L’année 2022 a été celle d’un krach obligataire. En cause, l’inflation qui s’était développée l’année dernière sur fond de rebond conjoncturel post Covid aigu et porté par des déficits budgétaires records. La guerre d’Ukraine l’a amplifiée très sérieusement, avec les effets du blocus occidental sur les exportations russes, pour les prix de l’énergie d’abord, et, aussi pour l’ensemble des matières premières. La conjoncture de crise de l’offre et de désorganisation des circuits de distribution a installé une inflation de type classique, niée trop longtemps par la Réserve Fédérale américaine et la Banque Centrale Européenne qui la suit. La violence de la réaction sur les taux directeurs américains et, même allégée mais bien réelle sur les européens, s’est répercutée sur les taux longs. La photographie en fin d’année est une conséquence : les investisseurs en obligations anticipent une récession américaine, marquée par des rendements à moyen et long terme inférieurs aux taux courts. Le krach obligataire a été consolidé. Sur le front des matières premières, la constatation est un reflux et, en particulier, les cours du pétrole sont revenus (en dollars) au niveau qui était le leur en début d’année avant l’invasion russe. En revanche, l’Europe doit payer le prix fort du blocus avec un triplement des prix du gaz naturel qu’elle importe. Les prix à la pompe sont revenus à ce qu’ils étaient aux Etats-Unis en janvier, mais le gaz payé par les agents économiques européens est une taxe plutôt violente. Hormis ce cas particulier de la facture d’électricité de ce côté de l’Atlantique, les facteurs de réduction de l’inflation sont enclenchés. Cependant, la vigueur des marchés de l’emploi est à l’inverse un élément inflationniste : les salaires doivent s’adapter et, plus globalement, doivent le faire pour éviter une récession dure, conséquence des pertes de pouvoir d’achat après les hausses de prix de cette année.
Dans ce contexte bouleversé, mais d’une certaine façon un peu stabilisé, les Bourses présentent un bilan plutôt rassurant. Sur un an, l’indice Dow Jones perd seulement 4,3 %, l’Eurostoxx 50 4,5 %, le Nikkei 225 moins de 1 %, la baisse du CAC 40 est limité à 3,7 %. Cela posé, ces performances des grands indices cachent des disparités fortes et, en particulier la correction des valeurs dites de croissance des compartiments technologiques et des industrielles. Le Nasdaq a rendu 27% et le SP 500 paie sa forte exposition aux géants des Gafam, affichant -14 % Le Dax qui n’a pas les moteurs du CAC 40 que sont Total, Sanofi, Renault et l’industrie d’armement a perdu plus de 7 %. Le tri a été fait avec violence. En sus de la techno, au-delà des industrielles ou des bancaires, le segment des valeurs moyennes est une illustration de la sélectivité des gestions. Les indices de la catégorie multiplient par deux ou trois la chute des grands indices et, surtout, ces actions sont affectées par une liquidité très fortement réduite. Les cours tiennent par manque de volume avec un soutien plutôt organisé des gestions spécialisées.
La convergence des grands indices sur une baisse limitée cette année entre 5 et 15 % peut paraître paradoxale pour au moins deux aspects. En premier lieu en rasions de la résistance face au krach obligataire. Les marchés de taux ont pris en compte le changement de conjoncture, mais les actions, toujours portées par la liquidité et qui demande moins de profondeur pour elles, sont loin de l’avoir fait. Sur des bases de comparaison historiques, elles sont surévaluées par rapport aux obligations de 25 à 30 %. Le second aspect tient aux perspectives conjoncturelles. Les marchés de taux anticipent une récession américaine et, en Europe, on semble ne devoir y échapper qu’au prix d’une modération de la politique monétaire de la BCE, qui, ainsi, accepterait une inflation durable. Pour ce qui concerne les Etats-Unis, le léger rebond d’activité des dernières semaines est largement dû au-contre choc énergétique qui apparaît largement consommé. Dans l’équation pour les entreprises, s’ajoute une réduction des marges bénéficiaires qui semble inéluctable après les records du cycle de croissance, les dépenses publiques de la période Covid ayant pris le relais pour arriver à des records historiques. Les hausses de prix sont bien passées, mais la productivité va être coiffée.
Les analystes financiers avaient été excessivement pessimistes pour les bénéfices 2022 qui ressortent au-dessus des scénarios du début de l’été. Pour 2023, les estimations de hausse des bénéfices de l’ordre de 3 % pour le Stoxx 600 (après +18 % cette année) et de 4 % (contre +7%) pour la S&P 600 sont en phase avec les projections des économistes ou la situation des taux, mais en retrait par rapport aux données des entreprises elles-mêmes qui ont surpris positivement lors des publications trimestrielles ou semestrielles. Sur ces bases, les actions sont-elles chères, à leur prix ou à prix cassé ? Sans évidement trancher, on observe que les hypothèses au total optimistes pour les profits attendus sont plutôt correctement prises en compte dans les cours de Bourse. Les bénéfices estimés pour 2023 sont capitalisés autour de 12 fois en Europe, et au Japon, 13,5 fois dans les zones émergentes. Les grandes valeurs américaines (S&P 500) sont autour de 18 fois ; le Nasdaq à 23 fois. La hiérarchie est largement justifiée par la conjoncture d’après-guerre pour les années 2024 et suivantes, nettement plus porteuse pour le pays d’ores et déjà gagnant du conflit. Ces ratios sont raisonnables sur des bases historiques et le rebond des dernières semaines peut apparaître un peu comme un retour à la réalité. Dans la moyenne – et même au-dessous dans certains cas – ces PE veulent exclure la profondeur du ralentissement ou de la récession, la persistance d’une inflation à un niveau pas vraiment ciblé, et, surtout les pressions sur les marges bénéficiaires. Ce dernier point risque le premier grand sujet de 2023. Le second sera la réaction des agents économiques en général et, surtout, des investisseurs face à une reconstitution au moins partielle des taux réels qui se situent toujours à un niveau négatif record sur longue période (cf. le graphique établi par Riches Flores Research). Il y a du chemin à faire pour retrouver une certaine orthodoxie financière.