Au pointage des performances boursières internationales 2022, la baisse des grands indices est assez semblable autour de 10 %. Un peu moins pour le Dow Jones (-8,8%) et pour le CAC 40 (-9,5%); un peu plus pour le DAX(- 12,4%), le MIB italien (-13,3 %) ou l’AEX néerlandais (-13,7%); sensiblement plus pour le SMI suisse (-16,7%), sensiblement moins pour le FT 100 de Londres (+0,9 %) Les variations de change font la différence, les actions américaines affichant après leur prise en compte un écart positif de 6 % avec le CAC 40 ou de 9 % avec le Dax, alors que les suisses terminent sur une baisse comparable avec les actions françaises. La composition des indices et le poids des matières premières, des financières et de la consommation joue, mais la tendance est là. Cependant, parmi les grandes places, il y en a une qui se situe dans la moyenne de - 9,4 %, mais qui double presque sa perte si on la comptabilise en euros : le Nikkei de Tokyo. Au-delà de l’évolution brute en yen, les actions japonaises ne se sont pas comportées comme les comparables. La monnaie a perdu 10 % en un an face à l’euro, 14 % par rapport au dollar. La voie spécifique qu’ont tracée les données de la finance nippone reflète un parcours qui l’est aussi. Les secousses politiques - avec la grande mesure des pratiques du pays – se sont développées pour le premier ministre Fumio Kishida, élu à ce poste en octobre 2021 et qui a dû faire face aux retombées de l’assassinat de son prédécesseur Shinzo Abe en juillet dernier. La sortie de crise Covid a par ailleurs un goût particulier au Japon en raison des fermetures chinoises. La conjoncture d’inflation et de taux d’intérêt a aussi suivi une direction différente de celle des autres pays d l’OCDE. Les perspectives de croissance sont enfin une résultante de ces caractéristiques spécifiques.
Le yen a connu un décrochage dans les trois premiers trimestres de 2020. Face au dollar, la baisse de janvier à octobre a atteint 23 %. La baisse de la devise américaine au dernier trimestre a ramené la chute au niveau de 14 % qui reste exceptionnel pour le marché des changes entre monnaies de cette taille. Ce n’est pas la déperdition de la valeur de la monnaie du fait de l’inflation qui a provoqué la cassure, au contraire sur certains plans. 2,5 % d’inflation au Japon se comparent avec une moyenne mondiale de 4,7 %, avec pratiquement 7% pour les pays de l’OCDE, 8 % aux Etats-Unis et 8,5 % en Europe. Même comparé à la France qui a transféré une part de l’inflation aux Budgets publics pour se limiter au-dessous 6 %, le Japon, est resté le champion de la sagesse des prix. Les fondamentaux déflationnistes d’une économie pourtant massivement importatrice de matières premières ont encore joué. Résultat, la Banque du Japon ne s’est pas embarquée dans les politiques monétaires restrictive dictées par la Réserve Fédérale américaine. La BoJ n’a pas relevé ses taux directeurs en 2022, au contraire. Elle estime que si l’inflation brute a dépassé le seuil de 2 %, l’inflation sous-jacente est encore bien inférieure à ses objectifs. Cette position, réitérée la semaine dernière n’offre pas un rendement qui soit à l’avantage du yen. L’objectif des rendements à court terme reste fixé à -0,1 % et celui des emprunts à 10 ans à 0 %. La position a été potentiellement un peu durcie fin décembre avec l’élargissement à 0,50 % de la fourchette des taux longs de part et d’autre de cet objectif de 0 %. Les 0,50 % ont été touchés et même ponctuellement franchis depuis le début de l’année, mais on reste loin des 2,10 % du Bund allemand, des 2,60 % de l’OAT française, a fortiori des 3,5 % des T-bonds américain. La succession de Haruhiko Kuroda à la tête de la banque centrale en avril pourrait être l’occasion de suivre – avec modération – la hausse mondiale des taux d’intérêt. C’est en tout cas ce que semble souhaiter le Fonds Monétaire International qui a invité cette semaine la BoJ à « se monter prête » à relever ses taux directeurs et laisser les rendements longs remonter si les « risques significatifs » de hausse de l’inflation devaient se matérialiser. On appréciera le conditionnel. Rien de brutal n’est en tout état de cause à imaginer et le taux d’épargne permet le financement national de l’État, indépendamment - ou presque – du niveau des taux réels : 60 % de la dette est portée par la BoJ et le tiers par les ménages. Mais cette dette pèse tout de même désormais plus de 2,6 fois le produit intérieur brut.
