Les gros écarts marqués sur les marchés de taux d’intérêt reflètent les incertitudes des investisseurs et celles plus largement des agents économiques face à un phénomène disparu depuis 30 ans : l’inflation. La volatilité est entretenue par divers facteurs qui, au fond, proviennent tous de cette situation nouvelle pour la stabilité des prix. La remontée des taux directeurs est la réponse qu’a donnée la Réserve Fédérale, suivie dans une moindre mesure par la Banque Centrale Européenne, Les taux obligataires ont répercuté ces mouvements avec modération, installant une hiérarchie des taux en fonction de la durée de l’investissement dite de courbe inversée (rendements long terme inférieurs à ceux du court terme). Justement, les projections des décisions de la Fed entraînent ces arbitrages qui ne traduisent pas de gros écarts sur les marchés secondaires. Et ces projections cherchent à anticiper sur l’évolution de l’inflation publiée et, plus encore de l’inflation hors coûts de l’énergie. En mars, hors alimentation et énergie on a affiché 5,6%. Ce sont les hausses corrélatives de taux d’intérêt qui ont conduit en mars aux crises qui ont fragilisé des banques parmi les plus tendues aux Etats-Unis derrière la Silicon Valley Bank et en Europe derrière le Crédit suisse. Le stress bancaire a encore accru – temporairement pour le moment - la volatilité obligataire. Les fortes variations de taux ont des chances de se poursuive. Les investisseurs auront besoin de juger du calendrier et de l’ampleur du ralentissement économique induit par la politique du banquier central. Un atterrissage progressif et, finalement encore une croissance modérée confirmerait la conjoncture de taux d’intérêt dans les niveaux actuels ou seulement un peu au-dessous, d’autant que les pressions inflationnistes persisteraient dans ce schéma. Une cassure et un début de récession entraînerait une inversion de la gestion monétaire depuis un an, quitte à accepter ensuite une inflation qui reparte avec la baisse des taux directeurs. Finalement, les craintes de récession qui soutiennent les anticipations d’abaissement de taux de la Fed au second semestre poussent les taux longs à la baisse. Elles amplifient l’inversion de la courbe. Ces anticipations de réduction des taux directeurs paraissent bien excessives aujourd’hui. En tout cas les écarts sont impressionnants : extrêmes de 3,27 %-3,70 % de rendement dans le dernier mois pour le 10 ans américain, 2,58 % -2,96 % pour le 10 ans français.
Les incertitudes traduites par cette constatation de la volatilité des taux longs ne jouent pas seulement sur le comportement des gestionnaires d’actifs. Parmi les premiers concernés, il y a les banques et leur gestion actif/passif. Leur activité de transformation se trouve marquée dans la conjoncture actuelle par l’objectif de limiter les risques de variation de taux et de l’écart taux courts / taux longs. En première ligne les prêts et les encours immobiliers. La nécessité de relever les marges pour préserver le risque de taux joue sur le marché immobilier lui-même. Les hausses de taux exigées pour consentir les prêts ont ainsi amplifié l’évolution de la dernière année. S’en suit une baisse de l’accessibilité du secteur pour l’ensemble des agents économiques. C’est une véritable spirale, qui fragilise les banques et les actifs immobiliers eux-mêmes. La spirale peut tourner à la boule de neige en déséquilibrant les ratios des banques qui n’ont pas contenu les risques. C’est à bon droit que l’on souligne souvent le modèle sain des prêts immobiliers français au logement basé sur la capacité de remboursement des emprunteurs, en comparaison avec le modèle bancaire anglo-saxon ou d’Europe du Nord qui prête en fonction de la valeur instantanée du bien. Le risque n’est pas le même, mais les leçons de la crise du crédit hypothécaire américain (des subprimes) ont été tirées. Ces risques sont toujours pris, les mécanismes de titrisation qui les avaient multipliés ont été limités.
