Les élections italiennes ont été l’occasion d’une couverture médiatique alarmiste, en particulier du côté des journaux ou télévisions français. Le résultat qui était largement attendu a suscité moins de réserves du côté des marchés financiers : il n’y a pas eu d’effet de panique au contraire. Il est vrai que l’actualité pose bien d’autres sujets de volatilité aux investisseurs. Les élections générales sont l’occasion de se pencher sur le cas italien et, surtout de chercher à anticiper.
La victoire du bloc qualifié de « centre droit » par les italiens n’est pas une surprise. C’est davantage une alternance qu’une révolution. Depuis l’installation de l’euro en 1999 le produit intérieur brut italien a progressé de 5 % quand les deux autres grands pays de la zone euro, la France et l’Allemagne, affichent 31 % et 33 %. Face à cette déroute économique, les Italiens ont tour à tour essayé presque toutes les combinaisons possibles. La gauche (gouvernements Amato, Prodi et Renzi) a gouverne six ans et demi au total ; la droite (Berlusconi) 8 ans et demi ; l’union nationale plus ou moins large (Conte et Letta) 4 ans ; et les gouvernements de technocrates Monti et Draghi un an chacun. Aucune des formules n’a permis d’enrayer la dégradation. Les Italiens reviennent aujourd’hui à ce « centre droit » 11 ans après le départ du parti du Peuple de la Liberté de Silvio Berlusconi. Le constat est malheureusement tiré et fait consensus : la monnaie unique n’était pas adaptée aux fondamentaux italiens. Faute d’avoir pu adapter la valeur de la monnaie, le pays a dû encaisser des dévaluations internes à répétition, signifiant un poids sur l’économie et le pouvoir d’achat. Ces dévaluations internes – qui ont permis avant l’épidémie de Covid un budget public en excédent primaire, c’est à dire hors charge de la dette – ont pu valoir des bons points donnés par les fonctionnaires de Bruxelles ou la Banque Centrale Européenne. Elles n’ont pas empêché pour autant la distribution de mauvais points. Les conséquences pénibles ont été amplifiées dans les urnes la semaine dernière par l’intrusion plutôt irresponsable et en tout cas contre-productive, de la présidente de la Commission européenne qui avait cru bon deux jours avant le scrutin d’estimer que l’Union Européenne avait les moyens de sanctionner les Etats n’entrant pas dans la ligne bruxelloise absolue.
La réaction des marchés financiers a été marquée par moins de manœuvres politiques étroites et plus de pragmatisme. Sur les quatre séances après le scrutin, l’indice italien MIB affiche une baisse d’un peu plus de 5 %, égale à celle du DAX 30, du CAC 40 ou de l’Eurostoxx50. Evidemment, l’issue de l’élection était anticipée, mais avec plutôt moins de casse. Sur un mois, le MIB baisse de 2 % de moins que les indices européens, et depuis le début de l’année, il a évolué en parallèle avec eux. Sur le front des taux d’intérêt, la dette italienne n’a pas connu de lundi noir le lendemain du succès des « Frères d’Italie ». Au relevé des quatre séances qui ont suivi, le rendement du 10 ans s’est renchéri de 0,7 % pendant que celui du Bund allemand gagnait 0,34 % et celui de l’OAT 10 ans 0,48 %. Le krach n’a pas fracturé la zone, mais il s’est concentré sur un pays hors de la zone et de l’UE, le Royaume Uni : le taux des Gilts 10 ans est passé de 3,40 % à 4,50 %. Reste le change. L’euro a encore perdu 2,9 % par rapport au dollar s’éloignant assez franchement de la parité. Mais c’est plus le dollar qui monte qu’un effet de méfiance vis à vis de la monnaie unique face à la nouvelle donne italienne. Toujours sur quatre séances, le franc suisse a rendu 1,2 %, le renminbi 3,20 %. Et la livre sterling chute de 4,8 % face au dollar.
Les premiers pas de la présidente du Conseil valident d’une certaine façon le flegme des marchés financiers. Madame Meloni annonce une politique qui n’est pas le contraire de celle que présente M. Macron : plutôt en ligne avec l’Union Européenne sur le plan économique (sans exclure comme les autres pays la poursuite de la fuite en avant budgétaire pour financer les boucliers énergétiques), des ambitions fortes en revanche sur celui du régalien pur et des réformes de société. C’est évidemment à rebours de M. Macron pour ce qu’on appelle le « sociétal ». Mme Meloni affirme défendre et promouvoir les racines et les identités historiques et culturelles judéo-chrétiennes de l'Europe. Elle annonce une position très forte en matière d’immigration et de sécurité et des lois, règlements et actions pour revenir sur les réformes de déconstruction de la société, comme les applications de la théorie du genre ou du « wokisme » extrême. M. Macron, tout aussi lié que les italiens sur le plan de la gestion économique et financière, se place dans la direction opposée sur ces sujets pour lesquels il conserve de la marge. En revanche, sur la question des alliances internationales, le rattachement à l’OTAN prédomine des deux côtés des Alpes, et bien sûr, en premier lieu sur le conflit d’Ukraine. Sur ce plan, Mme Meloni a pris la main sur ses alliés de la Ligue et de Forza Italia et n’aura pas de différend avec l’essentiel des pays européens.
