct sur le continent avaient annoncé l’apocalypse. On en est évidemment loin, comme on est loin des lendemains qui chantent des partisans du « take back control ». Le Royaume Uni séparé de l’Union Européenne est resté la puissance qu’il est, et, le bilan économique n’est pas celui d’une déroute. De 2016 à 2019, son PIB avait progressé en livres sterling de 5,9 % quand celui de l’Allemagne (en euros) gagnait 4,85 %. Par rapport à 2016, les scores de l’année dernière en monnaie locale, celle qui compte pour les ménages, sont restés proches : 3,03 % pour les britanniques, 3,24 % pour les allemands. Evidemment, il y a la monnaie et la baisse de la livre donnait en dollars de la fin 2021 un avantage aux allemands (+21,6 % contre +17,3 %). Mais les britanniques retiennent qu’il n’y a pas eu de fracture.
La gestion de l’épidémie de la Covid a été bien différente dans un premier temps, mais finalement commune assez vite et le bilan n’a rien de bien différent avec les pays européens du continent. Sur le plan sanitaire, la mauvaise qualité du système de santé pèse toutefois sur les statistiques par rapport à la France en particulier. Sur le plan économique, la gestion des conséquences des différentes mesures plutôt sévères est finalement assez proche : le rebond post-covid mesuré avant le déclenchement de la guerre d’Ukraine a été plus vif que chez les voisins, mais s’était infléchi plus vite.
Le conflit en Europe de l’Est a remis en question la trajectoire. Le gouvernement Johnson n’a pas hésité à se placer en allié indéfectible des Etats-Unis. Comme aux moments des guerres du Golfe, le Royaume Uni se présente sur le plan géostratégique comme « la 51 ème étoiles » du drapeau américain. Il n’y a pas eu dans la population et dans les partis politiques de sentiment face aux factures qui ne pouvaient manquer de s’annoncer. Le résultat : l’inflation est là. Comme c’est le cas aux Etats-Unis et en Europe continentale, la hausse des coûts de l’énergie est venue amplifier très fortement une dérive des prix qui s’était installée. L’analyse de la Banque d’Angleterre est sans appel : elle annonce un pic d’inflation à plus 13 % au 4ème trimestre, 3 % au-dessus de ses estimations d’il y a 4 mois. Les prix du pétrole et du gaz sont en cause, mais la banque centrale indique que les pressions sur les salaires et les prix à la production sont également très au-dessus des objectifs. Mme Truss a mis la question au centre de sa campagne et de son programme. Elle a annoncé dans la foulée de sa nomination un « plan de garantie des prix de l’énergie ». Sa vision thatchérienne se retrouve dans des baisses d’impôts destinées à soutenir l’activité. Le terme massif n’est pas usurpé puis que c’est près de 7,5 % du PIB qui seront dépensés au total. La mesure phare est le plafonnement des factures énergétiques à 2.500 livres par ménages, ce qui représentera une subvention de 1.000 livres, mais le plan va plus loin en changeant de cap sur la politique climatique avec la levée de taxes finançant la transition, un changement de cap pour la neutralité carbone, et une relance de l’extraction de pétrole et de gaz. La Première ne se place pas dans un « en même temps ».
Mme Truss a l’atout du temps pour développer sa stratégie pour « surmonter la tempête et reconstruite l’économie » : elle peut disposer deux bonnes années d’une confortable majorité à la Chambre des communes. La démocratie parlementaire représentative acceptée peut lui donner le courage de dépasser les démagogies en profitant de l’indépendance apportée par le Brexit, qui va lui éviter aussi bien des négociations. « Aussi forte que soit la tempête, je sais que le peuple britannique est plus fort ». la mobilisation peut jouer pour un peuple qui ne craint pas les efforts, mais il y a vraiment à faire. La Banque d’Angleterre annonce une récession à partir du 4ème trimestre de cette année et jusqu’à la mi-2024. Et cette projection ne va pas la conduite (au contraire) à infléchir sa gestion monétaire très sévère. Tout cela inscrit Mme Truss dans le registre « du sang et des larmes » de certains de ses prédécesseurs. Cela dit, la situation du Royaume Uni n’est pas une exception du côté des perdants de la guerre d’Ukraine, c’est à dire de l’Europe. Les mécanismes de protection moins puissants que sur le continent ont provoqué un choc économique très fort, élargi pas la politique monétaire. Les économistes de CPR Asset Management relèvent que, d’une certaine façon, les pays de l’Union Européenne et la BCE vont devoir suivre cette conjoncture anglaise. Avec un décalage, mais elles vont le faire. On ne peut pas dire que le plus dur est passé de l’autre côté de la Manche, mais en relatif, c’est sans doute un peu différent.