Les Bourses ne sont pas sorties du marché baissier à la faveur du rebond du 5 juillet au 15 août (10 % pour le CAC 40 par exemple). La chute du 13 septembre après la publication de l’inflation américaine d’août donne la mesure de cette pression exercée sur les cours. Ce jour-là, le Dow Jones a perdu 3,9 %, l’Eurostox50 1,7 %, le Nasdaq 5,2 %. Les 4,2 % de baisse du CAC 40 en quatre jours l’ont ramené 8 % au-dessous des cours du 16 août. La tendance reste négative, mais les grands seuils symboliques – définis comme les points à suivre dans cette chronique du 7 juillet - ont tenu l’été. Le dollar n’a pas cassé franchement la parité avec l’euro, le baril de pétrole n’a pas repassé les 100 dollars, le Dow Jones et le Nasdaq ont respectivement conservé les 30.000 et 4.000, le CAC 40 les 6.000. De même, le bitcoin qui donne une mesure des effets de bulle a consolidé les 20.000 dollars. Cette résistance et, d’une certaine façon, l’incertitude pour les actions qui se confirme, posent aujourd’hui celle des multiples d’évaluation. Le rapport des cours au bénéfice dépend du dénominateur (les bénéfices) et des taux d’intérêt. Plus important encore, il est le reflet des anticipations de ces deux facteurs : le cycle économique et les marges des entreprises d’une part, les conditions financières dépendant largement des politiques fixées par les banques centrales de l’autre. Revue des fondamentaux des multiples boursiers.
Les taux courts sont gérés par les banques centrales et c’est l’inflation et les discours sévères de la Réserve Fédérale américaine à sa constatation qui les orientent. Les dernières statistiques confirment le diagnostic : l’inflation est là aux Etats-Unis. En août, la dérive des prix s’est établie à 8,3 %, confirmant la tendance précédente malgré un effet de base de l‘énergie qui a joué pour une forte modération (baisse de 10 % des prix de l’essence). Le glissement sur un an se réduit un peu par rapport aux 8,6 % de juillet, mais l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) marque une avance à 6,3 %. La dynamique reste haussière et la diffusion des hausses de prix se poursuit. En Europe, la situation est divergente en fonction des déficits de budgets nationaux qui cherchent à limiter les effets sur l’énergie, puissants en France ou dans la péninsule ibérique, plus modérés dans l’Europe du Nord, seulement à ses débuts au Royaume Uni. Le solde d’inflation de 9,3 % en zone euro en août suffit à constater que l’engrenage est bien là. En sus d’une spirale interne propre, les facteurs externes (change et cours du pétrole et du gaz) sont durablement installés.
La Réserve Fédérale a affirmé qu’elle taperait et elle va le faire. Les taux directeurs vont sortir de la zone conciliante pour la croissance au sein de laquelle ils se situent encore. Des hausses sont à anticiper et la modération que certains investisseurs attendaient à partir de la mi-2023 est loin d’être le plus probable. La dynamique interne, la force du marché du travail et les lourds déficits budgétaires programmés annoncent un passage très au-delà du « taux neutre » et le niveau de 4,5 % (contre 2,25 % - 2,50 % aujourd’hui) est couramment évoqué. Dans le même temps, la réduction de la taille du bilan va se mettre en place, sur un rythme sans doute réduit, mais jouant sur les conditions de financement. La BCE n’a pas délivré un message aussi clair. Elle fait face à une inflation interne, et externe ( gaz et pétrole), amplifiée par le change. Elle s’est engagée sur le chemin périlleux de la lutte contre la fracturation financière entre les pays de la l’euro. Elle constate une inflation sur laquelle elle n’a pas de maîtrise, et attend récession qui va partir de la première économie (l’Allemande) et des contraintes, pourtant encore limitées, qu’elle exerce sur les économies. Les déficits budgétaires sans cesse majorés lui donnent sans doute une marge de manœuvre pour suivre les hausses de taux directeurs américains, même si, dans un premier temps elle pourrait davantage jouer sur son bilan comme elle l’annoncé cette semaine.
Les taux directeurs ne dirigent pas l’inflation indépendamment du cycle économique, de la dynamique propre des pays, des marchés, de la géopolitique, des matières premières, du change, … En revanche, les banques centrales peuvent avoir une prise plus directe sur la conjoncture finalement plus que sur la dérive des prix : elles peuvent lancer ou entretenir de ralentissement économique par le biais de leurs taux d’intérêt et de masses monétaires. La récession se développe en Europe : le 1er trimestre et même le 1er semestre 2023 vont le constater. Sans doute la France sera parmi les plus résistantes, appuyée sur la fuite en avant du nouvel épisode du « quoi qu’il en coûte », mais les 9 mois à venir seront marqués par la récession en Europe et une inflation qui aura bien du mal à faire mieux que s’infléchir. Aux Etats-Unis, la force propre de l’économie et les retombées si positives de la guerre d’Ukraine orientent le cycle vers un atterrissage en douceur plus que vers la cassure qui sera encaissée de notre côté de l’Atlantique. La récession n’est pas certaine, ce qui incite à anticiper suffisamment de volontarisme monétaire pour calmer en même temps l’inflation.
Le dénominateur du multiple d’évaluation des actions (les profits à venir) est fonction des scénarios de la conjoncture et de l’évolution des marges des sociétés cotées. Une croissance américaine sans doute au mieux proche de 1 % l’année prochaine, une récession en Europe avec un ciblage à -1 % impliquent des révisions des estimations de bénéfices, Les consensus 2023 restent sur une progression de l’ordre de 10 % pour les bénéfices par action des compagnies américaines et une légère baisse en Europe. Le facteur le plus important pour l’évolution des Bourses est cependant le multiple accepté par rapport à ces perspectives de profits à revoir à la baisse. Les hausses de taux directeurs actuelles sont prises en compte mais pas celles à venir, en tout cas pas en totalité. La gestion de la liquidité via les bilans des banques centrales est aussi en cause : les rachats d’actions américaines qui sont un soutien pour les cours et les bénéfices par action, qui s’est encore renforcé cette année sera coiffé par la Fed. Il reste aux actions à encaisser un effet taux souvent estimé entre 5 % et 10 % de potentiel de baisse supplémentaire et à prendre en compte la reprise de liquidités. Il leur reste aussi et surtout à mettre les multiples de marché en mode récession. Le PER du S&P 500 se situe autour de 18 fois alors qu’il était tombé à 12 lors de la crise de 2008-2012 et entre 7 et 10 au moment du premier choc pétrolier et jusqu’en 1982 (notre graphique). Le PER monde pour les 12 mois à venir reste proche de 15 fois, des niveaux quasiment records depuis 30 ans, bulle des technologiques de 2000 exclue. Il était descendu à 9 fois en 2008 et 2011. Privés du soutien des taux négatifs, zéro ou très faibles les Bourses ne sont pas données dans leurs niveaux actuels et la prudence des investisseurs se justifie. En contrepartie cependant, il y a le cycle américain, la nouvelle donne des matières premières et – qui sait ? - un retour à un environnement géopolitique plus stabilisé.