Mois après mois, les statistiques d’inflation remettent en cause les anticipations qui doivent alors être révisées à la hausse. L’ensemble se traduit de la part des banques centrales par des mesures monétaires soutenues (pour la Réserve Fédérale américaine en tout cas) ou par plus de fermeté dans les annonces que dans les faits (pour la BCE par exemple). On a pu constater qu’ayant nié l’évidence pendant des semestres et s’accrochant sur un diagnostic « temporaire » pour la dérive des prix, les grands argentiers sont en retard. Ce qui devrait entraîner des mesures fortes et rapides qui ne sont pas forcément réellement dans toutes les feuilles de route. On retrouve aussi ces données dans les marchés obligataires et – pour une part encore assez limitée – dans les cours des actions, bien que pour les deux classes d’actifs, ce soient les scénarios de moyen terme qui pèsent le plus. Un des facteurs les plus puissants de l’inflation record actuelle est l’énergie. La situation tendue a été multipliée par la pénuries installées par la sortie du marché du gaz et du pétrole russe entraînée par les « sanctions » du bloc occidental qui sont en quelque sorte des boycotts. La crise du nucléaire français n’est pas anecdotique dans ce cadre. Au-delà des effets d’aubaine pour les économies des pays producteurs au premier rang desquels les Etats-Unis, la facture, pour les pays importateurs en solde et pour un ensemble d’industries, s’apparente à un choc pétrolier. Son ampleur n’est pas simple à analyser en raison d’aspects conjoncturels qui s’ajoutent à une donne géopolitique mouvante.
La conférence de presse tenue mercredi par Jerome Powell, le patron de la Réserve Fédérale américaine, ne s’est pas limitée à l’annonce d’une hausse de 0,75 % de l’objectif de rendement des fonds fédéraux. Il a averti que la situation actuelle était « le plus bas niveau d’une politique restrictive » et que d’autres relèvements sont à venir. Cette mobilisation pour contrer l’inflation, plutôt inédite dans sa puissance et son calendrier, va viser à « réaligner l'offre et la demande ». Et « notre moyen pour le faire est de ralentir l'économie. ». Ne pas hésiter à entraîner une récession et annoncer une période « douloureuse » pour les ménages américains s’expliquent à la lecture du diagnostic actuel et des scénarios dévoilés par la Fed. Le point de sensibilité n’est finalement pas l’inflation elle-même, mais l’inflation « cœur », calculée en excluant l’énergie et l’alimentation, dont les variations peuvent dans certains cas être jugées « non récurrentes ». Cette inflation cœur est estimée (médiane) à 4,5 % cette année et, malgré les hausses de taux d’intérêt, à 3,1 % l’année prochaine. L’espoir serait reporté à 2024 – 2025 avec 2,3 % -2 ,5 %. Les taux directeurs de la Fed maintenus entre 4 % et 4,5 % pour les deux ans à venir sont le remède de cheval pour contrer l’engrenage des prix américains en dehors de la conjoncture énergétique. En Europe ou au Japon l’engrenage est enclenché avec au moins la même profondeur. Les conséquences globales sur la conjoncture sont d’une gravité bien supérieure en raison de l’effet de la flambée de l’énergie pour des économies importatrices net. Aussi, la BCE et, plus encore, la Banque du Japon, vont avoir beaucoup de mal à tenter d’enrayer la spirale de l’inflation dite cœur sans faire tomber les pays dans une vraie récession.
