Il faut maintenant s’y faire : les Cassandres de la macroéconomie se sont trompés. Le consensus s’était formé depuis l’invasion de l’Ukraine, puis au fur et à mesure des mesures de blocus prises par la coalition formée autour des Etats-Unis : une récession était à attendre à la fin 2022 et au début de 2023. La récession américaine et celle en Allemagne n’ont pas été au rendez-vous qui avait été fixé au quatrième trimestre 2022 ou au premier de 2023. Les tensions sur les chaînes d’approvisionnement post-covid, les conséquences des blocages en Chine et, bien sûr, la donne nouvelle pour les matières premières justifiaient ces scénarios. Les politiques monétaires devant se durcir face à une inflation que les banques centrales ne pouvaient plus qualifier de « transitoire » avaient renforcé les prévisions de contraction de l’activité. Au rendez-vous des bilans 2022, on est loin d’en être là. Le Fonds Monétaire International estime désormais la croissance mondiale 2022 à 3,4 %, 2,7% pour les pays avancés, 3,9 % pour les émergents. Les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon à qui étaient promis les pires scores affichent tous des croissances (respectivement de 2 %, 1,9 % et 1,4%). En Europe, les pays les plus atypiques comme l’Italie (+3,9%), le Royaume Uni (+4,1%) et l’Espagne (+5,2%) affichent plus que de la résistance : ils prolongent le rebond qui a suivi les mesures de soutien pendant l’épidémie. Même la Chine des blocages et la Russie des blocus limitent la casse : croissance de 3 % et récession limitée à 2,2 %.
Cette récession n’est pas repoussée dans les projections des économistes. Elle serait évitée. Certes les 0,1 % pour l’année en Allemagne ou les -0,6 % eu Royaume Uni des chiffres du FMI laissent une place à deux trimestres successifs de récession. Mais les experts de New York ont relevé de 2,7 % à 2,9 % leur projection de croissance mondiale avec + 1,2 % pour les pays développés et 4 % pour les émergents, tirés par un score estimé de 5,3 % en Chine.Evidemment, il fait se méfier des études, même quand elles sont révisées à la lecture des réalités. La psychologie des agents économiques est bonne, en tout cas aux Etats-Unis et en Europe. La dynamique qui a été lancée par les efforts publics pendant et à la sortie de l’épidémie s’auto-entretient. Les grandes banques centrales ont relevé leurs taux directeurs depuis un an, mais derrière ce retour à une certaine réalité monétaire (avec des taux réels encore faibles nuls ou négatifs toutefois), les Etats sont toujours là en soutien à l’activité. Il n’y a pas de rappel à la réalité budgétaire.
La dynamique confirme la spirale positive. Cela posé, la composante de cette conjoncture toujours porteuse met en évidence une disparité derrière des données composites plus que correctes : les données préliminaires des indicateurs avancés (directeurs d’achat) du mois de février vont dans le même sens des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, le secteur manufacturier continue de se contracter, avec toutefois un léger frémissement (47,8 contre 46,9). On enregistre un réel rebond du côté des services. L’indicateur pour les services est passé d’une zone négative en janvier (46,8 au-dessous de la neutralité de 50) à une légère croissance (50,5). Ce qui permet à l’indice composite d’afficher 50,2 en repassant au-dessus de 50 pour la première fois depuis juin 2022. En zone euro, c’est aussi une (forte) remontée forte de l’indice PMI des services (53 après 50,8 en janvier), qui permet à l’indice composite d’amplifier son niveau de croissance positive à 52,3 (contre 50,3) et de retrouver son score niveau depuis mai dernier. On notera que, de ce côté de l’Atlantique aussi, l’activité du secteur manufacturier reste faible, toujours en contraction (indice à 48,5 contre 48,8).
Le fantasme de la société dématérialisée dont le plan d’affaires d’Alcatel défini en 2001 avec le fameux « Nous souhaitons être très bientôt une entreprise sans usine. » de son président Serge Tchuruk est-il en train de se réaliser ? La croissance des services quand le manufacturier recule inverse pour le moment l’économie de mondialisation qui avait transféré la croissance et la valeur ajoutée aux usines du monde au détriment de pas mal des pays développés. Certes, le travail déporté sur des ordinateurs – le télétravail – change des pratiques, mais la création, la fabrication vont avoir du mal à être seulement virtuels.
La conjoncture marquée par des liquidités toujours surabondantes et par les plans publics de soutien massifs se traduit dans le marché du travail. De ce fait, c’est assez logiquement que les services tirent l’économie. Les pressions sur les salaires qui sont induites vont se poursuivre et même s’amplifier sur les services en pénurie de main d’œuvre. Les hausses de taux directeurs peuvent, en freinant l’activité, décaler la revanche du manufacturier, mais elle est inéluctable. D’autant que les investissements publics vont encore fortement croître dans un univers qui est durablement soumis aux engagements dits climatiques. La résilience actuelle de l’économie, le développement d’un nouveau cycle, peut-être sans passage en récession, vont intégrer de nouvelles règles : une hausse des fiscalités est dans les anticipations. Le partage de la valeur entre capital et travail au profit du second est en train de s’imposer. Les stratégies financières basées sur les marges des entreprises vont devoir encaisser des révisions face à ces deux hausses de charges.