Les élections américaines de la mi-mandat constituent un rendez-vous politique qui, de fait, donne le rythme du gouvernement américain. Les deux premières années de mandat des présidents s’appuient généralement sur une majorité au Congrès. Son élection et la faveur qu’elle apporte lui donnent les marges pour des initiatives, le soutien parlementaire lui donne les moyens de les mener à bien. Ainsi, deux ans de projets accélérés sont sanctionnés par les électeurs qui renouvellent, outre des exécutifs locaux, la totalité des députés et le tiers des sénateurs. La figure classique est qu’au moins une des deux chambres tombe du côté de l’opposition au président, avec deux conséquences : l’activisme des deux premières années de mandat et une consolidation plus qu’un demi-tour dans les deux suivantes.
Les deux années Biden ont été marquées par la sortie du Covid, avec une politique vaccinale particulièrement bien gérée en amont par son prédécesseur ainsi que par la guerre d’Ukraine. Les deux facteurs exogènes ont un peu joué dans le même sens : en premier lieu flambée de l’économie réouverte et subventionnée d’une part et croissance de l’économie de guerre de l’autre ; en second lieu et en conséquence, inflation d’une crise de l’offre, renforcée par la hausse des prix de l’énergie.L’administration présidentielle n’a pas seulement géré ces cycles si atypiques. Après la violence de la campagne qui l’avait opposé à Donald Trump, M. Biden se devait de sortir de sa posture de modéré qui avait en quelque sorte été la base de sa politique pendant ses 36 ans au Sénat. Les premiers pas se sont voulus spectaculaires sur le plan climatique. Le retour dans l’accord de Paris est bien sûr plus symbolique qu’autre chose, mais a donné une direction, confirmée par des limites aux forages ou de construction d’oléoducs. Cependant, au bilan, il n’y a pas vraiment de changement de la politique américaine en la matière, les paroles ayant, une fois encore, pris le pas sur les actes. L’administration Biden a plus encore renoncé à des ambitions en matière d’éducation et, après des allers et retours, a confirmé la politique migratoire de M. Trump, maintenant même le chiffre de ses quotas.
La gestion économique a exigé des choix plus tranchés. On retiendra des années 2021 et 2022 aux Etats-Unis les plans à répétition des dépenses publiques. Le « plan de relance » de mars 2021 a été une réplique des « quoi qu’il en coûte » européens et s’est placé dans la lignée du Cares Act de l’administration Trump du printemps 2020. 2.200 milliards de dollars (pratiquement 10 % du PIB) ont été débloqués. Un an après un plan « de relance » a porté sur des montants équivalents (1.900 milliards) avec un volet social plus développé. Le plan d’investissement adopté, l’été 2022 a été l’occasion de tirer les dernières cartouches de la majorité dans les deux chambres avec le plan dit de réduction de l’inflation dont les priorités ont été le prix des médicaments et le soutien à la production d’énergie fossile et, surtout, de transition. Les deux plans adoptés cet été forment un tout et comprennent des augmentations d’impôt permettant de financer une partie des dépenses. Sur la fiscalité, les ambitions sont tangibles avec un taux minimum d’imposition des entreprises et un relèvement (plutôt timide) du taux de droit commun et, enfin une taxation des rachats d’actions.
Le résultat des Midterms qui se dessine – reconduction ou renforcement de la majorité démocrate au Sénat, majorité républicaine de justesse à la Chambre des Représentants- est un scénario qui aurait de quoi satisfaire les marchés financiers. Il serait en effet le gage d’une stabilisation des choses, ce qui est toujours apprécié des investisseurs. C’est en particulier l’impossibilité de faire passer des réformes fiscales importantes qui rassurerait. Une aggravation pousserait à anticiper des hausses de taux d’intérêt, du change et une pression à la baisse sur les actions. Cela posé, une courte majorité démocrate à la Chambre des Représentants conduirait aussi à limiter les hausses d’impôts. Ce ne serait pas le moment de prolonger l’aggravation de la pression fiscale même infléchie : l’inflation reste à des niveaux très élevés, en particulier l’inflation « cœur » puisque l’effet de base des cours de l’énergie joue à la baisse pour la statistique globale. Les 6,3 % affichés en octobre pour la donnée « cœur » ont été salués à Wall Street. Il ne s’agit cependant que d’une petite érosion et cette tendance timide annonce une réduction très progressive de l’inflation, qui a dépendre d’une baisse de la demande qui s’accélérerait, donc du passage d’une croissance zéro ou d’une faible contraction à une réelle récession.
On est loin d’en être là en raison des plans de soutiens budgétaires, mais, aussi d’une réelle dynamique des agents économiques. En témoigne par exemple l’emploi : le taux de chômage est légèrement remonté, mais se situe encore à 3,7 % de la population active, dans ses plus bas niveaux des 60 dernières années. Sur ce plan, le bilan géopolitique de M. Biden est un soutien à la fois conjoncturel et durable. L’économie américaine est déjà la gagnante de la guerre d’Ukraine : elle bénéficie des dépenses militaires et de la nouvelle donne énergétique. La guerre est menée par l’argent américain, par ses stratèges et sa technologie dirigeant les opérations de soldats ukrainiens sur le terrain. Cette économie de guerre porte mécaniquement la croissance. La donne énergétique est un soutien global puisque les Etats-Unis sont exportateurs nets et que leur industrie, en particulier pour les gaz et pétroles de schiste, engrange des profits dans une conjoncture de prix qui va être durable.
Les Etats-Unis se présentent avec une politique qui est un peu bloquée sur les acquis des deux dernières années. La donne politique ne va pas dans le sens de l’imposition d’un processus de paix à négocier avec la Russie, qui reste cependant dans le programme des uns et des autres avec un calendrier plutôt flou : ce n’est pas quand son armée avance et que son économie bénéficie du conflit qu’on est incité à accélérer. Sur le plan économique, les déséquilibres se creusent avec les budgets publics et sont par nature inflationnistes. La responsabilité de la Réserve Fédérale est elle aussi renforcée dans la donne nouvelle et les anticipations de hausses de taux sont maintenues et pourraient sans doute être relevées. Le dernier aspect du scrutin de la semaine dernière, aux dépouillements qui paraissent incroyablement longs vu de chez nous, c’est la chute de popularité de Donald Trump. Le parti Républicain inaugure une ère de « trumpisme sans Trump » qui ouvre le jeu de la présidentielle de 2024 dans une Amérique qui, aujourd’hui, apparaît plus fracturée que jamais.