La publication des rapports économiques des spécialistes du Fonds Monétaire International a mis en évidence cette semaine une détérioration conjoncturelle générale qui fait largement consensus, mais que les agents économiques, les gouvernements et même les marchés financiers se plaisent à évacuer au moment de faire leurs choix. Les économistes de New York sont toujours un peu en retard, mais ils constatent une fois encore le développement d’un cycle de ralentissement. Selon eux les pays qui connaîtront une réduction de leurs produit intérieur dans certaines périodes en 2022 ou 2023 pèsent près du tiers de l’économie mondiale. La hausse des prix de l’énergie, la désorganisation persistante des circuits de production, mais aussi les remontées de taux directeurs des grandes banques centrales ramènent leurs estimations de croissance mondiale 2023 à 2,7 %, contre 2,9 % lors de leur point de juin. Et de nouvelles révisions à la baisse sont à prévoir. En revanche, ils estiment que la gestion monétaire va rester moins efficace pour réduire l’inflation et recommandent une poursuite du durcissement de la part des Banques Centrales. Enfin, ils mentionnent, sans donner de conseils, les grands risques induits : fragilisation de nombreux pays émergents (hausse du dollar et des taux), pression sur le système financier. Les constats du moment donnent un ton plutôt différent de cette analyse prospective. Le tournant conjoncturel est bien là, mais les dégâts apparaissent pour le moment limités dans les pays développés. Ce n’est un paradoxe que pour une part ; l’effet retard des hausses de taux directeurs joue à plein. Cependant, les marchés du travail ne faiblissent pas, la consommation tient et, en effet, l’inflation de faiblit pas. Un facteur de soutien supplémentaire reste très présent et limite la portée des actions des banques centrales : les budgets publics et leurs déficits. Doit-on attendre un alignement pour un mix de politique monnaie-budget qui aille dans le même sens et, en réalité, combatte à tout prix l’inflation ?
On commence à avoir une idée des budgets 2023 et même des ambitions pour les années qui suivront. Aux Etats-Unis, les intentions de « responsabilité fiscale » martelées par le président Biden lors de la présentation du cadrage du Budget 2023 sont oubliées. Les arbitrages sont faits au profit de ses deux autres priorités du discours : la sûreté et la sécurité ; les investissements nécessaires pour construire « une meilleure Amérique ». En année électorale, les élus démocrates ont bien des raisons pour compléter les dépenses avec diverses subventions du type « bouclier d’inflation » qui peuvent sembler plus urgentes que les demandes de nouvelles dépenses sociales pérennes. En face, les hausses d’impôts annoncées vis-à-vis des hauts revenus, des grandes fortunes ou même du taux de l’impôt sur les sociétés semblent avoir été mentionnées pour la forme, les majorités du Congrès les rendant pratiquement impossibles. L’économie de guerre et le soutien à l’investissement complètent les subventions (ainsi que le renchérissement du service de la dette) pour maintenir le déficit et même l’augmenter après le reflux de 2022, conséquence alors du boom post-covid. Au total on reste proche de 7 % du PIB. S’ajoute le fameux plan de « l’Inflation Réduction Act » adopté à l’arraché au Sénat en août pour 430 milliards de dollars et pas mal d’autres investissements aidés. L’acte dit de réduction de l’inflation va coûter 1,9 % du PIB seront dépensés sur 5 ans, peut-être financés en partie par un impôt minimum sur les sociétés. Le sujet à court terme n’est pas la pertinence de la démarche (trajectoires climatique et technologique, correction des inégalités du système de santé). Au total un déficit budgétaire de 7,5 % du PIB (et possiblement un peu plus en cas de récession dure) va rester un gros soutien à l’emploi, à l’activité … et à l’inflation.
