Le président de la République a cherché lundi à tourner la page de la séquence de la « réforme » de la retraite de la Sécurité Sociale. Le format du discours solennel, Marseillaise à l’appui, peut évidemment apparaître bien décalé par rapport au climat social et politique français. C’est évidemment la conséquence du régime hyper présidentiel qui est le nôtre et qui l’est de plus en plus. Dans les pays de démocratie représentative, un Premier ministre ne se pare pas des plumes monarchiques pour parler tout simplement … politique. Cela dit, M. Macron a fait le job. On lui a suffisamment reproché sa réserve dans le débat ayant conduit à l’adoption de la plus grande part du projet, pour ne pas reconnaître qu’il devait s’exprimer. On lui est reconnaissant d’avoir fait relativement bref. Il a paru longtemps avoir oublié les préceptes de ses études (brillantes) en se laissant aller à des exposés dont la durée limitait la portée, et il a tenu cette fois dans 21minutes. Seulement le double de la norme académique. L’exercice n’avait rien de facile. Le plan des communicants de crise a été suivi : reconnaître, s’excuser, justifier, relancer pour l’avenir en changeant de sujet si possible. C’est évidemment sur les perspectives que le gouvernement est attendu.
Le constat de l’échec politique du projet de loi promulgué la veille a été fait : « un consensus n’a pas été trouvé ; Est-ce une réforme acceptée ? A l’évidence, non ! ». Et, pour cette absence de consensus, « nous devons prendre notre part de responsabilité ». La justification, c’est la nécessité de réformer qui a été répétée depuis le début de l’année. On a compris qu’elle avait convaincu sur l’impératif de faire face aux questions démographiques, mais que le discours technique changeant et le passage en force ont détruit ce consensus pourtant assez réel. Les justifications ont pu apparaître bien convenues et, sans attendre les sujets d’avenir, la président a voulu décaler l’analyse. Plus que la « réforme » ou la méthode, c’est à l’inadaptation des salaires face à l’inflation à qui il attribue le climat délétère. Evidemment, c’est exact, mais, après 6 ans de pouvoir quasi absolu, comprendre la colère « de certains qui ont le sentiment de faire leur part sans être récompensés de leurs efforts (ni en salaires suffisants), ni en aides, ni en services publics efficaces » ressemble à une tentative de détourner sa responsabilité. Cette image si négative de l’opinion est évidemment déformée et caricaturale dans l’excès. Portée par le chef de l’État, elle entretient un peu le sentiment contestataire. Cette reconnaissance exagérée vise à présenter une issue. Ce qu’il faut éviter se serait « l’immobilisme et l’extrémisme ». Ce qui est proposé est un plan « en trois grands chantiers ». Si les tentations d’immobilisme ont été présentes dans le débat sur la « réforme » du régime général des retraites, il n’est pas facile de savoir quel extrémisme a été visé dans les propos présidentiels. En revanche, les cent jours qu’il se donne pour arrêter les projets sur les trois axes d’ici au 14 juillet veulent, « au service de la France », dépasser le discours de constat et de contrition.
Le premier chantier et le cœur de la stratégie de redressement se présente comme une excuse : pour négocier des évolutions sur « le travail », les partenaires sociaux sont remis en selle. Beaucoup a été fait depuis 2017 pour les ignorer, les marginaliser. Les mesures prises sont en quelque sorte descendues depuis six ans de l’Elysée, leur justification évitant de passer par les structures de négociation et même par le Parlement dans une certaine mesure, en sélectionnant des comités d’experts ou des conventions citoyennes dirigées par des experts amis. Les syndicats patronaux et de salariés ont ainsi assisté – avec une résignation certaine – à la nationalisation du régime d’assurance-chômage avant d’être écartés de l’évolution l’assurance-retraite qui, dans les faits n’a pas grand-chose d’une réforme. Etablir « un pacte de la vie au travail » semble un slogan plus qu’un programme. Mais, avec des négociations « sans limites ni tabous », il peut être possible de réunir autour de la nécessité de plus travailler, de monter le taux d’activité si médiocre en France, de retrouver de la productivité en hausse. Mais évidemment, les contreparties – qui seront forcément traduites sur le coût du travail – ne seront pas faciles à obtenir. Les entreprises ont su s’adapter à l’inflation durablement installée et passer les hausses de prix ; elles ne sont pas forcément encore prêtes à le faire pour les salaires.