L’année 2022 a donné lieu à des bouleversements politiques. Des bouleversements à la mode très stable japonaise : depuis 1948, le Parti Libéral et Démocrate a été privé du pouvoir 6 ans seulement, dans les années 1990 et 2000. Le gouvernement actuel de Fumio Kishida est dans la ligne : la famille du Premier ministre appartient depuis plusieurs générations à la classe politique dirigeante. Nommé en octobre 2022, il a prolongé dans sa première année de mandat l’action du gouvernement précédent qui avait, de fait, renoncé à une part des ambitions de réformes de Shinzo Abe (les Abenomics). L’assassinat de ce dernier le 8 juillet dernier a entraîné un sérieux jeu de chaises musicales dans les instances gouvernementales, pour couper une partie des liens du parti Libéral-démocrate avec la secte Moon. Mais, sur le fond, la politique est restée inchangée, même si les programmes nucléaires ont été relancés et amplifiés, les investissements publics de compétitivité majorés ou que les dépenses militaires remontées en concertation avec les Etats-Unis. Même dans cette année heurtée sur le plan politique (nouveau gouvernement, assassinat de M. Abe, conséquences diverses de la guerre d’Ukraine y compris en Aise) la stabilité est restée la règle. La bonne résistance au Covid a soutenu cette permanence. La fermeture des frontières, les gestes barrières qui étaient déjà la règle, et le civisme de la population, ont contenu l’épidémie pour les premières vagues davantage que dans des pays comparables et la vaccination de masse a permis de maintenir l’avantage.
Plutôt résistant en 2020 aux conséquences de la crise sanitaire sur l’économie mondiale (davantage perceptibles que celles sur sa propre économie), le Japon n’a pas été un grand bénéficiaire du boom post-covid. La baisse du produit intérieur brut de 4,8 % en 2020 était supérieure à la moyenne mondiale (3,5%) et au recul américain (2,8%) mais moindre que les 6,8 % dans l’Union Européenne. La Japon avait déjà reculé (0,2%) en 2019. Le pays, soutenu depuis des années par les dépenses budgétaires et par une politique monétaire ultra accommodante n’a pas connu la révolution des « quoi qu’il en coûte » américain ou européens. Il était déjà sous assistance. La croissance 2021 s’était ainsi retrouvée dans la norme (2,1 % et une inflation légèrement négative). L’année dernière, l’inflexion mondiale (expansion ramenée à 2,5 % dans les pays de l’OCDE) confirme le retard japonais bien installé depuis des décennies et, en l’espèce, amplifié par le coût des imports et les blocages chinois. Cette année et l’année prochaine, le pays renoue avec la conjoncture qui est peu ou prou la sienne depuis 30 ans : croissance molle (0,5 % en moyenne en 20023 et 2024) et inflation limitée (un peu plus de 3% pour 2023, moins de 1,5 % en 2024). Il y a « des pays d’avenir, et qui vont le rester ». Le Japon est un pays riche et prospère qui va le rester, mais sans faire mieux. Sa population en a-t-elle le besoin ? Derrière la stabilité politique, il y a en tout cas une certaine satisfaction et une cohésion autour d’un patriotisme économique. Les fondamentaux de l’économie comprennent le chômage qui ressort à 2,5 %. Ce plein emploi record va soutenir la consommation sans risque sur les salaires. Les investissements de compétitivité dans les domaines technologiques vont favoriser les industries et l’export. Mais, en sens inverse, la profonde mutation de l’industrie automobile pèse sur le premier constructeur mondial, en passe d’être passé par le voisin chinois.
Vu des marchés financiers, cette stabilité générale peut ressembler à de l’immobilisme. L’investissement n’est en tout état de cause pas très tentant. Les taux d’intérêt vont rester bas, mais progresser sans doute un peu, jusqu’à 1 % peut-être d’ici à la fin de l’année pour le 10 ans. Se payant environ 12 fois l’estimation des bénéfices 2023, les actions ne sont pas chères, mais la croissance va être faible et les actions exportatrices sont dans un cycle moyennement favorable. On a un peu le sentiment que, si on n’est pas japonais et soucieux d’investissements « patriotiques », il n’y a pas beaucoup à espérer des placements au Japon. Pas beaucoup à perdre non plus il est vrai. Cela posé, les surprises, quand il y en aura, ne peuvent, peut-être, que se révéler positives.