La baisse de l’immobilier américain a été constatée en tout état de cause au début de l’année. L’indice national des prix de l’immobilier d’habitation Case-Shiller a baissé alors pour le septième mois consécutif. 5% de baisse au total (donnée brute) est un choc réel pour le secteur –la deuxième plus forte baisse depuis la deuxième guerre mondiale. Le mécanisme de financement explique une dégradation instantanée des conditions de crédit, bloquant des projets de construction de logement neufs et gelant une partie du marché secondaire. La baisse des taux immobiliers du 1er trimestre a corrigé la tendance et permis la remontée des permis de construite et des ventes de maisons. Cela dit, basé sur des spéculations de baisse des taux directeurs de la Fed au second semestre, l’effet taux est fragile et le redressement du marché a bien des chances de tourner avec le cycle économique. Au-delà des effets directs des hausses de taux sur la capacité d’emprunt des particuliers, l’immobilier commercial porte les risques les plus importants. La hausse des taux des 12 derniers mois implique une demande de rendement relevé, donc une dévalorisation d’actifs souvent financés avec effet de levier. S’ajoutent des taux de vacance revus aussi : aux effets attendus de l’inflexion du cycle s’ajoutent les modifications de consommation - avec la montée continue des achats passés par voie numérique et un certain retour vers les commerces de proximité - qui pénalise particulièrement les centres commerciaux.
Les fondamentaux de l’immobilier sont directement la conséquence du niveau des taux d’intérêt et du cycle conjoncturel. Pour rester sur le cas de la France, les facteurs d’une baisse sont là. L’équation financière est en cause : le rendement des loyers baisse en termes réels et la hausse des taux impose des rendements relevés, La hausse des loyers est plafonnée à 3,5 %. C’est inférieur de près de 50 % à l’inflation générale et même à la revalorisation de la « valeur locative » appliquée pour le calcul des impôts locaux. Elle décote de près des deux tiers sur l’augmentation des frais supportés par les propriétaires. Dans le même temps, la rémunération du placement en obligations d’État (10 ans) est passée de 0,20 % début 2022 à 2,8 % aujourd’hui. La comparaison va imposer ses conclusions pour un détenteur de capitaux. Aux conséquences fiscales près, l’équation vaut pour un propriétaire investisseur comme pour un propriétaire qui occupe son logement. Dès lors qu’il s’agit d’emprunter, les données sont plus tangibles encore. Le taux moyen des emprunts immobiliers à 20 ans est passé de 1 % à 2,8 % en 15 mois. Le coût financier est – temporairement ? - supérieur au rendement estimé. Devant ces fondamentaux et une évolution des salaires inférieure à l’inflation (baisse relative du revenu disponible des acquéreurs), les banques ont restreint largement l’octroi de crédits immobiliers. Leur production est revenue de près de 24 milliards d’euros en janvier 2022 à 14 milliards un an après. Les transactions sont à la baisse - Nexity les estime à -15 % pour cette année- et les prix baissent, certes dans des proportions réduites par rapport aux hausses des 8 dernières années cependant (-6% pour les appartements selon Century 21). D’un autre côté, l’excès de liquidités qui tient les actifs financiers joue aussi sur l’investissement immobilier direct ou sur la pierre-papier. Les investisseurs contraints à la diversification et cherchant du non-coté jouent toujours la valorisation long terme et restent présents. Mais ils ne peuvent contrebalancer le retrait des acheteurs de résidences principales qui pèsent plus de la moitié des crédits octroyés pour l’immobilier d’habitation.
Le soutien des spéculations sur des baisses de taux directeurs de la Fed cette année et la bonne tenue de l’immobilier d’investissement ne peuvent que limiter un recul des prix qui, sur une période longue, s’analyse comme une simple consolidation dans l’ordre. Au-delà de cet assainissement a priori sans casse, la baisse des prix et de l’activité résidentiel est un indicateur avancé de récession. Cela a été observé historiquement aux Etats-Unis. La constatation s’ajoute à l’inversion des rendements obligataires (le rendement du Treasury Note a varié entre 4 % et 5,24 % dans le dernier mois et est en moyenne supérieur de 0,6 %+ 0,7 % à celui T-Bond 10 ans). La courbe des taux inversée a précédé toutes les récessions. Même si toutes les inversions de la courbe n’ont pas été suivies de récession, l’immobilier est un deuxième avertissement. La dynamique propre de l’économie américaine qui maintient la croissance va être à l’épreuve.