La méthode est cependant là. L’État viserait désormais, pour le deuxième et le troisième chantier, des objectifs qui ressortent plus de son domaine que de régenter les régimes d’assurance. Le deuxième chantier est bien dans sa mission. Il se définit au service de « la justice, l’ordre républicain et démocratique ». Derrière les mots, les pouvoirs exécutif et législatifs ont de quoi faire : moyens pour la justice et la police, loi immigration qui soit crédible et appliquée, lutte contre la délinquance, y compris les fraudes fiscales et sociales, … En revanche, l’annonce « de grandes pistes pour que le fonctionnement de nos institutions gagne en efficacité et participation citoyenne » fait sourire. La tentation de toujours contourner les contrepouvoirs en inventant de plus conciliants est toujours présente. Le dernier chantier « le progrès pour mieux vivre » est un truisme qui enveloppe pourtant un autre pan des devoirs du pouvoir : éducation, santé ou aménagement des quartiers et zones en difficulté. Les six années de mandat déjà exécutées incitent évidemment à nuancer la perspective « de mesures concrètes pour améliorer la vie quotidienne » qui sont annoncées. Pour autant, deux chantiers sur trois – le deuxième et le troisième - sont bien un recentrage sur le rôle de l’État et le premier serait un transfert des initiatives – en réalité un retour – vers les forces économiques pour gérer leurs affaires.
Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. La formule du président Henri Queuille a été souvent reprise et, notamment par M. Chirac qui s’y connaissait en la matière. Sans faire de procès d’intention à M. Macron, force est de constater qu’il a livré cette semaine des (bonnes) intentions, mais que, pour convaincre, il lui faudra agir. Les cent jours donnés à sa Première ministre pour que, le 14 juillet, il puisse passer des intentions à l’action ne sont pas condamnés d’avance. Il y a cependant deux sujets qui sont proclamés par le chef de l’État qui ne rentrent pas dans les catalogues souvent évoqués dans son entourage : la souveraineté et la transparence. Proclamer la souveraineté européenne – le général de Gaulle aurait dit en sautant sur sa chaise comme un cabri - n’a pas grand sens. La déroute de la souveraineté énergétique sous la pression allemande, qui était le grand atout de la France a assez montré une nouvelle fois que les Etats ont toujours des intérêts et pas des alliés. Les ambitions industrielles françaises, celles en matière d’innovations, le rapatriement des circuits de production ne sont pas des ambitions européennes, mais nationales par définition. Un peu à l’inverse, les fonctionnaires de la Commission européenne semblent chercher à limer les avantages compétitifs des entreprises du Continent. C’est vrai jusqu’aux programmes dits climatiques : l’Europe construit des contraintes pour les entreprises de l’UE face aux concurrents américains ou asiatiques, et semble impuissante pour pousser la production nucléaire, au contraire. Un domaine où la souveraineté française doit pourtant s’exprimer et qui pourrait en être empêché en étant écarté des ratios d’investissements publics des plans de l’UE.
