Le troisième trimestre a démarré avec une séance boursière marquée par une folie haussière. La moitié des pertes essuyées depuis le 15 août par les grands indices ont été refaites en une seule journée. La violence de la hausse qui a répondu à la violence de séances baissières des dernières semaines est l’illustration de la volatilité des cours des actifs. Le manque de visibilité géopolitique, mais aussi économique, monétaire et financier, se traduit par ces écarts qui ne semblent évidement avoir guère de sens dans une analyse fondamentale qui se situe dans une perspective de moyen voir de long terme. Des facteurs techniques peuvent expliquer cette journée folle, mais elle est le reflet du redressement d’anticipations. Simple rebond ou changement de tendance ? La question est posée, mais le ressort trouvé par les intervenants ou les investisseurs montre aussi un appétit pour les nouvelles positives qui cadre finalement les sursauts.
On aura compris que le mouvement de mardi est largement dû à des facteurs techniques : les actions, les obligations, les véhicules spéculatifs ou les monnaies face au dollar étaient « survendues » et des rachats amplifient beaucoup les hausses dans ces situations. En forte baisse depuis le 15 août, l’ensemble des actifs financiers avait connu une phase de rebond début septembre avant de replonger jusqu’à la fin du mois. La séance de mardi a permis le rattrapage de la moitié des dégâts d’un mois et demi pour les actions européennes et du tiers pour le Dow Jones et pour les marchés spéculatifs du Nasdaq et du bitcoin. Les obligations se sont moins reprises : les taux des emprunts de référence ont rebaissé d’environ un tiers de leur tension entre le 15 août et la fin septembre. En revanche, l’euro a regagné 45 % du terrain perdu face au dollar. Ce sont les marchés de l’argent et du change qui ont le plus reculé dans les séances qui ont suivi. Les hausses de 3 à 5 % mardi laissaient les indices à des niveaux encore bien inférieurs à ceux de la mi-août : de 9 % en Europe, 11 % pour le Dow Jones, 14 % pour le Nasdaq (16 % pour le Bitcoin qui semble évoluer comme le Nasdaq). L’euro était en baisse de 3 % face au dollar et les rendements des emprunts d’État américains et européens s’étaient renchéris de 1 % (100 points de base). Cette journée de mardi a enregistré dans la planète finance la plus forte hausse depuis les séances de semi-panique dans les deux sens des premières semaines de l’épidémie de la Covid. La hausse d’une ampleur véritablement exceptionnelle a touché ce jour-là toutes les classes d’actif.
Les facteurs techniques de la « survente » ne sont pourtant qu’un élément d’amplification. C’est la révision des anticipations des politiques monétaires qui ont amené les investisseurs ou les opérateurs de court terme à aligner les cours sur des scénarios de taux directeurs plus favorables. La dégradation des indicateurs de conjoncture économique s’accélère : les indicateurs avancés de l’industrie manufacturière en zone euro sont à 48,4, au-dessous de la neutralité de 50 et, aux Etats-Unis, ils s’en approchent (50,9, au plus bas depuis la période de la Covid). La stagnation de l’économie américaine met en évidence une érosion de la demande de biens qui peut laisser espérer une réduction de l’inflation. L’évolution négative de la croissance aux Etats-Unis et en Europe a été jouée par les marchés qui y voient une raison de placer dans leurs scénarios un changement de cap assez rapide des banques centrales. Les « mauvaises nouvelles » économiques sont ainsi saluées dans les salles de marché. Le pari est que la Réserve Fédérale va ralentir et, pour finir, différer la remontée de ses taux directeurs en raison d’une inflation qui se réduirait déjà, mais aussi face aux risques de récession dure et de déstabilisation de la finance mondiale. Des taux directeurs maximum en 2023 plus bas de 1 % de ce qui était anticipé la mi-septembre (soit 4,3 % pour la Fed et 2,7 % pour la BCE) justifieraient une hausse des objectifs pour les actions (baisse de multiple) et pour les obligations (baisse des taux).
