La publication du déficit 2022 du Budget de la France et a mis en évidence une amélioration par rapport aux estimations. Evidemment, on hésite à parler de « bonne nouvelle » au vu de données qui ne font que confirmer nos (gros) déséquilibres. Mais, finalement, « mieux que le pire » est déjà mieux. Puisque c’est de solde dont il s’agit, les variations réelles des recettes et des dépenses et leurs écarts par rapport aux estimations gouvernementales sont des déterminants pour la situation et pour se projeter dans les évolutions. Le montant de la dette est un autre pan de ces déterminants. L’ensemble, rapporté au produit national brut donne des clés pour saisir la soutenabilité de l‘endettement (le ratio de déficit sur PIB qui fixe finalement la capacité à lever les impôts assurant le service de la dette) et les besoins de financement qui ressortent du taux des prélèvements obligatoires.
Le déficit budgétaire français a atteint 124,9 milliards d’euros l’année dernière. C’est 19,5 milliards de moins que la prévision du gouvernement début décembre, validée dans la loi de Finance rectificative. L’écart en un mois peut inciter à la modestie pour les prévisions et les stratégies. On ne peut que relever que le « surplus » par rapport à l’estimation est pratiquement trois fois supérieur à ce que l’on peut espérer à échéance 2030 de la « réforme » de la retraite de la Sécurité Sociale dont la gestion se révèlera finalement négative sur la croissance 2023 et donc sur les comptes publics. Les objectifs chiffrés présentaient des enjeux pour les retraites qui sont relativisés par les données budgétaires 2022. En tout état de cause, le déficit français est revenu au-dessous de la barre symbolique de 5 % du produit national brut. Les 4,6 % affichés sont inférieures aux chiffres de 2020 (-9 %) et 2021 (-6,5%) mais se comparent avec -3 % de 2017 à 2019. Le déficit est revenu dans ses niveaux d’après crise de 2011 et 2012. Un score de 5 % est dans la norme des grandes économies de l’OCDE, qui, après correction des plans d’investissement, affichent des ratios du même ordre. Sans être une exception, il se situe bien au-dessus de la fameuse norme de 3 % inscrite dans le Traité de Maastricht créant en 1992 l’Union Européenne et, de fait, l’euro.
Il a été admis que ce niveau de 3 % était arbitraire et sans vraie justification théorique. Il avait alors été proposé par l’économiste réputé qu’était … François Mitterrand. La comparaison du déficit (qui comprend des frais de fonctionnement et des investissements d’avenir) avec la production de richesse nationale (seulement de l’année écoulée et comprenant les activités non marchandes, ressortant en grande majorité du secteur public) apparaît davantage comme un outil de communication que comme un critère de soutenabilité durable de croissance. Depuis 1993, date de mise en œuvre du Traité de l’UE, l’Allemagne a dépassé huit fois ces 3 %. Inutile de dire que cet exemple a servi d’exemple aux autres Etats pour gérer leur endettement sans réelle référence au ratio. L’optimal de déficit budgétaire pour une économie n’est pas une constante. Cela dépend précisément des fondamentaux de cette économie, de la structure des recettes et des dépenses. D’une certaine façon, il peut s’agir de l’optimum supportable, c’est à dire qui peut être refinancé. Les forces de marché donnent les limites bien plus que les déclarations à l’emporte-pièce des hommes politiques ou des pressions exercées par des pays en concurrence voulant pousser un avantage. On sait que la crédibilité des finances publiques françaises à assurer le service de la dette est élevée : depuis des siècles et déjà sous l’Ancien Régime, le pays sait lever l’impôt. C’est le premier des critères de soutenabilité. Par ailleurs, l’endettement doit se juger en fonction des capacités financières des flux (inflation et taux d’intérêt) et de leurs capacités économiques (croissance potentielle). L’inflation qui augmente la croissance nominale permet de relever le critère de 3 % assez sensiblement pour peu que le taux servi en soit inférieur (taux réel négatif).