Du côté européen, l’Allemagne a frappé fort. Le chancelier Scholz a annoncé dans la dernière semaine de septembre un bouclier tarifaire de 200 milliards d’euros. Le tournant budgétaire du pays chantre des équilibres au sein de l’Union Européenne est un véritable bouleversement de doctrine. Handicapée sur le front des deux grands atouts de son économie - le gaz russe livré sans compter à prix réduit et les exportations de la mondialisation - l’Allemagne est en réalité condamnée aux dépenses massives. Le dispositif est soumis pour la forme à la Commission européenne : le donneur de leçons bon élève sera évidemment adoubé. Le plan annoncé est puissant, mais aussi adapté à cette conjoncture bien contraire pour les Allemands. A l’inverse de la France qui cherche toujours à « cibler » pour encore transférer des masses financières en redistribuant à certains agents économiques au détriment des créateurs de valeur, l’Allemagne veut aider tous, entreprises et ménages, en respectant les poids dans l’économie pour qu’elle tienne et se relance. Le bouclier ne sert que la conjoncture et les agents économiques allemands, s’interdisant de poursuivre d’autres objectif comme une correction des équilibres internes. L’État va régler les factures d’énergie du mois de décembre des ménages, des PME et des ETI. De mars 2023 à mai 2024, l’État va garantir aux ménages des tarifs « normalisés » pour 80 % de leur consommation et les industriels en bénéficieront à hauteur de 70 % de janvier 2023 à mai 2024. Les finances publiques vont ainsi protéger la consommation et la production industrielle tout en incitant à la modération de façon plutôt intelligente. Au-delà de cette intelligence des aides publiques, le pays abandonne le fameux « frein à la dette » et oublie les excédents budgétaires des années 2014 à 2019. Avec en sus un programme militaire qui se dit hors Budget, la république fédérale va investir en déficit plus de 7 % de son PIB
La France ne semble plus prendre au sérieux les règles de déficit et de dette de l’Union Européenne. Depuis 2009, elle a été trois fois seulement dans les clous des 3 % du PIB pour le déficit. Le Budget 2023 ne cherche pas à l’imaginer : selon les termes du ministre de l’Economie, le gouvernement veut « placer les Français sous sa protection ». Ce Budget est un nouvel épisode de la fuite en avant des « quoi qu’il en coûte ». La relance de la consommation et l’investissement ne semblent pas une vraie priorité et le fameux « ciblage redistributif » des aides à la françaises peut conduire à un bouclier énergétique inadapté, car hors sujet dans ses modalités et même certaines de ses intentions. Pour autant, la gestion à vue permet d’attendre des dispositifs qui s’adapteraient aux évolutions de conjoncture et seraient plus efficaces. On retiendra en tout état de cause le déficit programmé à 5 % du PIB, qui est l’objectif de stabilisation pour les 5 ans à venir. Il est basé pour 2023 sur des projections conjoncturelles supérieures aux estimations des économistes et un service de la dette qui devra être réévalué. Les soutiens du plan de relance pour l’Europe NextGenerationUE de 750 milliards (au total) s’ajoutent déjà pour engager une aide publique passant à plus de 7,5% du PIB. L’Italie est en meilleure posture que la France en matière budgétaire (excédent hors charge de la dette jusqu’en 2019) et en moins bonne pour ce qui concerne la dette. Après un déficit de 5,1 % du PIB cette année, le gouvernement Draghi visait moins de 3,5 % l’année prochaine. On n’y sera pas ne serait-ce qu’en raison de la révision en baisse de la croissance et de la hausse des taux d’intérêt. La président du Conseil Giorgia Meloni a plus de marge que les Français pour soutenir l’économie. Le programme de son gouvernement s’inscrit bien dans la norme des deux autres grands pays de l’UE : déficit ajouté au plan de relance européen (pour l’Italie 209 milliards d’euros sur trois ans) européen pèseront plus de 8 % du PIB. Le cas du Royaume Uni est plus tendu en raison d’une certaine brutalité du programme de Mme Truss, de la contrainte qui a été exercée sur la Banque d’Angleterre pour sauvegarder des équilibres au système financier et d’une incertitude politique persistante. Sans pousser l’analyse de cette situation complexe, avec en vue, une récession (baisse du PIB), des hausses de taux (donc de la charge de la dette), une dévaluation et des révisions du projet de loi de Finance, l’effort budgétaire (sans les fonds européens bien sûr) pourrait dépasser 8 %.
Au total, en face des hausses des taux directeurs, la liquidité est maintenue (achats au bilan des banques centrales) et les budgets publics apparaissent plus mobilisés que jamais. Les Etats vont devoir se financer à des taux plus élevés, mais s’ils le font à un rendement inférieur à la croissance nominale de moyen terme (et pour une grande part auprès de leur propre banque centrale), ce n’est pas pénalisant. Aujourd’hui, l’inflation relativise le coût. Les banques centrales sont surtout condamnées à financer les politiques de soutien aux économies des Etats. Le cas de la Banque d’Angleterre qui a acheté pour 18 milliards de livres sterling d’obligations d’État en trois semaines (pas loin de 0,9 % du PIB) est extrême, mais montre que la stratégie monétaire est forcément divergente entre les hausses de taux directeurs qui veulent ralentir l’économie et l’inflation, et les injections monétaires pour financer les Etats. Les grands argentiers, et surtout la Réserve Fédérale, sont entrées en retard dans la lutte contre la dérive des prix. Les Etats le sont encore plus et poursuivent leurs stratégies inverses. L’inflation semble le bon pari au-delà des aléas du cycle.