Le G7 qui se réunit ce week end à Hiroshima est un tournant qui n’est pas seulement la référence aux massacres de civils de la deuxième guerre mondiale et une sorte d’engagement de « plus jamais ça ». Avec ce symbole, c’est l’ambition géopolitique du rendez-vous qui est en quelque sorte proclamée, bien loin des intentions lors de la création et même des 48 séances de G5, G6 et G7 depuis 1974. Le G5 est une initiative franco-allemande et même largement française. Le président Giscard d’Estaing a reçu les chefs de gouvernement et d’État de ce qui était devenu le G6 (avec l’intégration de l’Italie) à Rambouillet fin 1975 : le sujet central était la réponse à donner à un bouleversement de la donne économique mondiale à la suite du choc pétrolier. Discuter entre pays riches et dominants « en toute franchise et sans protocole » pour définir des objectifs communs et de tracer une coopération donnait un cadre. Le G5 (Etats-Unis, Royaume Uni, Allemagne, Japon et France) s’est étendu à l’Italie, puis au Canada pour s’établir sur le périmètre à sept. Un moment, la Russie a été associée (de 1997 à l’annexion de la Crimée en 2014). Le groupe informel rassemblant au départ les pays les plus riches de la planète a voulu se transformer progressivement en gouvernement mondial : la puissance économique voulait assoir un pouvoir supranational. Evidemment, le domaine d’action a été avant tout économique. Malgré la richesse, le groupe des sept s’est refusé à chercher à suppléer l’ONU pour définir un ordre géopolitique mondial. Un pas a été franchi avec la suspension de la Russie en 2014, puis son exclusion en 2017. Le G7 + comme on l’avait appelé était redevenu le G7 (avec une présence du président du Conseil Européen), sans pour autant alors prétendre gouverner le monde dans un modèle de « ploutocratie mondiale ».
Aujourd’hui le G7 est une décalcomanie de l’OTAN. A l’exception du Japon (qu’on a du mal à imaginer intégrer un traité de l’Atlantique Nord), les pays sont des alliés des Etats Unis dans ce cadre militaire. L’ordre du jour de Hiroshima est la conséquence de ce glissement de la gouvernance économique mondiale vers l’instauration d’une géopolitique qui serait également mondiale. Il mentionne bien la « résilience et la sécurité économique, l’alimentation, la santé et le développement » et sacrifie au refrain sur « le climat, l’énergie et l’environnement ». Mais le premier sujet est « l’agression de la Russie contre l’Ukraine » avec son corollaire « le désarmement et la non-prolifération nucléaire ». Le sommet prévoit aussi un chapitre de « dialogue avec les partenaires à l'échelon international ». Les riches et leur puissance militaire veulent bien parler aux pauvres en quelque sorte. L’expression de ce rapport de force apparaît pourtant un peu dépassée. Le G7 réunit certes le pays le plus riche du monde que sont les Etats-Unis, mais pas le deuxième (la Chine), pas le cinquième (l’Inde) et pas la Corée du Sud et la Russie qui se classent dixièmes et onzième à une tête du Canada. Le G7 de ce week end veut en quelque sorte abandonner la gouvernance économique mondiale pour réunir les alliés des Etats-Unis dans un gouvernement du monde. C’est évidemment un paradoxe : l’OCDE qui regroupe finalement l’ensemble des alliés des Etats-Unis dans leur guerre en Ukraine pèse désormais un peu moins de 60 % du produit intérieur brut mondial. Les moyens pour imposer la pax americana sont relativisés par ce rapport de force. Le discours a aussi bien changé. La puissance économique a amené le bloc occidental à abandonner d’une certaine manière l’objectif de paix qui correspond à la création et au rôle de l’ONU, pour un objectif de faire gagner « un camp du bien ». Evidemment, cette doctrine qui ne recherche pas la paix, mais une victoire, est un durcissement qui se comprend, mais qui prend le risque d’une rupture. 60 % de la richesse mondiale produit par moins de 15 % de la population mondiale ne peut pas vraiment faire parler les armes et les armes économiques pour dicter un ordre mondial.
Les limites sont là, bien au-delà de la guerre d’Ukraine. Si ce n’est pas une première de voir les Etats-Unis et la Russie s’affronter, si l’Ukraine est plus proche que le Viêt-Nam, sur le plan économique le conflit trouve ses limites. Le G7 du Japon va prendre de nouvelles mesures de blocus vis à vis de la Russie. Les domaines des « sanctions économiques » sont étendus jusqu’aux diamants, suivant la formule du président du Conseil Européen, « les diamants russes ne sont pas éternels ». Les objectifs d’étouffement de l’économie russe sont plutôt fermes dans les propos, mais nuancés par la nécessité dans les faits. Comme on l’avait vu lors du blocus continental de Napoléon Ier, la première conséquence a été une crise économique dans les pays alliés, la deuxième un contournement par tous les pays qui pouvaient exercer une sorte de contrebande d’État. Le G7 n’a pas les moyens d’envoyer les pays de l’OCDE et les autres dans une récession brutale. Au contraire, il veut maintenir la croissance à un moment où leurs banques centrales exercent une pression plus ou moins forte pour limiter le cycle inflationniste. La croissance mondiale 2023 est estimée par le FMI à 2,8 %. Les pays développés visent un modeste 1,3 %, les pays émergents 3,9 %. En grossissant le trait, les Etats-Unis et leurs alliés comptent sur la Chine et l’Inde, deux des pays en tête dans le recyclage des exportations russes, pour assurer une expansion dans le monde et, en particulier, en Amérique du Nord, au Japon et en Europe. L’inde et la Chine comptent 1,42 milliard d’habitants chacune. Près de 40 % de la population mondiale et, cette année, la moitié de la croissance mondiale. Le score visé est de 5 % en Chine et un peu plus que cela en Inde. Ces croissances peuvent s’analyser dans des perspectives de long terme, car les deux géants ont des stratégies économiques et financières qui visent de relever et maintenir leurs croissances potentielles en évitant les choix de déséquilibres qui prévalent dans l’OCDE. A ce stade, le reclassement des exportations russes est nécessaire pour la croissance mondiale et le risque d’étendre les sanctions ne peut être pris. La guerre des armes à ses limites ; celle de l’économie aussi.
Le FMI estime à 0,7 % la croissance russe cette année, ce qui serait proche de la française ou l’italienne et évidemment supérieure à la légère contraction attendue en Allemagne. La mobilisation du bloc américain ne peut viser un bouleversement qui s’étendrait à la planète. Ces alliés ne veulent de guerre mondiale ni militaire, ni économique. Affirmer leur volonté et proclamer leur puissance ne peut pas les empêcher de tenir compte des limites à leurs actions. Pendant qu’à Hiroshima, on sonne la mobilisation et la solidarité autour du président ukrainien et de son pays envahi il y a 15 mois, la Syrie, alliée russe, retrouve son siège au sein de la Ligue arabe. M Zelensky invité à Djeddah permet à cette instance de troisième voie d’engager une diplomatie qui tourne un peu le dos aux diktats extrémistes. Au-delà d’un G7 devenu un satellite de l’OTAN et à ses armes économiques finalement bridées.