L’inflation s’est installée chez nous avec une inévitable boucle prix-salaires et un excès toujours présent de liquidités délivrées par la banque centrale et, en sus, les dotations budgétaires destinées à soutenir le pouvoir d’achat. Au-delà des éléments fondamentaux de l’inflation hors effets dits volatiles qui sont compliqués à contenir, l’Europe doit payer la note du choc pétrolier. La mesure a été donnée par le déficit de la balance courante affiché par la zone euro en juillet. Les 20 milliards d’euros publiés sont une première depuis l’année de crise de 2008. Le solde du 1er trimestre était encore un excédent de 16,6 milliards d’euros, au même niveau que deux ans avant sous la pression de première vague de Covid qui était le plus bas niveau depuis 2011. La facture énergétique multipliée cette année par près de 3 fois par rapport à sa moyenne depuis 2012 est passée de 2 % du produit intérieur brut de la zone en 2021 à plus de 4% de janvier à juillet de cette année. Les cours du pétrole, et moins du gaz, se stabilisent en dollars, mais l’effet est effacé en partie par la chute de l’euro face au dollar. Sur un an, en euros, le baril de Brent s’est renchéri de 40 % et la consolidation par rapport à la fin mars est inférieure à 10 %. Les spécialistes de LBP AM chiffrent à près de 4,5 % du PIB la facture énergétique pour la zone euro cette année. Les revenus dans la zone seraient ainsi réduits de 2,5 % de PIB.
Les Etats se sont engagés dans un nouvel épisode de « quoi qu’il en coûte » pour réduire l’impact. Un effort budgétaire récurrent s’ajoutant aux plans de relance en place est estimé entre 1 et 2 % du PIB et serait susceptible d’éviter une récession brutale. Mais avec le transfert de la taxe extérieure qu’est la facture énergétique vers une taxe d’État (des impôts à venir et un endettement favorisant l’inflation cœur) la note énergétique reste une taxe. L’économie européenne doit encaisser ce prélèvement et, même avec une récession sévère évitée va perdre du potentiel de rebond sans y gagner en désinflation. La pression de la facture n’est pas la seule contrainte énergétique à laquelle doivent faire face les états européens. Le risque de pénurie pour l’hiver n’est pas crucial, mais les approvisionnements préservés sont forcément fragiles et peuvent être bousculés par des aléas climatiques par exemple. En tout état de cause, les prix du gaz qui restent à des niveaux très élevés montrent la tension, même si les stocks sont en moyenne de près de 85 % des capacités dans l’UE. Cela peut paraître confortable, mais un stockage de 100 % ne couvrirai qu’environ 27 % de la consommation d’une année. L’Allemagne est à 88,7 % des capacités, l’Italie à 86,4 %, la France affiche 93,4 %. L’avantage de notre pays se retrouve aussi dans la sécurité offerte puisque son stockage total irait au-delà du tiers d’une année de consommation. La proportion de charbon dans la production électrique explique cet avantage sur la moyenne de l’Union Européenne. Les Etats sont conscients du risque de dérapage : l’Allemagne a pris la décision de nationaliser le gazier Uniper qui fournit 40 % de son gaz naturel. La France est en train de (re)nationaliser EDF après que le groupe ait été très affaibli par l’application de directives européennes visant son démantèlement. Mais l’Union Européenne a aussi cherché – qui s’en étonnerait ? - dans les contraintes règlementaires et la fiscalité des solutions à cette crise d’approvisionnement. La principale mesure annoncée la semaine dernière par la Commission est l’instauration d’une taxe sur les producteurs d’énergie à coûts maîtrisé, c’est à dire le charbon, mais aussi les « vertueux » en matière d’émission de Co2, le nucléaire et les renouvelables (en particulier éolien et hydraulique). Les Etats trouveraient ainsi des marges à leur main et sans la direction de Bruxelles pour financer leurs subventions destinées à compenser chez eux les hausses de tarifs. C’est près de 1 % de PIB qui seraient dégagés. Même si des taxes spécifiques sur les bénéfices 2022 des entreprises pétrolières sont envisagées, on peut s’interroger sur le financement par des taxes sur l’ensemble des énergies pour financer la consommation de gaz, c’est à dire finalement des transferts aux producteurs comme les Etats-Unis, le Qatar (mais aussi la Norvège). Ce qui reste pour l’Europe et va le rester au moins tant que la Russie ne reviendra pas dans le jeu, c’est cet impôt de choc pétrolier de 4,5 % du produit intérieur brut.