Si la ligne économique est contenue par des contraintes assez définies, il faut reconnaître que le bilan d’une politique la plus orthodoxe possible compte tenu des aléas de la conjoncture telle qu’elle ressort du gouvernement Draghi ne plaidait pas pour une reconduction. L’Italie reste plombée par le service d’une dette qui dépasse 1,5 fois son PIB et, surtout, par un manque chronique de croissance. Au-delà de l’inadaptation des agents économiques à l’euro, la démographie catastrophique est en cause : en 8 ans le pays a perdu 550.000 habitants. En 2020, le nombre d’enfant par femme est tombé à 1,2, contre 1,5 pour les Allemandes et 1,8 pour les Françaises. Les Américaines sont à 1,5. L’autre grand frein à la dynamique italienne est la partition du pays entre une zone de forte prospérité (au Nord) et une zone qui ne l’est pas du tout (au Sud). Le PIB par habitant du Nord est 75 % supérieur à celui du Sud. Les premiers sont proches du niveau des Français, ce qui est inférieur de moins de 10 % à la moyenne allemande. Les deuxièmes sont au niveau du Portugal, à peine au-dessus de la Slovaquie ou de la Grèce et 18 % au-dessous de l’Espagne.
A la monnaie unique entre les deux Italie et avec les pays prospères de l’Europe, s’ajoute la difficulté de supporter dans la péninsule des règlementations communes et en particulier la même fiscalité. Le pays qui résulte de cette coexistence avait été le premier touché par l’épidémie de Covid. Avec le recul, il a pris le choc comme la moyenne européenne. Après une chute de 9 % en 2020, la croissance s’était établie à 6,7 % 2021. Avant la guerre d’Ukraine, on attendait 2 % cette année, ce qui aurait ramené l’activité à son niveau d’avant l’épidémie. Le bon score de l’année dernière s’était appuyé sur les industries exportatrices plus que sur une flambée de la consommation après la levée des confinements. L’inflation et l’envolée des cours de l’énergie est venue casser une dynamique réelle installée et qui s’était traduite par une baisse du déficit et une réduction du ratio de dette publique. On dit souvent que l’Italie cumule les défauts de la France (la dette publique) et ceux de l’Allemagne (la dépendance énergétique et celle de ses exportations aux cycles, en particulier chinois). Elle supporte la double peine cette année.
Le gaz naturel représente 42 % du mix énergétique de l’Italie et près de la moitié provenait de Russie. Sans parler des risques de ruptures d’approvisionnement, les coûts de l’énergie vont avoir un effet récessif de près de 2,5 % du PIB. La consommation qui contribue à presque 60 % du PIB est sous pression, l’activité manufacturière va être plombée par une baisse des investissements et par la chute des exportations. Cependant, c’est sur une économie qui était au total plutôt assainie en 2021 que la crise et la récession en Europe vont frapper, avec les amortisseurs. En sus des boucliers tarifaires qui n’empêcheront pas la récession, le vaste soutien du fonds européen Next Génération UE sera ensuite bien davantage qu’un amortisseur Les 209 milliards alloués à l’Italie de cette année à 2027 (sur les 750 milliards du fonds) représentent 10,4 % du PIB d’avant la Covid. En plus de l’effet direct des dépenses, ce remède de cheval va doper à la fois la productivité du travail et du capital.
L’arrivée de Mme Meloni à la présidence du Conseil ne bouscule finalement ni en bien ni en mal la donne économique. La récession européenne va toucher l’Italie, les soutiens à la consommation vont limiter les dégâts, les investissements de long terme du plan européen vont relever une croissance potentielle qui en a toujours un grand besoin et est en très retard par rapport à la France ou l’Allemagne. Les lendemains d’élection ont toutes les raisons de poursuivre la tendance sur les marchés. Il n’y a pas grand-chose de changé pour l’Italie. La contre-révolution sociétale peut avoir des effets positifs sur l’orientation conjoncturelle. Ce n’est pas son objet, mais, en tout cas, on ne peut pas prendre au sérieux les avertissements lancés à Bruxelles ou à Francfort par les patronnes de la Commission ou de la BCE. Représentant 14,5 % du PIB de la zone euro, pesant 50 % de celui de l’Allemagne et 70 % de celui de la France, l’Italie n’est pas la Grèce. Sans doute a-t-elle besoin des 209 milliards du plan européen et des achats de sa dette par la BCE. Mais, certainement, l’Europe ne peut réellement imaginer « sanctionner » économiquement l’Italie et est condamnée à la soutenir, ne pouvant prendre un risque qui serait mortifère pour ses propres structures.