Le déficit 2022 n’a pas été contenu à la marge en raison d’une baisse des prélèvements obligatoires sur les agents économiques. Au contraire, un nouveau record histoire de 43,5 % du PIB a été établi. Les dépenses (57,6 % du PIB) sont toujours là et l’amélioration relative du solde (de près de 2 % du PIB sur l’année) provient des recettes. Elles ont été meilleures que prévu. La politique de l’offre basée sur un allègement de fiscalité des entreprises depuis le quinquennat Hollande profite de la conjoncture dans un monde inflationniste. L’effet de base joue à plein et l’impôt sur les sociétés (dont la recette passe de 46,3 à 60 milliards d’euros) reflète la nette progression des bénéfices dont ceux des grandes entreprises ont été l’illustration, Les impôts de production vont dans le même sens. C’est une courbe qu’on ne pas vraiment prolonger. L’inflation masque un peu la réalité des choses, puisque les recettes fiscales en ont pris une part – avec des marges bénéficiaires dopées par les hausses de tarifs qui ont pu être passées et une hausse de l’assiette de la TVA – mais que l’inflation des dépenses est retardée et va peser davantage dès cette année. La performance budgétaire 2022 n’engage pas vraiment une tendance de réduction du déficit. Le ministre de l’Economie et des Finances annonce un retour du fameux ratio rapporté du PIB à 2,9 % … en 2027. Il table sur un recul prévu des mesures ponctuelles et temporaires et sur une baisse programmée de la dépense publique en volume (-3,2% d’ici à 2024 et seulement un rebond + 1,1% de 2025 à 2027). Le sujet, c’est la croissance qui joue qui le dénominateur (le PIB) et, aussi, sur le numérateur (augmentation des recettes). Les objectifs de la loi de programmation des finances publiques 2022-2027 visent seulement une baisse de un point des prélèvements obligataires, qui seraient ramenés de 45,2 % à 44,3 % du PIB en 2027.
Au final, la dette de la France un peu inférieure à la barre des 3.000 milliards d’euros représente 111,5 % du PIB. C’est soutenable tant que la croissance nominale est supérieure au taux d’endettement, mais cela limite tout de même les marges de manœuvres. L’objectif de la loi de programmation est simplement de la stabiliser en relatif, puisque le ratio de 110,9% du PIB est visé pour 2027. Cette stabilisation pourrait être facialement facilitée par des arguties comptables mettant sur des lignes séparées des investissements au label climatique (dont le nucléaire, si l’Allemagne devait nous y autoriser). On comprend qu’au-delà des communications politiques il n’y a pas de vraie perspective de baisse des prélèvements obligatoires, de restauration de l’équilibre budgétaire ou de réduction de la dette. Ce constat est peut-être un peu pessimiste. Au-delà du navrant épisode de la « réforme » de la retraite de la Sécurité Sociale, le potentiel de croissance peut être relevé de façon nettement supérieure aux scénarios présentés au Parlement. L’impact doit venir du travail : bien sûr, le temps travaillé dans une année et dans une carrière, mais sans doute surtout le taux d’emploi. Le taux d’emploi mesure l’utilisation des ressources de main d’œuvre disponible. Il mesure ainsi le potentiel productif. Le rapport du nombre d’actifs (ayant travaillé au moins une heure) et la population âgée de 15 à 64 ans fixe ainsi 68,2 % de la population française en âge de travailler, était comptabilisé fin 2022. Si c’est seulement un peu inférieur aux 71,4% américain, le retard est très pénalisant avec le Royaume Uni (75,6%), l’Allemagne (77,3%) le Japon (78,6%), la Suisse (79,7%) ou les Pays-Bas (82,1%). L’écart se réduit depuis 2019, mais si s’approcher simplement du niveau allemand ferait baisser la productivité, il apporterait un surplus de croissance potentielle de plus de 2 % et, évidemment, davantage pendant la période de rattrapage. La clé du cycle en France et, seulement en conséquence celle de la trajectoire des finances publiques, est là.