La Fed et la BCE qui sont condamnées à la suivre vont - elles caler pour écarter les risques ? On peut douter qu’elles le fassent vraiment avant de pouvoir se baser sur des résultats tangibles en matière d’inflation. En réalité, le mix de politique est encore conciliant. Aux Etats-Unis, les dépenses budgétaires limitent la portée de la hausse des taux pour provoquer un net ralentissement conjoncturel. En Europe, le niveau des taux d’intérêt est encore nettement inférieur au taux neutre et constitue un soutien à l’activité (et aux prix) alors que les Budgets et, en particulier ceux des trois grands pays de la zone euro (Allemagne France et Italie) mais aussi au Royaume Uni, poursuivent à leur façon les fuites en avant des « quoi qu’il en coûte ». Des deux côtés de l’Atlantique, l’inflation n’a pas encore tourné et la dynamique conjoncturelle enclenchée est amplifiée par les Etats. Avec des niveaux durablement accrochés au-delà des objectifs des grands argentiers, sans doute est-il excessif d’attendre des politiques monétaires qui renonceraient aux hausses de taux à répétition. Il est encore plus incertain d’attendre des baisses des taux directeurs américains au moins dans les deux ans.
Sans doute la très forte baisse des actifs depuis le début de l’année et depuis le 15 août appelait-elle une correction à la hausse. Beaucoup de mauvaises nouvelles (taux d’intérêt, bénéfices à venir, multiples de valorisation…) étaient dans les cours et un espoir d’amélioration, même à la marge, a logiquement conduit à des achats pour effacer une partie de ce que les investisseurs ont pu considérer comme des excès de pessimisme. Mais à la fois l’ampleur et la rapidité montrent un vrai tropisme des marchés financiers : dès qu’ils trouvent ou croient trouver une raison, ils montent. On a vécu cette semaine une réplique du scénario mi-juillet/mi-août et pour la même raison : l’anticipation de politiques monétaires moins restrictives de la part des Banques Centrales, en particulier de la Réserve Fédérale. On est un peu perplexe à l’analyse. Les taux d’intérêt ont encore du chemin à faire à la hausse, la récession ou une croissance atone annoncent des baisses de profits et, en Europe, le potentiel de croissance s’est nettement réduit. Les multiples boursiers vont rester sous la pression des taux d’intérêt, les bénéfices à venir revus à la baisser sous la pression de la conjoncture et d’une inflation embarquée. Evidemment, la chute des actifs depuis janvier limite les nouvelles baisses, mais les rasions du rebond semblent bien ténues.
Les investisseurs sont prompts à saluer la moindre bonne nouvelle pour eux, avec des effets d’entraînement comme on l’a vu cette semaine. Ce soutien un peu contre les fondamentaux s’explique justement par les situations monétaires. La Fed a commencé à remonter ses taux et, plus timidement, la BCE aussi. Mais elles n’ont pas véritablement engagé une reprise des liquidités injectées depuis mai 2020. Sur la période les bilans cumulés des grandes banques centrales ont doublé. La réserve Fédérale américaine a abaissé le rythme déjà timide de la réduction du sien et la Banque d’Angleterre a remis cette réduction, achetant même à nouveau des actifs. A la BCE ne sujet ne semble même pas sur la table. Les marchés financiers sont toujours dopés aux liquidités. C’est cet excès de liquidité qui explique la force des rebonds ou le maintien de la valeur des bulles financières comme une partie du Nasdaq ou le Bitcoin. Les liquidités sont toujours là : si elles tiennent les valorisations des actifs ou assurent leur repli dans un certain ordre, elles entretiennent l’inflation. Les taux d’intérêt peuvent la freiner et casser la croissance, mais les liquidités jouent en sens inverse. Certes, après la baisse des Bourses depuis le début de l’année de 20 % en moyenne, ce qui a été perdu n’est plus à perdre. Mais l’optimisme un peu à tous crins des investisseurs provoque des rebonds, qui font largement fi des fondamentaux, et n’ont pas pour le moment retourné la tendance baissière.