L’adoption de la loi rectificative de financement de la sécurité sociale pour 2023 après engagement de la responsabilité du gouvernement de Mme Borne et son épilogue sous forme de commentaire par le président de la République sonnent la fin d’un épisode. Un épisode et pas une conclusion pour cette « réforme » des retraites dont les ambitions se voulaient dépasser son intitulé constitutionnel de « modification en cours d’exercice du financement de l’année 2023 des organismes sociaux. » A défaut de se projeter à six mois ou plus sur le plan institutionnel, il est possible de tenter de dessiner les conséquences, de juger des répercutions à court terme, de comprendre quels pouvaient être les objectifs pour se placer dans le long terme.
La séquence institutionnelle est faite pour durer. Une censure partielle de la loi par le Conseil Constitutionnel avant la fin avril est attendue : elle confirmerait alors le travail législatif médiocre ayant conduit au texte adopté. La procédure référendaire qui a été engagée par 253 parlementaires peut assez sérieusement prolonger les choses. La proposition de loi stipule que « l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans » Une décision de conformité doit être rendue par le Conseil Constitutionnel dans le mois et, si elle valide la procédure du RIP (Référendum d’Initiative Partagée), une période de 9 mois serait ouverte pour réunir les soutiens de 10 % du corps électoral. Après validation éventuelle des signatures, un délai de six mois s’ouvrirait pour qu’un examen de la proposition de loi soit effectué au moins une fois par chacune des deux chambres, faute de quoi un référendum serait organisé. On comprend que les délais vont s’imposer avant les décrets d’application et même de la promulgation de la loi rectificative « pour 2023 » adoptée cette semaine et qui devait être mise en œuvre à partir du 1 septembre. Elle devra au mieux être comprise dans la loi 2024. Ce ne serait pas en tout état de cause la première loi dont l’application serait reportée, voire finalement abandonnée.
A l’écouter mercredi, on comprend que le président de la République peine à accepter l’absence de majorité à l’Assemblée Nationale dont bénéficierait le gouvernement qu’il a nommé. L’impératif pour lui est pourtant de fait de trouver des accords au-delà de ses partisans avec des parlementaires faisant preuve de responsabilité : LR, socialistes, communistes dans une certaine mesure et Rassemblement National. Pour cela, il lui faut renoncer à s’enfermer dans des mots d’exclusion : il n’est plus en campagne. L’intervention télévisée a renvoyé la responsabilité des échecs à la Première ministre sur un registre bien peu crédible de retrait présidentiel des décisions prises. Le renoncement de fait à une loi immigration, qui serait découpée, ne peut être interprété que comme un renoncement à l’action. Le report maladroit de l’attention sur des questions dites « sociétales » et la perspective d’un gouvernement limité au champ réglementaire des décrets ne sont pas porteurs d’ambition. Dans le domaine international dans lequel M. Macron a l’air de se plaire, il ne peut pas se montrer plus satisfait. Dans la donne économique mondiale plus favorable chaque jour aux Etats-Unis, à leurs exportations et à leurs mesures protectionnistes, la France semble avoir renoncé à ses ambitions. L’atout même du siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU est laissé en jachère. Il aurait dû, comme cela a été le cas dans le passé, ouvrir une « troisième voie » avec un plan de paix proposé aux belligérants au sein du Conseil de Sécurité. Un plan de paix porté aujourd’hui par la seule Chine puisque la France s’est simplement alignée sur le bloc anglo-saxon.
A court terme, l’adoption de la « réforme » ne change pas grand-chose. Son rejet n’aurait sans doute pas eu beaucoup plus d’effets. Les alarmes lancées n’étaient pas très crédibles. Les interventions d’Alain Minc, reprenant des argumentations gouvernementales étaient à la fois erronées et contreproductives. Il n’y avait pas d’ultimatum posé par les marchés financiers menaçant que la dette française soit sanctionnée par des hausses de taux. Le projet a été approuvé par le Conseil des ministres du 23 janvier. Depuis, avec une contestation qui a sans cesse monté, l’écart de rendement entre l’OAT 10 ans et le Bund allemand de même échéance a varié entre 0,40 et 0,60 % et ressort au milieu de cette fourchette comme il était au départ. Le spread Italie-Allemagne (1,84 % aujourd’hui) a évolué en parallèle dans les mêmes proportions. Les communications ou actions des banques centrales et le renoncement au moins partiel à éradiquer l’inflation dans la crise bancaire pèsent autrement plus que les aléas législatifs. Les investisseurs sur les marchés financiers ne demandaient pas, au contraire, une désorganisation en France, des blocages et une fracture sociale qu’ils vont finalement sanctionner. Le système de retraite de la Sécurité Sociale n’est pas en danger et les enjeux de la « réforme » estimés à 17 milliards d’euros en 2030, ramenés entre 7 et 8 milliards depuis, n’étaient pas à leurs yeux un préalable pour juger de la dette de la France et du potentiel de son économie.
C’est la croissance à venir qui était la vraie ambition de cet épisode parlementaire ou, en tout cas, qui aurait dû l’être. Ce réaménagement des procédures de retraite qui n’est pas une réforme passe à côté. La productivité en France est très élevée, en contrepartie des 35 heures bien sûr. Mais, depuis 3 ans, elle baisse et accélère même une tendance négative européenne. Au-delà de la production de richesse (PIB) par heure travaillée, la nécessité de remonter la durée du travail sur l’ensemble d’une carrière s’est imposée. C’est le passage obligé pour (re)construire la croissance potentielle. Les 35 heures ne sont plus un tabou et les contrats prévoyant 39 heures se développent (sauf dans la fonction publique). Cela ne doit pas occulter l’impératif de rallonger la durée d’emploi. La démographie joue déjà en faveur de carrières plus longues, d’emploi « des seniors » comme on dit désormais. Mais une vraie réforme des retraites qui ne chercherait pas une justification discutable dans l’équilibre des systèmes, et un dispositif complémentaire de rallongement sont incontournables pour accélérer cette tendance entamée. Comme toujours en économie, la démographie est la plus forte. Mais le potentiel de croissance européen et français doit être relevé. Le potentiel de croissance se définit comme le maximum que l’économie peut maintenir à long terme sans que des pressions la déséquilibrent. La Direction du Trésor a fixé à 1,35 % cette croissance annuelle potentielle pour les années 2023-2027. Deux tiers proviendraient de la productivité du travail, un tiers du nombre d’heures travaillées. Faire progresser ce dernier facteur est le plus sûr moyen de trouver davantage de croissance. Pour cela, il faut agir sur la valorisation du travail, ne pas se montrer à l’aise avec des thèses de décroissance, avec la spirale négative du télétravail, avec les excès dangereux des mesures climatiques. Sans doute il faut aussi réformer les finances publiques et les finances des systèmes sociaux pour, qu’au moins, les choix et dépenses soient compréhensibles par ceux qui les financent. Le travail valorisé, le potentiel de croissance sera relevé. La gestion du dossier retraite cette année est allée en sens inverse. Il est vrai qu’il s’agit là d’un impératif de long terme, bien loin des derniers débats.