L’ordre républicain et démocratique comme les progrès pour mieux vivre – deux des slogans présidentiels - doivent implique une exigence dans un domaine qui a cruellement manqué dans l’épisode retraite : la transparence. L’affaire a tout d’abord été présentée comme un moyen d’apporter de nouvelles ressources à l’État, pour porter des dépenses diverses sans rapport avec le sujet. Ensuite, la communication s’est centrée sur « le sauvetage » du système, sans que les trajectoires financières présentées ne démontrent vraiment l’utilité de la « réforme » et encore moins son caractère indispensable. Les aménagements divers, s’ils sont finalement appliqués, ont divisé par deux les estimations de bénéfice de 27 milliards d’euros pour le Sécurité Sociale à horizon 2030. Le montant en lui-même montre les limites de cet aménagement. En se montrant aussi affirmatif qu’imprécis ou inexact, le gouvernement n’a pas rendu service au projet de loi. L’objectif finalement affiché – accroître la croissance potentielle avec plus de travail – correspond mieux aux nécessités et aurait pu être compris assez largement en début de parcours. Ce sont de nouvelles dépenses que le plan Borne de juillet prochain va prévoir dans les services publics, dans les missions régaliennes, dans la redistribution aussi. Après le record (mondial) des prélèvements obligatoires de 47,6% du produit intérieur brut en 2022 et une dette de près de 112 % de ce PIB, les marges pour dépenser encore plus apparaissent plutôt réduites sauf à plonger dans l’inconnu financier. Les dépenses se répartissent entre le fonctionnement de l’État et des administrations (46%) et la redistribution (54%). En matière de fonctionnement, aux spécificités comptables près, le ratio est proche de celui des pays comparables et les plans de Mme Borne devront concerner l’organisation et l’efficacité plus que des budgets supplémentaires. L’écart avec les pays concurrents de la France provient de la redistribution qui dépasse 30 % du Produit National Brut. Pratiquement 80 % de ce poste est affecté au financement des associations de sécurité sociale. Avant d’aller plus loin encore dans le cadre dessiné par M. Macron, la justice, qui est un argument avancé sans réserve, demande une contrepartie : la transparence. La nationalisation de l’assurance chômage est un exemple de la captation des cotisations au profit de priorités de solidarités qui ressortent du politique. Les cotisations se doivent de couvrir les risques, mais des prestations versées à des non-cotisants (comme des immigrés récents) ou des avantages pour soutenir un secteur (par exemple le cinéma et les spectacles avec le régime des intermittents) n’ont aucune raison d’être financées par les assurés. Le choix relève de l’État. Le financement doit venir de son Budget. Séparer l’assurance qui est l’affaire des cotisants et la solidarité qui est celle de l’État est indispensable pour que des réformes soient engagées et acceptées, en particulier par ceux qui paient finalement. Assurer une retraite à des personnes qui n’ont pas cotisé, donner un minium retraite, cela relève de la solidarité et doit venir de l’impôt et pas d’un prélèvement sur les prestations dues aux cotisants. Il en est de même évidemment pour l’assurance santé : les contributeurs ont un droit qu’ils paient. Les non contributeurs doivent bénéficier de la solidarité nationale, pas de celle limitée des assurés « en règle ». La fameuse Aide Médicale d’Urgence est un bon exemple : elle n’a aucune raison d’être financée par l’assurance santé.
La transparence pour les services publics permettrait d’abord de constater qu’ils ne sont pas déficitaires. Les dépenses de solidarité définies avec la même transparence seraient instruites dans le débats politiques pour ce qu’elles sont dans la réalité. Alors, et peut-être, alors seulement, les choix pourraient être compris, les réformes si nécessaires acceptées.Tout mélanger dans un pot commun des dépenses publiques au sens large inspire la méfiance. Les propos qui travestissent la vérité suscitent et entretiennent les contestations. On l’a vu dans le débat sur la « réforme » des retraites. Un nouvel exemple a été donné cette semaine avec une communication portant sur le coût de la dette. Le ministère des Finances a relevé de 60 à 70 milliards d’euros son estimation de la charge d’endettement en 2027. Les propos alarmistes qui ont suivi la communication veulent convaincre de l’objectif incontournable de la réduction de la dette publique ou en tout cas de sa stabilisation. Dans les faits, ce relèvement de coût provoqué par la hausse des taux d’intérêt tient de l’illusion entretenue puisqu’il ignore l’inflation qui réduit et même efface ce surcoût. L’État s’endette à taux réels négatifs, c’est à dire en-dessous de l’inflation et ne se déséquilibre pas, au contraire. Convaincre de la nécessaire réduction du déficit et de la dette ne pourra pas se faire à partir d’arguments tronqués. Et si c’était la leçon de cette triste affaire de la « réforme » des retraites ?