Le livre de la rentrée, ce sont « Les liens artificiels » signé Nathan Devers. Ce roman, éliminé en demi-finale du prix Goncourt est aussi une espèce de conte. L’observation des résultats trimestriels des géants de la Bourse américaine et celle des cours de Bourse donnent au roman une dimension qui était peut-être inattendue et certainement pas recherchée par l’auteur. D’une certaine façon, le lecteur se trouve face à un diagnostic d’analyste financier. Le gisement d’actifs sous revue ? Les acteurs ou supports de l’économie du virtuel qui comptent parmi les vedettes financières de la dernière décennie.
« Les liens artificiels » décrivent un personnage qui tourne en rond dans le virtuel plus que dans le réel, dans une spirale destructrice. Quel est le bilan boursier des plus grosses capitalisations depuis un an ? Dans un marché américain qui a perdu 22 % depuis le 1er janvier, mesuré par l’indice S&P 500, les fameuses sociétés de croissance, les Gafam devenues Magma (pour Microsoft, Apple, Google-Alphabet, Meta (ex Facebook) et Amazon) ont constitué la première vague tombée sous les feux de la baisse. Tous sont touchés. Microsoft a perdu 36 % depuis le début de l’année Apple affiche -22 %, Google devenu Alphabet -42%, Meta (ex Facebook) -74 %, Amazon -46 %.
Tous sont bien touchés par le marché baissier. Mais tous ne sont pas tombés ou en tout cas pas tombés dans les mêmes proportions. Le changement de donne monétaire et l’inflation installée, qui s’est renforcée avec de l’inflation importée du fait des blocus sur les énergies russes, a finalement commencé à faire éclater une partie des bulles spéculatives : les actifs de la sphère réelle ont mieux résisté que ceux du virtuel. En relatif, ils sont un peu les gagnants de l’année.
Après les années d’argent quasi gratuit et en tout cas distribué sans limites à taux réels très largement négatifs, le classement des sociétés les mieux valorisées montre ce début de retour d’un peu de cohérence entre les cours des actifs et les fondamentaux. Dans le quarté des sociétés les plus chères du monde (plus de 1 000 milliards de dollars de capitalisation) on trouve des Magma malgré leur baisse de l’année : Apple (2 400 milliards de dollars) est bien la première compagnie mondiale, mais c’est un fournisseur d’appareils technologiques ce qui est un métier plutôt classique et en tout cas dans le réel; Microsoft (1 700 milliards de dollars) est au troisième rang :la vente de logiciels est une activité tangible et ses applications dans le cloud ressortent du réel ; Alphabet (ex Google, 1 200 millards), le quatrième, présente un modèle économique plutôt classique de média gratuit financé par la publicité. Amazon, est au cinquième rang de ces géants mondiaux, juste au-dessous de 1 000 milliards, ce qui est un ajustement assez sévère. C’est finalement un commerçant de VPC au profil classique. Dans le Top 10, le club des plus de 450 milliards de dollars de capitalisation, on relève ce retour de la réalité : deux pétroliers (Saudi Aramco qui est le numéro deux du classement à près 2 000 milliards et Exxon Mobil), deux pharmaceutiques (Johnson & Johnson et United Health), un constructeur automobile (Tesla) et un fonds d’investissement diversifié mais qui exclut le virtuel dans son portefeuille (Berkshire Hathaway).
Le « diagnostic Devers » de la prééminence du réel se manifeste en Bourse qui, de fait, prend ainsi en compte les performances économiques des entreprises et leurs perspectives de bénéfices et de dividendes. Dans ce Top 10 qui regroupe des métiers finalement classiques, même effectués avec des technologies nouvelles, on ne trouve plus les géants d’hier ; Netflix (passé au 99 ème rang), Alibaba (58 ème), le taïwanais TSMC (21 ème). Le plus symbolique est la disgrâce de Meta, l’ancien Facebook qui avait tout misé sur le monde virtuel jusqu’à changer de nom. Au début de l’année, Meta était la 7ème société dans ce classement mondial et la chute de son cours l’a ramené au 33ème rang.
Les déchets sont sévères, mais les bulles de spéculation n’ont pas complètement éclaté. Le moment est davantage celui du retour à un peu de réalité que celui d’une correction permettant de construire des équilibres pérennes. Au sein du Top 10 des géants mondiaux, sept présentent des multiples (PER) supérieurs à 20 fois, allant jusqu’à 70 pour Tesla et 98 pour Amazon. Les trois « raisonnables » sont les deux pétrolières Saudi Aramco et Exxon Mobil (13 et 9 fois) ainsi que Alphabet (ex Google) revenu à 18 fois après la chute depuis janvier. Ces ratios semblent au total encore excessifs au vu des perspectives de taux d’intérêt et de croissance économique 2023 et peut-être même 2024. Les réactions boursières haussières notées depuis plusieurs mois à de simples scénarios positifs, en particulier un retournement plus rapide que prévu des hausses des taux directeurs américains, sont très vives et très puissantes. Comme les multiples encore élevés, elles montrent que la source des hausses et des bulles est loin d’être tarie. La Fed monte ses taux mais ne reprend pas les liquidités qui ont arrosé les marchés financiers depuis trois ans. La BCE évidement ne peut être plus restrictive. Les liquidités surabondantes sont toujours le dopant qui limite ce retour au réel face aux excès du virtuel. Ainsi, la capitalisation des cryptomonnaies s’est stabilisée un peu au-dessus de 1.000 milliards de dollars. Dans cette classe d’actif, il y a évidemment de vraies cryptomonnaies basées sur des monnaies réelles en bénéficiant de la technologie de la blockchain. Mais les seules bitcoin et ethereum ont une contrevaleur de 590 milliards de dollars. C’est le tiers du niveau d’il y a un an, mais ces purs cryptoactifs (qui ne sont évidemment pas des monnaies) ont été pu être stabilisés en dollars depuis le début de l’été. La bulle a été maitrisée et n’a pas éclaté. Les marchés financiers n’ont pas été sevrés des liquidités et la primauté du réel est encore relative. La montée en puissance dans les débats monétaires des partisans d’un retour au laxisme sans attendre des résultats tangibles pour l’inflation « cœur » montre que le dopant peut se prolonger.